Revue Cliniques Juridiques > Volume 2 - 2018

Editorial

Il y a soixante-dix ans, l’Assemblée générale de la toute jeune Organisation des Nations Unies adoptait la Déclaration universelle des droits de l’Homme, un texte séminal pour les droits de toutes et tous dans le monde. Par la plume d’hommes et de femmes issus de pays du Nord comme du Sud, de l’Est comme de l’Ouest, une aspiration mondiale à « un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère »1 était couchée sur un papier au statut de marbre. Soixante-dix ans plus tard, beaucoup de chemin reste à parcourir sur un tracé qui n’est jamais rectiligne. La peur, la jalousie, la douleur, l’ignorance sont autant de parts d’ombre qui amènent les uns ou les autres à se perdre. Nul n’est malheureusement à l’abri et le droit et la justice sont un combat de tous les jours. Ce combat a besoin de championnes et champions, tels Nadia Murad et Denis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018. Mais leur vie et leurs actions nous rappellent également que nous avons toutes et tous un rôle à jouer, quelque soit notre pays, quelque soit notre activité, quelque soit notre engagement.

Si « la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité »2, la transmission d’une connaissance des droits est la première des réponses à apporter. Si la connaissance aide à prévenir certaines des violations, tel un bouclier, elle peut devenir une arme entre les mains des victimes afin d’obtenir la justice. Pour pouvoir se défendre, il faut d’abord savoir qu’il est possible de se défendre face à la violation subie. Il faut ensuite réussir à formuler son grief, le rendre accessible et compréhensible pour le système juridique et judiciaire. Ces étapes fondamentales pour l’accès à la justice sont autant de freins pour les populations les plus démunies, qui doivent faire face à la complexité du droit – réelle ou imaginée -, à l’absence ou l’inaccessibilité d’une assistance juridique gratuite ou encore à l’éloignement des lieux de justice.

Parmi les réponses possibles, et au soutien d’un service public de la justice et de l’accès au droit qui doit être la priorité des Etats, le Réseau s’engage dans le développement de cet outil d’éducation et de justice que sont les cliniques juridiques. Notre colloque organisé en mars 2018 à Lomé a permis de rappeler une fois de plus que les Universités ont un rôle à jouer au sein de la communauté, un rôle qui va au-delà de la seule recherche et transmission d’un savoir académique. Elles ont une responsabilité – certains diront « sociale » – afin

« d’éduquer des citoyens qui participent activement à la société, ouverts sur le monde, dans la perspective du renforcement des capacités endogènes, de la promotion des droits de l’homme, du développement durable, de la démocratie et de la paix dans la justice »3

A leur échelle, les cliniques juridiques participent à cet objectif, par la rencontre des étudiants avec une réalité sociale du droit dont ils n’ont pas toujours conscience. Elles participent également à l’autonomisation des populations aidées en leur soumettant certains des outils qu’ils pourront utiliser pour se défendre. Enfin, elles offrent aux enseignants-chercheurs un atout supplémentaire pour remplir leurs missions, tant d’enseignement que de recherche. Elles sont

« [ces] nains juchés sur les épaules de géants, de sorte que nous pouvons voir plus de choses qu’eux, et des choses plus éloignées qu’ils ne le pouvaient, non pas que nous jouissions d’une acuité particulière, ou par notre propre taille, mais parce que nous sommes portés vers le haut et exhaussés par leur taille gigantesque »4

Conscients à la fois de notre responsabilité, et de notre petite taille, nous sommes ainsi très heureux de pouvoir publier aujourd’hui le deuxième numéro de la revue Cliniques juridiques. Tous les articles présentés ici – sauf un5 – sont issus dudit colloque de Lomé qui avait pour thème « Université et accès au droit dans l’espace francophone ». Nous espérons que leur lecture vous sera agréable et profitable.

Notes

  1. DUDH, Préambule, al. 2
  2. Ibid.
  3. UNESCO, Déclaration mondiale sur l’enseignement supérieur pour le XXIe siècle, 1998, art. 1er.
  4. Jean de Salisbury, Metalogicon, 1159, III, 4.
  5. Celui de Pascale Deumier est tiré d’une conférence faite dans le cadre du séminaire de l’UMR 7318 DICE [https://dice.univ-amu.fr/fr/dice/dice/videos-lumr-dice]