Revue Cliniques Juridiques > Volume 1 - 2017

Dix étapes pratiques pour la mise en place et la gestion d’une clinique juridique

Cet article a initialement été publié au sein de l’ouvrage : Xavier Aurey (dir.), Les Cliniques juridiques, Presses Universitaires de Caen, 2015. Merci aux PUC d’avoir autorisé sa mise en ligne. Traduction par Xavier Aurey. Version originale publiée sous le titre « Ten Practical Steps to Organization and Operation of a Law School Clinic ».

Je propose ces dix étapes à toute Faculté de droit de par le monde, en me fondant sur mon sentiment que l’expérience d’enseignement et de conception d’une clinique juridique est universelle et valable pour n’importe quelle culture. Ces dix étapes n’ont pas à être suivies en même temps, la marche vers une clinique idéale se faisant par leur mise en œuvre progressive. J’ai construit ces dix étapes sur ma propre expérience d’enseignant dans une clinique juridique américaine pendant presque vingt ans, et sur mon implication dans la création de cliniques juridiques en Amérique latine, en Europe centrale et de l’est, en Asie et en Afrique. La littérature en matière d’enseignement clinique, tant américaine qu’étrangère, m’a également été d’une grande aide1.

Ces dix étapes résultent d’un ensemble commun de questions que chacun d’entre nous doit se poser en tant qu’enseignant en droit et en tant que juriste. Elles sont si triviales que nous oublions souvent de les formuler, mais elles comprennent bien sûr les questions suivantes :

En matière de pratique du droit :

  • Qu’est-ce qu’un bon juriste ?
  • Que fait un bon juriste ?
  • Avec qui les juristes travaillent-ils ?
  • Quelles sont les caractéristiques des institutions juridiques et des administrations avec lesquelles les juristes travaillent ?
  • Quelles sont les valeurs et l’éthique – en théorie et en pratique – qui gouvernent la pratique du droit ?

En matière d’enseignement du droit :

  • Qu’est-ce qu’un bon enseignant ?
  • Comme faire pour que les étudiants apprennent efficacement ?
  • Comment les bons professeurs enseignent-ils aux étudiants ce que les bons juristes font (la problématique de l’enseignement pratique vs l’enseignement théorique) ?
  • Les étudiants apprennent-ils mieux en écoutant, en lisant, en regardant ou en pratiquant ?
  • Existe-t-il des théories sur une pratique efficace et réfléchie du droit qui peuvent être intégrées en tant que composantes d’un cursus juridique ?
  • Qu’est-ce qu’une clinique juridique ?

1. Quatre hypothèses

Je souhaite partir de quatre hypothèses avant de développer les dix étapes, considérant que nombre de mes lecteurs créeront la première clinique juridique de leur région ou de leur pays. Ces hypothèses sont les suivantes :

1.1 Définition d’une « clinique »

J’utilise la définition suivante d’une clinique juridique, et l’échec à mettre en place l’un des éléments de cette définition pourrait modifier radicalement la méthode de création et de gestion telle que développée ensuite. Une clinique au sens complet du terme est composée de cinq éléments fondamentaux :

  1. La clinique est intégrée dans un cursus universitaire en droit, et elle offre une note aux étudiants pour leur participation tant à la prise en charge des affaires et des projets, qu’aux séminaires qui sont donnés avant ou pendant cette activité ;
  2. Les étudiants travaillent sur des cas et des projets réels, dans la mesure où les normes en vigueur autorisent une telle pratique, et avec l’objectif de faire évoluer ces règles pour permettre une pratique la plus large possible ;
  3. Les clients de la clinique sont généralement ceux qui n’ont autrement pas les moyens d’accéder à un service juridique, que ce soit en raison de leurs conditions financières, en raison d’une marginalisation sociale, ou du fait de la nature unique ou complexe de leur demande ;
  4. La représentation d’un client par les étudiants est supervisée de manière étroite par un avocat expérimenté, admis à exercer devant la juridiction en cause, et de préférence également enseignant au sein de la Faculté de droit ;
  5. Le travail sur des cas réels est accompagné par un cours au sein de la Faculté, enseigné au moyen de méthodes de formation par la pratique, telles la simulation, les jeux de rôles, afin d’apprendre aux étudiants les compétences, les valeurs et l’éthique nécessaires à la pratique du droit.
1.2 Le besoin de refondre les cursus de la Faculté de droit

Comme le laisse entrevoir la définition présentée, la création d’une clinique va probablement requérir des changements dans les cursus de la Faculté de droit, dont la structure formelle et légale peut être imposée de manière interne ou externe. Une clinique ne remplace pas le cours magistral ou les travaux dirigés, mais elle ajoute une ouverture aux formations juridiques. La création d’un programme clinique doit ainsi être en accord avec les objectifs pédagogiques généraux de la Faculté de droit. Pour toute réécriture d’un cursus, ceux qui souhaitent mettre en place une clinique doivent, entre autres, prendre en considération les éléments suivants : (1) dans quelle(s) année(s) du cursus la participation à la clinique va être proposée (j’ai vu des cliniques aux États-Unis ouvrant leur portes aux étudiants dès leur première année, et des cliniques de tradition continentale n’acceptant pas d’étudiant avant la troisième année d’un cursus en cinq ou six ans)2 ; (2) une préparation des étudiants à leur participation à la clinique, soit sous la forme de cours spécifiques, soit dans le cadre d’un programme d’enseignement général confiant aux étudiants de plus en plus de responsabilités sur des cas réels ou hypothétiques ; (3) le caractère optionnel ou obligatoire de la participation à la clinique.

1.3 La présence d’un enseignant d’un rang suffisant au sein de la Faculté comme coordinateur pour la création et la mise en œuvre de la clinique

L’expérience a montré qu’un coordinateur extérieur n’est pas aussi efficace sur l’instant et dans la durée que le soutien d’un membre du corps enseignant de la Faculté, généralement un professeur ou le doyen.

1.4 Les usages et objectifs du droit en lui-même.

Il existe au sein de toute société un débat important sur les fins et les moyens du droit et des institutions juridiques. Certaines cliniques ont comme objectif premier de former des juristes débutants compétents, capables dans leur pratique de mettre en œuvre de manière réfléchie les compétences, l’éthique et les valeurs acquises durant la formation clinique. D’autres cliniques voient davantage leur rôle comme d’être des agents d’une évolution sociale profonde, et dans le long terme, grâce au droit – ce que certains appellent aux États-Unis « public interest law practice » ou « social change law practice »3. Cette dernière conception peut affecter la manière dont la clinique choisit ou non de prendre un type d’affaire ou d’utiliser telles stratégies ou procédures juridiques spécifiques. L’idée que l’on se fait du rôle du droit se manifeste généralement d’elle-même au sein de la clinique lors de la plupart des cas ou des projets et l’encadrant perspicace mettra en lumière le potentiel pour une évolution du droit et du social, discutant avec les étudiants du rôle et des conséquences des actions de la clinique juridique. Cet article ne prend toutefois pas position sur cette question, reconnaissant que de telles décisions relèvent plus des faits et des idéaux des créateurs de la clinique.

2. Dix étapes pratiques dans l’organisation et la gestion d’une clinique

2.1 Étapes de mise en place
Étape 1 : Décider des buts et objectifs de la clinique dans le cadre plus général de la formation juridique de l’institution.

Les programmes cliniques qui réussissent sont ceux conçus en relation avec les contraintes et capacités locales. Parmi tous les buts que votre clinique peut se donner, on retrouve : l’enseignement de techniques de résolution des problèmes, l’acquisition de compétences de collaboration, de responsabilités professionnelles, de compétences techniques, du management d’un calendrier, d’une sensibilité aux questions de genre, d’ethnicité, de religion ou de culture, de compétences de persuasion et de plaidoyer tant à l’oral qu’à l’écrit, d’une capacité à utiliser la doctrine pour faire avancer une revendication juridique, d’une vision critique des institutions… À l’American University, nous donnons priorité aux objectifs suivants : le travail sur les faits (dans l’hypothèse où les autres enseignements des facultés de droit sont principalement centrés sur les lois et les codes, dans leur partie tant substantielle que procédurale), les théories pratiques appliquées de manière cohérente aux affaires et aux clients de la clinique, et l’idée qu’une affaire n’est qu’une métaphore pour toutes les autres, faisant ainsi de l’efficacité un objectif moins important que le déroulement nécessairement lent du processus de décision entre les étudiants et les clients, suivant une planification réfléchie, la pratique et la réflexion.

Un autre aspect de la mise en place d’objectifs est celui de pouvoir situer les cliniques dans des exigences plus larges en matière d’admission à la pratique du droit au sein de la juridiction concernée. En plus d’une période d’éducation juridique formelle, les règles en vigueur peuvent prévoir une période de stage, une formation spéciale pour les procureurs, les juges ou les avocats à la cour, un service social obligatoire pendant la formation, un examen d’accès au barreau et/ou l’adhésion obligatoire à un barreau, ou toute autre étape pour l’obtention d’une licence d’exercice. Un programme efficace d’enseignement clinique du droit doit fonctionner en association, et non en compétition, avec les autres aspects de la formation juridique, tous partageant le but commun de former des juristes compétents et professionnels.

Étape 2 : Identifier les personnes compétentes pour encadrer la clinique

Une clinique ne ressemble à aucun autre aspect de la formation juridique traditionnelle ; elle correspond dans les faits à la mise en place d’un cabinet juridique au sein de la Faculté. L’une des questions fondamentales est alors de définir les caractéristiques du « professeur clinique ». De mon point de vue, l’enseignant qui travaille dans une clinique sera impliqué à la fois dans la supervision des affaires et dans l’enseignement en classe, ce qui semble suffisant pour permettre l’ouverture d’un poste à plein-temps au sein de la Faculté de droit. La question du statut de ces enseignants devrait être prévue clairement dès avant l’ouverture de la clinique. Un enseignant ne devrait ainsi pas prendre part au travail d’une clinique en plus de ses enseignements traditionnels, sans une reconnaissance appropriée et un ajustement de ses autres obligations et/ou de sa rémunération, et en fonction de la demande pour l’enseignement clinique. Comme la plupart des enseignants en droit en dehors des États-Unis sont à la fois universitaires et praticiens4, cette combinaison offre un excellent potentiel pour encadrer une clinique. Une autre option assez commune est de disposer d’un membre du corps enseignant pour coordonner la clinique et enseigner le séminaire associé, tandis que des avocats expérimentés, recrutés pour travailler au sein de la clinique, assurent la supervision des affaires. Le nombre d’enseignants dédiés à la clinique sera fonction du nombre de thématiques ouvertes, d’étudiants intéressés, des ressources disponibles à court et long-terme et d’autres facteurs. Aux États-Unis, une étude de 1990 (la dernière en date sur les cliniques) a montré que le ratio moyen enseignant / étudiant au sein d’une clinique était légèrement supérieur à 1 pour 85. En plus des enseignants, la clinique peut avoir besoin de personnels de soutien, compétents dans les relations avec le public et entraînés à rédiger des requêtes, à moins que ces fonctions puissent être assumées par des étudiants. Un responsable administratif peut être nécessaire pour les programmes les plus importants.

Étape 3 : Sélectionner une thématique sur laquelle la clinique va travailler

Là encore, cette question relève généralement d’une décision locale mûrement réfléchie, liée tant à la localisation de la clinique, aux différents tribunaux et agences gouvernementales accessibles, qu’à la composition de la population à laquelle elle s’adressera. Il pourrait être approprié de mener une étude formelle de ces questions avant le début des travaux. Les questions de base comprendront le fait de savoir si la clinique ne sera engagée que dans des litiges, comme c’est généralement le cas, ou si elle interviendra dans d’autres domaines, telles les actions de plaidoyer (droit transactionnel, procédure législative, ou autre action politique) ou le développement à long-terme de la communauté6. Le point de départ le plus commun pour un nouveau programme clinique est de partir d’une thématique en lien avec la pratique du droit criminel, du droit civil, du droit administratif ou du droit de la famille. Les autres options relèvent de thèmes ou de mécanismes particuliers (discriminations, droits des minorités, droits de l’homme, intérêt général, « community development »7, « Street Law »8, ONG, médiation, législation, etc.) ou de groupes affectés spécifiques (femmes, enfants, peuples autochtones, réfugiés, prisonniers, etc.). Le choix de la thématique est souvent fonction de l’intérêt ou de la motivation d’un professeur particulier, dont les longues heures d’engagement auprès de la clinique sont souvent reliées à une expérience, un dévouement passionné ou un intérêt spécifique pour le sujet.

Étape 4 : Déterminer une durée d’engagement des étudiants dans la clinique et une forme de notation appropriée pour leur participation

La durée la plus commune pour la participation des étudiants est d’un ou deux semestres, parfois avec une possibilité de renouvellement. Toute clinique doit décider de ce qu’il faut faire pour les interruptions du calendrier scolaire, telles les fermetures liées aux vacances. Les juridictions et les actions publiques continuent généralement pendant ces pauses, et tant les étudiants que les enseignants resteront responsables de leur dossiers durant ces périodes. Là encore, le niveau d’engagement des étudiants peut influencer la portée de la notation, mais les étudiants ne doivent pas non plus devenir des substituts à la responsabilité du gouvernement à fournir une aide juridique subsidiaire pour les indigents, compatible avec les obligations constitutionnelles et celles en matière de droits de l’homme. Une confusion entre les buts de l’enseignement et le service au public peut amener à un échec sur ces deux points : une formation des étudiants inadéquate et un service faible rendu aux clients. Dans nos cliniques de l’American University, le nombre typique d’affaires suivies par une équipe de deux étudiants se situe entre 3 et 5 à la fois.

Étape 5 : Concevoir un système d’évaluation efficace des élèves

La participation des étudiants à une clinique peut être notée sur un système du « tout ou rien »9, ou bien des notes peuvent leur être accordées. Dans une clinique, l’évaluation est complexe et nécessairement subjective, même dans les rares cas où un examen est organisé à la fin de la participation à la clinique. Cela résulte du fait que l’expérience des étudiants sur les cas est variable et dépend des clients, du calendrier judiciaire et d’autres facteurs indéterminés. Dans les faits, comme un collègue l’affirme, « la note peut devenir l’ennemie de l’apprentissage ». Nous utilisons un système d’auto-évaluation dans lequel les étudiants écrivent un rapport réflexif sur leur expérience dans les domaines que nous avons posés comme des objectifs pour la clinique : « case theory »10, relation avec le client, collaboration, gestion de l’agenda, etc. Nous donnons des notes à la fois pour le travail sur l’affaire et pour le séminaire.

Étape 6 : Prévoir un système pour le recrutement des étudiants et la recherche de projets pour la clinique

Quand une clinique ouvre ses portes dans une Faculté de droit, les étudiants peuvent être sceptiques sur son utilité pour eux. Ils doivent être convaincus de l’importance des études cliniques même dans les cas où leur participation est obligatoire. Ils voient ensuite rapidement que leur participation à la clinique est un travail passionnant et stimulant qui leur permet d’être d’autant plus adaptés au marché de l’emploi après leur diplôme. Si la clinique nécessite des prérequis pour s’inscrire, les étudiants doivent en avoir été prévenus suffisamment tôt. À l’American University, où l’intérêt pour les cliniques a toujours dépassé notre capacité d’accueil, nous utilisons un système qui inclut une réunion générale d’information préalable à toute candidature, suivie par une sélection fondée sur les préférences des étudiants, tout cela bien avant la période normale d’inscription. La sélection des étudiants pour les cliniques peut se baser sur un recrutement ouvert (tous ceux qui candidatent sont acceptés), sur les notes préalablement obtenues, sur l’expérience déjà acquise, ou sur un tirage au sort. Notre système correspond à un tirage au sort orienté, pour lequel une certaine préférence est donnée aux étudiants qui n’ont jamais participé à une clinique et n’ont pas d’autre opportunité de le faire, et le résultat doit correspondre à certains besoins spéciaux tels celui de l’équilibre entre les communautés ethniques et les hommes et les femmes et celui des compétences linguistiques. La recherche de projets est également une question importante. Si les clients doivent se rendre à la Faculté de droit ou dans un autre bâtiment qui abrite la clinique, ils doivent tout d’abord être au courant de l’existence de tels services. Ce processus de publicité de l’activité clinique implique la publication de prospectus et l’usage d’autres médias locaux pour faire connaître l’accès à la clinique, le démarchage auprès des tribunaux et dans le cadre de réunions publiques, et une dose de bouche à oreille. Si les projets sont pris sur renvoi, il est important de cultiver les relations avec les ONG locales et les autres sources de renvoi et d’établir des protocoles appropriés de communication.

Étape 7 : Etablir un budget et des sources de financement pérennes pour la clinique

Nombreux sont ceux qui indiqueraient cette étape comme la première et la plus importante. Je ne la vois toutefois que comme la conséquence d’une bonne organisation, et non comme la cause. Si la clinique a de bons objectifs, elle acquerra rapidement une légitimité au sein de la Faculté de droit et de la communauté alentour, et cette légitimité permettra d’attirer des fonds. L’objectif à long-terme est que la Faculté finance elle-même la formation clinique comme une composante clé du cursus, et que l’apport de l’enseignement clinique aux étudiants, aux enseignants et à la communauté juridique compense largement le travail intensif des enseignants dans ce cadre, tout comme cela l’a été dans celui des autres professions qui utilisent l’enseignement clinique comme aspect de leur formation.

2.2 Étapes opérationnelles
Étape 8 : Construire une relation durable avec la communauté juridique extérieure à la Faculté de droit

Pour qu’une clinique puisse travailler efficacement, elle doit avoir des liens étroits avec la communauté juridique en dehors de la Faculté de droit. Cela inclut le barreau local, les juges et autres officiels des tribunaux, les départements et autres agences gouvernementales fournissant des services dans la zone dans laquelle la clinique opère, les ONG, et les enseignants des autres Facultés de droit. Pour fournir des services juridiques qualifiés, une clinique doit disposer de moyens complets permettant aux enseignants et aux étudiants de se tenir à jour des développements récents du droit et des institutions juridiques, aux travers de publications et de séminaires de formation continue, de services d’emails, d’accès à internet, de mailing-listes et de tout autre moyen de communication. Aux États-Unis, il existe deux associations regroupant les plus de 2000 enseignants cliniques au sein des plus de 160 Facultés de droit, l’une d’elles étant affiliée à l’association générale des Facultés de droit11, et l’autre étant indépendante12.

Étape 9 : La Clinique juridique doit être capable de gérer les affaires comme un cabinet d’avocat implanté au sein de la Faculté de droit

Toutes les questions qu’implique la gestion d’un cabinet d’avocats sont trop précises pour être documentées de manière complète dans ce court article. Deux des plus importantes, qui se trouvent au croisement de la formation juridique et de la pratique du droit, sont celles de la supervision appropriée des étudiants et des attentes de ces « avocats en formation ». L’encadrement des étudiants en droit a reçu plus d’intérêt que tout autre sujet d’étude du champ aujourd’hui assez développé de la doctrine clinique, parfois appelée « théorétique de la pratique ». L’usage de techniques non-directives pour la supervision du travail des étudiants – des techniques qui permettent à l’étudiant d’assumer la complète responsabilité du travail de représentation du client – relève des questions les plus difficiles à résoudre pour les enseignants cliniques. De même, au sein des cliniques juridiques étrangères, il est souvent nécessaire de définir des heures spécifiques ou des exigences de présence obligatoire pour s’assurer que les étudiants consacrent le temps nécessaire à la clinique afin de pouvoir être notés. Les autres questions qui se présentent dans toute clinique fonctionnant comme un cabinet juridique, et pour lesquelles de nombreuses réponses ont été apportées, sont les suivantes :

  • Manuels des procédures et des ressources
  • Salles et équipements : de quoi a besoin la clinique afin que les clients puissent avoir accès à ses services, avec une protection de la confidentialité des entretiens avec les étudiants, mais aussi du matériel utilisé ?
  • Bibliothèque et ressources informatiques pour accéder à l’information et aux ressources juridiques spécialisées, et pour permettre aux étudiants de travailler
  • Téléphone, matériel de bureau, reprographie
  • Formulaires, documents, déclaration formelle de mission
  • Sécurisation des fichiers pour une protection contre les atteintes à la confidentialité
  • Procédure pour vérifier les problèmes de conflit d’intérêts entre clients, étudiants et encadrants
  • Experts : autres membres du corps enseignant disposant de connaissances pratiques et théoriques, et pouvant servir d’experts pendant une affaire
  • Système de suivi et de contrôle des frais de contentieux
  • Procédures pour le transfert et la clôture d’affaires par les étudiants et les encadrants
  • Système de renvoi des clients non pris en charge vers d’autres avocats (des anciens de la clinique !) ou d’autres institutions publiques ou privées
  • Réunions régulières entre étudiants et encadrants pour discuter de la situation administrative et du fond de l’activité de la clinique
  • Achat d’une assurance collective en responsabilité professionnelle pour les enseignants, les étudiants et les encadrants impliqués dans les questions de représentation de clients
Étape 10 : Conception d’un séminaire pratique offert en parallèle du travail clinique

L’intérêt d’un séminaire clinique ne réside normalement pas dans l’enseignement des normes juridiques, de la doctrine ou des procédures. Il est assumé que les étudiants auront préalablement étudiés ou lus suffisamment pour être compétents sur ces questions. Bien que peu de documentation existe en dehors des États-Unis sur l’enseignement des compétences, le séminaire doit viser en priorité un enseignement pratique des compétences, de l’éthique et des valeurs liées à la pratique du droit. Là encore, l’enseignement par la pratique n’est pas un domaine pour lequel la plupart des professeurs de droit ont été formés, mais une telle compétence peut s’acquérir par des exercices rédactionnels, des entraînements et des simulations fournissant un contexte aux étudiants pour leur formation. Beaucoup des documents publiés en anglais donnent les structures basiques propres à la création de tels programmes de formation, et nombreuses sont les Facultés à avoir développé leurs propres outils sur les compétences, l’éthique et les valeurs à destination des étudiants. Notre programme de séminaire à l’American University utilise une simulation continue où est gérée l’affaire d’un client type de la clinique, à toutes les étapes de la représentation, et elle se déroule pendant toute l’année scolaire. Le premier semestre de notre cours met en avant les compétences de base – entretien, « case theory », enquête de terrain, conseil, négociation, sélection des experts – tandis que le second porte sur les compétences propres au procès, avec des éléments supplémentaires sur la pratique du droit visant à un changement social et sur les questions de satisfaction professionnelle. Certaines cliniques usent d’une période d’orientation de 1 à 3 jours avant le début des cours comme un moyen de préparer les étudiants à cette nouvelle forme d’apprentissage, mais aussi comme élément de préparation de l’équipe et pour identifier les capacités des étudiants relatives aux différentes étapes d’une affaire. Une autre innovation utilisée en lien avec le séminaire clinique consiste en une variation du concept des « tournées cliniques »13. Adapté de la médecine, cet exercice consiste en un exposé des questions et problèmes liés aux affaires et projets, mené par les étudiants. Les tournées permettent aux étudiants de développer leur capacité à utiliser le vocabulaire juridique et à décrire l’ordonnancement juridique de manière confiante et claire, ainsi que de favoriser leur sens de la collaboration, puisque les autres étudiants offrent généralement leur aide pour résoudre les problèmes techniques à partir de leur propre expérience.

***

Les dix étapes ne sont ni infaillibles, ni une panacée pour les problèmes de création d’une clinique et de méthode. Nous espérons toutefois qu’elles peuvent fournir une feuille de route pour l’établissement d’un nouveau programme clinique, et qu’elles vous inspireront pour vous lancer dans un tel projet dès aujourd’hui !

Notes

  1. Je voudrais particulièrement remercier tous mes collègues de l’American University, leaders dans les écrits en matière de cliniques juridiques, et Phil Schrag pour son cadre d’analyse, tel qu’il l’a développé dans son article Constructing a Clinic, 3 Clinical Law Review 175 (1996).
  2. NdT : Il faut toutefois noter que ces deux exemples renvoient généralement à la même réalité. En effet, les études de droit ne commencent aux États-Unis qu’après trois années de formation universitaire générale et l’obtention d’un undergraduate degree. En France, les études de droit débutent dès la sortie du lycée et l’obtention du baccalauréat. Une première année de droit aux États-Unis correspond donc à un niveau 3e année de Licence / 1e année de Master en France, même si les choses sont difficilement comparables (un étudiant français inscrit en 3e année de droit ayant une expérience de la matière que l’étudiant américain ne possède pas).
  3. NdT : Ces deux expressions, propres au milieu juridique américain, sont difficilement traduisibles. Littéralement elles signifieraient « la pratique du droit dans l’intérêt public » et « la pratique du droit visant à une évolution sociale ».
  4. NdT : ce qui n’est pas non plus le cas en France.
  5. Report of the Committee on the Future of the In-House Clinic, 42 Journal of Legal Education 508, 538 (1992). Cela correspond aux membres de la Faculté à plein-temps, assurant la supervision des affaires et enseignant un séminaire clinique. Il est généralement admis que ces ratios ont diminué avec le temps.
  6. NdT : ici aussi il est difficile de traduire l’expression originale anglo-saxonne de « community development », définie par l’International Association for Community Development comme « un ensemble de pratiques et de méthodes qui mettent l’accent sur ​​la mobilisation des capacités innées et le potentiel qui existent dans toutes les communautés humaines à devenir les agents actifs de leur propre développement et à s’organiser pour aborder les questions clés et les préoccupations qu’ils partagent » [http://www.iacdglobal.org/about].
  7. NdT : voir note précédente.
  8. NdT : Une expression également difficile à traduire sans recourir à une périphrase. Le « Street Law » correspond ainsi aux actions de formation et de vulgarisation juridiques, généralement à destination des populations défavorisées et des jeunes.
  9. NdT : « pass-fail basis » pour la version originale.
  10. NdT : là encore, l’expression « case theory » propre au discours juridique anglo-saxon ne trouve pas d’équivalent en français. C’est une forme d’approche stratégique de l’affaire à traiter, regroupant les éléments de fait, de droit et les options à choisir ou à laisser de côté.
  11. NdT : La Section on Clinical Legal Education de l’Association of American Law School [http://www.aals.org].
  12. NdT : La Clinical Legal Education Association [http://www.cleaweb.org].
  13. NdT : des tournées que l’on trouve dans le cadre des études médicales.