Revue Cliniques Juridiques > Volume 5 - 2021

Le droit international des droits de l’homme comme outil clinique : l’expérience de la Clinique des droits de l’homme de l’Université Fédérale de Minas Gerais

Lorsque l’idée d’une clinique à la faculté de droit de l’Université Fédérale de Minas Gerais (UFMG) a été « conçue » par des étudiants et étudiantes en 2013, elle reposait sur un triple postulat : (i) l’enseignement juridique traditionnel est insuffisant pour une formation humaniste, réflexive et pratique ; (ii) c’est le rôle de l’université publique de contribuer à la réalisation de la justice sociale ; et (iii) le droit international peut être un outil pour une utilisation stratégique, quotidienne et pour générer impact social.

Relevons tout d’abord, donc, le fait que ces étudiantes et étudiants, engagés dans un Groupe d’Étude sur le Droit International des Droits de l’Homme (GEDI-DH) et désireux d’agir au-delà des requêtes répétitives qui sont généralement présentes dans le modèle traditionnel d’aide juridique individuelle, ont cherché à rendre pratique l’étude du thème en appliquant des paramètres de protection internationale à des cas traités quotidiennement par le service d’aide juridique de l’Université, la Division d’Aide Juridique (DAJ)1. En ce sens, il est pertinent que le droit international soit considéré comme un outil à utiliser au quotidien dans les affaires internes, afin de pouvoir construire efficacement une culture d’interaction entre les sphères de protection.

Cependant, parler d’outils « cliniques », c’est parler d’un éventail de possibilités tant pour l’enseignement que pour la pratique juridique2. Lapa systématise quelques hypothèses méthodologiques pour guider le travail d’une clinique juridique, à savoir : l’engagement pour la justice sociale, la méthodologie participative, l’articulation entre théorie et pratique, l’intégration entre enseignement, recherche et projets d’impact social, l’approche interdisciplinaire, l’institutionnalisation formelle, public visé prioritairement universitaire3. À tout cela, nous ajouterons la nécessité de la mobilisation communautaire, de la communication stratégique et de la formation de réseaux – certainement mieux équipés pour la promotion et la garantie des droits de l’homme que les initiatives isolées4.

I. Outils et thèmes généraux abordés par la Clinique des droits de l’Homme de l’UFMG (CdH/UFMG)

C’est précisément le caractère interdisciplinaire des cliniques juridiques qui rend évident que le droit est un outil de transformation, mais qu’il n’est pas isolé des sciences humaines, ni la solution à tous les conflits sociaux. Dans ses activités, la Clinique des droits de l’homme de l’UFMG (CdH/UFMG) utilise des stratégies juridiques et non juridiques, telles que l’action en justice, la production de contenus sur les réseaux sociaux, la recherche, l’organisation d’événements académiques, l’éducation dans les communautés, la plaidoyer législatif (« advocacy »), la préparation de rapports et de notes techniques, etc. Mais la clinique se préoccupe surtout de l’éducation humaniste, critique et complexe des étudiantes et étudiants, qui sont encouragés à s’approprier les différents outils de protection des droits, tant au niveau national qu’international, et à développer des compétences créatives.

Plusieurs thèmes sont présents dans la vie quotidienne d’une clinique juridique et les choix – y compris ceux résultant des limitations structurelles – deviennent inévitables dans ce contexte. Actuellement, la CdH/UFMG est organisée autour des axes thématiques suivants, qui interagissent les uns avec les autres : Droits Reproductifs et Sexuels, Droits LGBTQIA+ et Droit International des Droits de l’Homme. Au fil des ans, les activités de la Clinique ont interagi de différentes manières avec le droit international des droits de l’homme. Aux fins de ce bref rapport, nous avons choisi de raconter les expériences du groupe au sein du Système interaméricain des droits de l’homme.

II. Le droit international comme base argumentative pour des affaires nationales et des documents techniques

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’équipe a d’abord utilisé le droit international pour intégrer les paramètres de protection établis par le Système interaméricain des droits de l’homme dans les arguments utilisés dans les cas individuels suivis par la DAJ. C’est le cas, par exemple, des critères relatifs à la confrontation à la violence policière inclus dans la défense d’une famille qui a été déplacée de force d’un terrain occupé à des fins d’habitation en vertu d’une décision de justice.

En parallèle, les normes du droit international sont devenues la base des documents technico-consultatifs préparés par la Clinique. Par exemple, les recommandations émises par le Rapporteur spécial pour la liberté d’expression de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (RELE/CIDH) ont été l’un des fondements de la préparation d’une recommandation de la CdH/UFMG qui a été présentée lors du traitement d’un projet de loi fédérale qui, à l’époque, visait à criminaliser l’enregistrement et la diffusion non autorisés d’images intimes (un phénomène également connu sous le nom de revenge porn)5.

La jurisprudence des organes du Système interaméricain a été présentée de manière systématique dans un document technique intitulé « Recommandations et politiques publiques résultant des sentences rendues par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme dans des affaires impliquant les droits de l’homme des peuples autochtones »6, servant d’appui pour des procédures devant les juridictions internes. Ce document a été élaboré à titre de contribution technique dans le cadre d’une action en justice intentée par le Parquet Fédéral7 dans le but de tenir l’Union (fédérale), la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI) et l’État de Minas Gerais responsables des violations des droits de l’homme et des crimes commis à l’encontre du peuple autochtone Krenak, soutenus par des politiques publiques et des institutions étatiques créées spécialement à cet effet, pendant la période de la dictature militaire au Brésil. En l’espèce, l’examen des précédents de la Cour interaméricaine des droits de l’homme était particulièrement pertinent en ce qui concerne les droits à la terre ancestrale, à une vie digne, à l’autodétermination et à la consultation préalable. Le document a porté ses fruits : le 13 septembre 2021, une sentence a été rendue par le tribunal de première instance pour condamner les défendeurs à (i) organiser une cérémonie publique reconnaissant les graves violations des droits des peuples indigènes, suivie d’excuses publiques au Peuple Krenak ; (ii) conclure le processus de démarcation de la terre autochtone Krenak de Sete Salões et mettre en place des actions de réparation environnementale des terres dégradées ; (iii) mettre en œuvre des actions visant à l’enregistrement, la transmission et l’enseignement de la langue krenak ; (iv) systématiser et publier en libre accès toute la documentation relative aux graves violations des droits de l’homme des peuples autochtones liées à l’affaire8. Il est donc intéressant de noter que la récente décision de justice intègre le concept même de réparation intégrale propre au Système Interaméricain, puisqu’elle détermine des mesures de réparation des droits violés, mais aussi des mesures de satisfaction et d’une importance particulière pour le droit à la vérité et la préservation de la mémoire et de la culture du peuple Krenak.

Plus récemment, les développements au sein du Système Interaméricain ont également constitué la base de mémoires d’amicus curiae proposés par la CdH/UFMG dans des actions devant le Supremo Tribunal Federal (STF) contestant la constitutionnalité de lois municipales qui restreignent l’enseignement et l’utilisation de matériel pédagogique sur des thèmes liés au genre et à la sexualité dans les écoles publiques9. Dans son mémoire d’amicus curiae, la CdH/UFMG s’est référée à la récente décision dans l’affaire Guzman Albarracín c. Équateur10, dans laquelle, après avoir subi des agressions sexuelles successives à l’école, une jeune fille de seize ans a été poussée au suicide dans l’environnement scolaire lui-même. À cette occasion, la Cour Interaméricaine des droits de l’homme a souligné la nécessité de dispenser aux enfants et aux adolescents une éducation complète sur les droits sexuels et reproductifs adaptés à leur âge, y compris des informations sur la violence sexuelle.

III. Les efforts de la CdH/UFMG devant le Système interaméricain des droits de l’homme

Au fil du temps, la CdH/UFMG a également commencé à agir directement devant le Système interaméricain des droits de l’homme. En fait, la CdH/UFMG est coauteure d’affaires stratégiques devant le Système Interaméricain lui-même, et la principale revendication en cours concerne la protection des droits du peuple autochtone Guarani Kaiowá de la terre autochtone Guyraroká, dans l’État du Mato Grosso do Sul11. Le cas a été soumis à la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme en 201712, principalement en raison de la situation grave à laquelle est confrontée la communauté, victime de menaces et d’actes de violence constants et du risque d’expulsion dû à une décision de la deuxième chambre du Supremo Tribunal Federal en 2014 d’annuler le processus de démarcation de la terre indigène. L’annulation s’est faite à la demande des grands fermiers de la région et s’est fondée sur la thèse du « cadre temporel » (en portugais, marco temporal)13, sans que les autochtones participent au processus. En 2019, la CIDH a émis des mesures de précaution pour que l’État brésilien sauvegarde les droits à la vie et à l’intégrité personnelle de la communauté Guyraroká du peuple Guarani Kaiowá14, notamment l’adoption de mesures visant à prévenir les actes de violence de la part de tiers et celles culturellement appropriées pour l’amélioration des conditions sanitaires, de l’alimentation et de l’accès à l’eau potable. Enfin, en 2021, le Supremo Tribunal Federal a admis à l’unanimité le recours du peuple Guarani Kaiowá visant à révoquer l’annulation de la démarcation de la terre indigène de Guyraroká15. Actuellement, le procès sur le fond de l’action en rescision devant le tribunal constitutionnel brésilien et l’analyse sur le fond de la demande soumise à la CIDH sont en attente.

Malgré l’importance du système des affaires et des pétitions, le Système Interaméricain dispose de plusieurs autres outils qui jouent également un rôle important dans la protection et la promotion des droits de l’homme dans les Amériques. En ce sens, la Clinique des Droits de l’Homme de l’UFMG, tout au long de sa trajectoire, s’est engagée dans des audiences thématiques tenues lors des 157e et 162e sessions de la CIDH, qui ont abordé les thèmes suivants : « Mesure visant à réduire la détention provisoire dans les Amériques », « Droits culturels et Internet au Brésil » et « Brésil : les peuples autochtones ». La Clinique a également contribué avec les réponses au questionnaire de consultation pour la préparation du Rapport « Entreprises et droits de l’homme : paramètres interaméricains », en 2018, avec le Centre d’Études sur la Justice Transitionnelle (CJT) et le Groupe d’Études sur le Droit International des Droits de l’Homme (GEDI-DH), tous deux de l’UFMG16. Toujours en 2018, le CdH/UFMG a soutenu et accompagné la visite sur place de la CIDH au Brésil, notamment dans les territoires touchés par l’exploitation minière dans Minas Gerais.

Au sein de la Cour Interaméricaine, la CdH/UFMG a déjà contribué en tant qu’amicus curiae17 à l’avis consultatif n° 24/2017, demandé par le Costa Rica et qui portait sur les obligations étatiques en matière de changement de nom, d’identité de genre et de droits dérivés d’un lien entre couples de même sexe18.

En 2021, la Clinique des Droits de l’Homme de l’UFMG a rejoint le Réseau Académique Spécialisé de Coopération Technique avec la CIDH. En collaboration avec des groupes de recherche et des cliniques de l’Université Fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), de l’Université d’État de Rio de Janeiro (UERJ), de l’Université Fédérale Rurale de Rio de Janeiro (UFRRJ), de l’Université Fédérale de Juiz de Fora (UFJF) et de l’Université Fédérale Fluminense (UFF), un consortium a été formé pour envoyer des subventions à la Commission Interaméricaine, notamment en matière de protection des droits des enfants et des adolescents. L’objectif principal de ce travail est de diagnostiquer le degré de mise en œuvre des recommandations de la CIDH par le Brésil et de dresser une carte des organisations de la société civile actives dans ce domaine.

Conclusions

Tous ces fronts de travail de la CdH/UFMG devant le Système interaméricain des droits de l’homme illustrent les nombreuses possibilités d’action clinique devant les organes internationaux des droits de l’homme, que ce soit par le biais de litiges ou d’activités de nature plus consultative. Ils démontrent également les possibilités d’articulation stratégique entre les organes nationaux et internationaux, y compris la mobilisation croisée de ces organes, de leurs décisions et de leurs arguments en faveur de la protection et de la promotion des droits de l’homme.

Notes

  1. La Division fonctionne comme un cabinet d’avocats pour les personnes à faible revenus, mais elle n’opère pas dans une perspective clinique au sens où nous l’entendons.
  2. F. S. Bloch, « A Global Perspective on Clinical Legal Education », Revista de Educación y derecho/Education and law review, vol. 4, 2011 [https://revistes.ub.edu/index.php/RED/article/view/2206].
  3. F.B. Lapa, Clínicas de Direitos Humanos: uma proposta pedagógica para a educação jurídica no Brasil, Lumen Iuris, 2014.
  4. L.S.P. Aleixo, L.P. Amaral, T.C.S.B. Thibau, « Ferramentas ‘clínicas’ na advocacia estratégica em Direitos Humanos », Clínicas de Direitos Humanos e o ensino jurídico no Brasil: da crítica à prática que renova, A.N. Drummond, L.S.P. Aleixo (dir.), Arraes Editores, 2017, p. 35-52.
  5. CdH/UFMG, Recomendação da Clínica de Direitos Humanos da UFMG sobre o PL 5555/2013, sept. 2015 [https://encurtador.com.br/jAEJW].
  6. CdH/UFMG, Recomendações e Políticas Públicas decorrentes de sentenças proferidas pela Corte Interamericana de Direitos Humanos em casos que envolvem direitos humanos dos povos indígenas, 2016 [https://encurtador.com.br/dfiqB].
  7. En portugais, Procuradoria Regional dos Direitos do Cidadão do Ministério Público Federal.
  8. La décision a également reconnu l’existence d’une relation juridique entre le défendeur Manoel dos Santos Pinheiro et l’Union, la FUNAI et l’État de Minas Gerais, le défendeur étant l’agent public responsable, au nom des entités publiques, de la pratique d’actes violant les droits des peuples indigènes, tels que la création et l’installation de la Garde Rurale Indigène, l’administration du Reformatório Krenak et le transfert obligatoire des indiens à la Ferme Guarani de Carmésia/MG. Voir Brésil, Sentence du juge fédéral de la 14e juridiction de la Justice Fédérale de Minas Gerais en faveur du peuple autochtone Krenak, 13 sept. 2021, n° 0064483-95.2015.4.01.3800 [encurtador.com.br/bczHS].
  9. Dans certaines de ces actions, l’inconstitutionnalité des lois en question a déjà été reconnue, comme dans l’ADPF 457 (STF, 27 avr. 2020, Procurador-Geral da República vs Procurador-Geral do município de Novo Gama) par exemple, tandis que d’autres sont encore en attente d’une décision, comme dans les Arguição de Descumprimento de Preceito Fundamental (Allégation de non-respect d’un précepte fondamental) 462, 466, 578. La DAJ et le Centre Académique Afonso Pena (CAAP), tous deux liés à la Faculté de droit de l’UFMG, ont été co-partenaires de ces manifestations.
  10. CrIADH, 24 juin 2020, Guzmán Albarracín y Otras c. Equateur (Mérite, réparations et frais).
  11. Sont également co-pétitionnaires dans la demande au fond et/ou la demande de mesures conservatoires : Aty Guasu Kaoiwá e Guarani ; Coletivo para o Acesso à Justiça Internacional (CAJIN); Conselho Indigenista Missionário (CIMI) ; Comunidade Guyraroka; Núcleo de Direitos Humanos da Unisinos; Faculdade de Direito e Relações Internacionais da UFGD; Universidade Estadual de Mato Grosso do Sul.
  12. CdH/UFMG et al., Petição de denúncia à Comissão Interamericana de Direitos Humanos acerca das violações de direitos humanos sofridas pela Comunidade Guyraroká do povo Guarani Kaiowá, 2017 [https://encurtador.com.br/pJPXZ].
  13. Selon la thèse mentionnée, un territoire indigène ne pouvait être délimité que dans les zones où se trouvaient les peuples autochtones à la date de promulgation de la Constitution brésilienne, le 5 octobre 1988. Cependant, cette thèse ne tient pas compte du fait que pendant la période de la dictature militaire brésilienne (1946-1988), une politique d’expulsion des Indiens de leurs territoires a été menée, selon le rapport final de la Commission nationale de la vérité [http://cnv.memoriasreveladas.gov.br].
  14. CommIADH, 29 sept. 2019, Résolution no 47/19 (MC 458-19), Miembros de la comunidad Guyraroká del Pueblo Indígena Guarani Kaiowá c. Brésil.
  15. STF, Agravo regimental na Ação Rescisória nº 2.686, Distrito Federal. Relatoria Min. Luiz Fux [https://encurtador.com.br/gyGL2. DJE 14/04/2021].
  16. CJT/UFMG; CdH/UFMG; GEDI-DH/UFMG, Resposta Conjunta ao Questionário de Consulta para Elaboração do Relatório « Empresas e Direitos Humanos: Parâmetros Interamericanos », 2018 [https://encurtador.com.br/kuEJY].
  17. CdH/UFMG, Memorial de amicus curiae apresentado pela Clínica de Direitos Humanos da Universidade Federal de Minas Gerais em relação à Opinião Consultiva solicitada pelo Estado da Costa Rica, fév. 2017 [https://encurtador.com.br/hGN24].
  18. CrIADH, 24 nov. 2017, Identidad de género, e igualdad y no discriminación a parejas del mismo sexo. Obligaciones estatales en relación con el cambio de nombre, la identidad de género, y los derechos derivados de un vínculo entre parejas del mismo sexo (interpretación y alcance de los artículos 1.1, 3, 7, 11.2, 13, 17, 18 y 24, en relación con el artículo 1 de la Convención Americana sobre Derechos Humanos), Opinión Consultiva OC-24/17.