Revue Cliniques Juridiques > Volume 7 - 2023

La Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables de l’Université de Genève : une décennie de travaux pour la justice sociale

Dans cette contribution, Camille Montavon, Vista Eskandari et Quentin Markarian, toustes trois co-responsables de la Law Clinic de l’Université de Genève, reviennent sur le projet d’anniversaire pour fêter les 10 ans de la Law Clinic. Deux articles présents dans ce numéro de la Revue (par Djemila Carron et Laura Russo) ont par ailleurs été initialement publiés dans le magazine des 10 ans de la Law Clinic. Nous remercions l’équipe de la Law Clinic pour sa générosité.

Dix ans, cela permet d’ouvrir et d’investir de multiples champs d’action, tel qu’en témoignent les travaux menés par la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables de l’Université de Genève1 depuis sa création en 2013. Des recherches juridiques approfondies effectuées par plus de 160 étudiantexs sur non moins de sept thématiques différentes2, à la publication de brochures, rapports et articles scientifiques3, en passant par des conférences, formations et entretiens de presse, la Law Clinic s’est faite l’auteure d’une riche production, toujours destinée à répondre à un besoin d’information juridique exprimé par des personnes en situation de vulnérabilité et des associations, dans une perspective plus large de contribution à la justice sociale. Soutien et relai de parole traduite en langage juridique et scientifique, avant d’être vulgarisée, la Law Clinic travaille, dès ses débuts, pour et avec les personnes et associations concernées, qui portent ses projets et les font perdurer, tout en offrant une formation pratique aux étudiantexs en droit.

En vue de saluer et mettre en lumière le travail accompli en une décennie par cette clinique juridique pionnière dans le monde académique suisse, un projet d’anniversaire a été déployé sur deux pans au cours de l’année 2023. D’une part, il a été entrepris de réunir, dans un ouvrage collectif présenté sous la forme plus accessible d’un magazine4, des contributions de personnes ayant œuvré au sein de la Law Clinic ou ayant collaboré avec elle, de près ou de loin : des alumni, des chercheureusexs, des personnes concernées et des professionnellexs travaillant dans les associations de défense de leurs intérêts. Ainsi la diversité des profils et des approches est-elle au cœur de cette publication, qui constitue non seulement une précieuse archive de la Law Clinic mais se veut également être le reflet de la synergie caractéristique d’un programme académique ayant permis de bâtir des ponts entre l’Université et la Cité.

D’autre part, une conférence publique5 s’est tenue le 19 octobre à l’Université de Genève, autour d’un thème au cœur des missions de la Law Clinic : la justice sociale. Il faut dire que l’enseignement de cette clinique juridique, initialement orienté dans un but d’intérêt public, a été repensé pour être progressivement présenté comme répondant à un double objectif d’intérêt public et de justice sociale. Tout en admettant le caractère polysémique de cette dernière notion, la Law Clinic y trouve l’expression de son ambition de contribuer, en toute humilité et à travers un enseignement universitaire d’une grande rigueur scientifique et professionnalisant, à favoriser l’accès au droit pour des groupes de personnes particulièrement exposées à des violations de leurs droits humains. D’où la volonté d’initier et de nourrir une réflexion, à l’Université de Genève, sur les rôles du droit, y compris de son enseignement, dans la poursuite de la justice sociale, ce à travers deux interventions. Premièrement, celle de Djemila Carron, juriste et co-fondateurice de la Law Clinic, professeurex à l’Université du Québec à Montréal, qui a abordé l’importance des cliniques juridiques dites militantes, tout en soulignant les défis de leur mise en œuvre, en se fondant notamment sur sa riche expérience d’enseignement clinique6. Secondement, Liora Israël, sociologue du droit et de la justice, directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, s’est intéressée aux différents usages du droit dans les luttes politiques et sociales, prenant appui sur plusieurs années de recherches7. Des interventions qui ont mis en lumière, à travers des prismes différents mais indéniablement complémentaires, les « coûts et avantages »8 du recours au droit en vue de participer à la justice sociale.

En tout état de cause, s’ils ont été le temps d’une rétrospective, les dix ans de la Law Clinic auront également été l’occasion de mesurer l’ampleur du travail qu’il reste à accomplir dans le cadre de ce programme académique sortant des sentiers battus. Aussi espérons-nous que la clinique puisse se renouveler et poursuivre son travail pédagogique et d’intérêt public pendant de longues années encore. Car dix ans, c’est si peu, face aux multiples situations de vulnérabilité juridique dans lesquelles se trouvent des personnes qui pourraient bénéficier d’une meilleure information sur leurs droits. Dix ans, c’est si peu pour s’inscrire dans cette mission de longue haleine qu’est la défense des droits humains et de la justice sociale.

Notes

  1. [https://www.unige.ch/droit/lawclinic/]
  2. Avec un fort ancrage dans les problématiques juridiques locales, la Law Clinic a traité des droits des personnes « rom » en situation précaire à Genève (2013), des droits des femmes sans statut légal à Genève (2014-2015), des droits des personnes en détention provisoire à la prison de Champ-Dollon (2015-2016), des droits des personnes LGBT+ (2016-2018), des droits des jeunes personnes migrantes non accompagnées (2018-2020), des droits des personnes en situation de handicap (2020-2022), et des droits des personnes travailleuses du sexe (2022-2024).
  3. Les contributions écrites publiées par la Law Clinic sont librement accessibles sur : https://www.unige.ch/droit/lawclinic/publications/brochures.
  4. Camille Montavon, Quentin Markarian, Vista Eskandari (dir.), 10 ans de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables, Genève, 2023 [https://archive-ouverte.unige.ch/unige:17354].
  5. À visionner sur : [https://mediaserver.unige.ch/play/203562].
  6. Voir à ce propos la contribution de l’auteurice dans la présente revue.
  7. Voir notamment : Liora Israël, L’arme du droit, Paris, 2009 ; Liora Israël, À la gauche du droit : Mobilisations politiques du droit et de la justice en France (1968-1981), Paris, 2020.
  8. Liora Israël, « Faire émerger le droit des étrangers en le contestant, ou l’histoire paradoxale des premières années du GISTI », Politix, vol. 62, 2003, p. 116.