I. Contexte
Organiser une semaine de formation sur les bases des droits de l’enfant pour les sages et les leaders du camp de réfugiés de Kakuma, tel est le défi relevé par des étudiant-e-s en droit de Genève, Nairobi et Kakuma lors de l’année académique 2018-2019 avec le cours Applied Human Rights proposé par InZone. InZone est un Centre académique de l’Université de Genève qui vise à créer des espaces de formation universitaire dans les camps de réfugiés du Kenya et de Jordanie1. Présent dans ces situations fragiles depuis presque dix ans, InZone propose des cours universitaires aux personnes réfugiées avec un suivi élaboré sur le modèle d’un learning ecosystem (ecosystème d’apprentissage et d’études) développé spécifiquement pour l’apprentissage dans ces lieux2. Combinant enseignement en ligne et sur place, tutorat à distance et management dans le camp entièrement géré par des individus réfugiés, les étudiant-e-s InZone des camps peuvent commencer ou poursuivre des parcours universitaires de qualité dans des matières allant de l’histoire à la médecine, de l’ingénierie aux droits humains en passant par les arts appliqués ou encore l’éthique3.
Le camp de Kakuma est un des plus grands au monde avec plus de 180000 habitant-e-s d’environ vingt nationalités différentes4. Il fut créé en 1992 pour accueillir les « garçons perdus du Soudan ». Des guerres et instabilités s’enchainant dans les pays alentours du Kenya, le camp a au fil des ans accueilli de nombreuses vagues de migration forcée. Il est actuellement divisé en quatre sous-camps : Kakuma 1, Kakuma 2, Kakuma 3 et Kakuma 4, ainsi qu’en un campement intégré (« integrated settlement ») de Kalobeyei réunissant population réfugiée et population locale des Turkanais-es5. Kakuma se situe dans une région semi-aride et précaire du Kenya, dans le comté du Turkana, à la frontière avec l’Ouganda, le Sud-Soudan et l’Ethiopie. Les conditions de vie dans la région et dans le camp sont pénibles puisque s’ajoutent aux difficultés climatiques et aux dangers environnementaux une grande précarité avec un accès restreint à la nourriture, à l’eau, à l’électricité, à l’éducation, au travail et à la mobilité6. Le Kenya a en effet mis en place un régime d’encampement obligatoire confinant les personnes réfugiées à vivre dans des camps, à quelques exceptions près7.
Le camp de Kakuma est administré conjointement par le gouvernement kenyan au travers du Refugee Affairs Secretariat (RAS) et par le UNHCR8. La répartition des compétences entre ces autorités varie dans le temps avec les aspects sécuritaires gérés principalement par une police kenyane alors que l’administration quotidienne du camp (nourriture, eau, soins, soutien psycho-social, soutien juridique, loisirs, etc.) relève du UNHCR et de ses nombreux partenaires opérationnels. Le camp est également depuis début 2012 soumis à une organisation intercommunautaire mise en place par le RAS et le UNHCR au travers de la Constitution du camp9. Selon ce texte, Kakuma est divisé en quatre camps puis en zones et en blocks. La même division a été suivie pour Kalobeyei avec des appellations différentes10. Des élections dans chacun des blocks permettent d’avoir des personnes réfugiées – blocks et zones leaders – en charge de différentes fonctions à l’intérieur du camp comme la gestion de l’eau ou de la nourriture, en collaboration et sous la gouvernance du UNHCR et de ses partenaires opérationnels11.
Malgré cette structure intercommunautaire établie à la fin 2011 par le UNHCR et l’Etat kenyan, les personnes réfugiées ont maintenu tout un système communautaire à l’intérieur du camp basé sur l’appartenance à une nationalité et/ou à une ethnie, et préexistant la structure intercommunautaire. Par exemple, les personnes congolaises, burundaises, rwandaises, éthiopiennes, sud-soudanaises ou encore somaliennes possèdent leur propre organisation fondée parfois sur une constitution avec des organes internes dont un souvent central : le conseil des sages12. Ainsi, malgré l’organisation intercommunautaire amenée par les autorités humanitaires et étatiques, les personnes réfugiées continuent de régler la plupart des différends dans le camp selon les systèmes coutumiers de conseils des sages sans se référer aux zones et blocks leaders13. Les structures communautaires et intercommunautaires sont donc parfois complémentaires, parfois en concurrence, et les individus réfugiés naviguent entre ces instances.
En février 2017, suite à la réussite de leurs examens dans le cadre du cours « Introduction aux droits de l’Homme » de l’Université de Genève, treize étudiant-e-s InZone de Kakuma ont émis le souhait de poursuivre leur parcours universitaire en droits humains avec un enseignement appliqué. Cette contribution propose de retracer la genèse du cours Applied Human Rights, son déroulement à distance et dans le camp de Kakuma, ainsi qu’une évaluation de ce qui représente à nos yeux un projet-pilote de l’Université de Genève en collaboration avec l’Université de Kenyatta.
II. La genèse du cours Applied Human Rights et du projet de formation
A. L’idéation du cours Applied Human Rights
D’octobre 2016 à février 2017, le cours « Introduction aux droits de l’Homme » de l’Université de Genève était pour la première fois dispensé dans le camp de réfugiés de Kakuma. Se fondant sur le MOOC « Introduction aux droits de l’Homme » de la professeure Maya Hertig Randall et du professeur Michel Hottelier14, ce cours en ligne de huit semaines fut suivi dans le camp par vingt étudiant-e-s francophones selon le learning ecosystem (écosystème d’apprentissage et d’études) proposé par InZone. Ainsi, en plus des séances en ligne suivies dans le conteneur de l’Université de Genève installé à Kakuma 2, les étudiant-e-s ont participé à des séances de discussion animées par un facilitateur réfugié sur place. Ils-elles ont également bénéficié d’un support en ligne sous la forme d’un groupe WhatsApp où ils-elles pouvaient poser leurs questions légales à du personnel académique de la Faculté de droit de l’Université de Genève. Finalement, à la fin du processus d’apprentissage, en tant que chercheuse et enseignante pour InZone, je me suis rendue dans le camp de Kakuma pour une semaine de révision et pour faire passer les examens donnant accès à des certificats de la Faculté de droit de l’Université de Genève15.
Le MOOC « Introduction aux Droits de l’Homme » se veut un cours introductif au système international de protection des droits humains. Parcourant les sources, les catégories, le contenu, les limites et les principaux mécanismes de mise en œuvre des droits humains, le MOOC n’a pas été pensé pour un apprentissage dans un camp de réfugiés et avance de plus un regard essentiellement occidental sur la matière. Ceci est néanmoins balancé dans le cadre du cours adopté à Kakuma par l’accompagnement sur place et en ligne qui propose de déconstruire et critiquer le langage des droits humains ainsi que de contextualiser ce savoir à la situation du camp, notamment par des ajouts sur le système africain de protection des droits humains et sur le droit kenyan.
Suite à la réussite de leur examen en février 2017, les étudiant-e-s du cours « Introduction aux Droits de l’Homme » ont créé une association de défense des droits humains dans le camp16. Ils-elles souhaitaient obtenir l’accompagnement de l’Université de Genève dans ce processus. A ce stade, il semblait important de pouvoir à la fois encourager des initiatives entièrement menées et gérées par des étudiant-e-s du camp tout en proposant de les suivre s’ils-elles souhaitaient s’engager dans un projet additionnel de type académique. Suite à plusieurs échanges entre Genève et Kakuma entre mars et octobre 2017, je me rendais à Kakuma en novembre 2017 pour discuter des pistes de collaboration avec les étudiant-e-s motivé-e-s à poursuivre leurs études en matière de droits humains.
B. La mise en place d’un projet dans le cadre de l’enseignement Applied Human Rights
La semaine de novembre 2017 a réuni treize ancien-e-s étudiant-e-s du cours « Introduction aux Droits de l’Homme » et était consacrée à deux objectifs principaux. Tout d’abord, il s’agissait d’engager un dialogue sur ce que représente un cours appliqué de droits humains et sur les limites entre le travail pratique dans lequel peut s’engager une université tout en restant dans le cadre de ses missions17. Ensuite, la partie la plus substantielle de la semaine était dédiée à des séances de réflexion sur des projets académiques que nous pourrions mener ensemble dans le cadre du cours Applied Human Rights en gardant en tête certains éléments de cadre. Le projet devait en effet contenir un aspect académique, concerner les droits humains, être réalisable en moins de dix-huit mois, ne pas engager des fonds démesurés, pouvoir être mené essentiellement par eux-elles, ne pas les mettre en danger dans le camp et bénéficier à un groupe plus large que la communauté InZone. Ces premières discussions ont pu se dérouler dans un climat de confiance avec des étudiant-e-s travaillant ensemble et avec InZone depuis plus d’un an.
Pour faire naître un projet de droits humains, nous avons pris quelques heures pour établir des règles guidant notre discussion, réglementant la prise de parole et les interactions en classe18. Il a fallu par exemple assurer que la seule femme du groupe puisse avoir une prise de parole facilitée et que les projets concernant des populations vulnérables non ou sous-représentées dans la classe puissent émerger. Nous avons ensuite fait le lien entre le cours « Introduction aux Droits de l’Homme » et le cours Applied Human Rights. Pour cela, nous nous sommes plongé-e-s dans l’organisation du camp, la répartition des compétences concrètes entre le UNHCR, l’Etat kenyan et les partenaires opérationnels ainsi que les règlements de différends. Les discussions se sont ensuite organisées en trois phases : 1) identification de problèmes de droits humains dans le camp ; 2) réflexion sur des projets académiques en partant des problèmes identifiés ; 3) sélection de cinq projets. Les débats pour les deux premières étapes été menées selon la méthode du World Café, un processus créatif visant à créer un partage de connaissance et d’idées en petits groupes19. Les étudiant-e-s sont réparti-e-s autour de tables à thème et changent de table après un temps donné pour rejoindre une autre thématique, découvrir les idées déjà partagées par les personnes ayant travaillé sur le sujet précédemment et ajouter leurs propres réflexions.
Pour entamer la discussion sur les problèmes de droits humains dans le camp, la classe était divisée en quatre tables et les étudiant-e-s tournaient d’une table à l’autre avec vingt minutes de discussion par table. Les thèmes étaient les suivants : 1) les problèmes de droits humains dans une communauté spécifique (géographique, nationale ou ethnique) ; 2) les problèmes de droits humains entre communautés de personnes réfugiées ; 3) les problèmes de droits humains dans les relations avec les autorités kenyanes ; 4) les problèmes de droits humains en lien avec le UNHCR et ses partenaires opérationnels. Nous avons ensuite en plénière discuté tous les éléments mentionnés et pris une heure supplémentaire pour ajouter des situations qui n’avaient pas été couvertes. Une réunion a également été organisée par la seule étudiante de la classe avec un groupe de femmes de différentes nationalités en non-mixité en dehors de la séance World Café. L’objectif était d’entendre des problèmes de droits humains et des suggestions de projets par des femmes du camp. Si une partie des thèmes soulevés se recoupaient avec ceux mentionnés par les étudiant-e-s, les femmes ont aussi évoqué des difficultés qui leur été propres ainsi que des idées de projets dirigés essentiellement vers les femmes20.
Lors d’une journée subséquente, en utilisant à nouveau la méthode du World Café, les étudiant-e-s ont créé des projets académiques de droits humains autour des problèmes identifiés. Vingt-trois projets ont ainsi été pensés allant d’actions de plaidoyer auprès des autorités humanitaires et étatiques sur les difficultés rencontrées par les personnes âgées ou avec un handicap dans le camp à des campagnes de sensibilisation sur l’importance de scolariser les enfants en passant par des formations pour les personnes réfugiées sur leurs droits face à la police ou encore la création d’un syndicat de travailleurs et travailleuses réfugié-e-s. Les étudiant-e-s avaient ensuite la possibilité de voter pour trois projets avec une échelle de points. A la fin de la semaine, cinq projets ont été retenus : 1) la création de crèches pour les femmes réfugiées qui travaillent ou étudient ; 2) une formation aux droits humains pour les sages réglant les différends dans les communautés ; 3) une formation pour les personnes réfugiées de manière plus large aux principes de base du droit des réfugiés et de la Constitution kenyane ; 4) la création d’un club de jeunes où seraient menées des activités de sensibilisation aux questions de discrimination ; 5) des activités de plaidoyer auprès des autorités humanitaires et étatiques sur les besoins et droits des personnes avec un handicap dans le camp.
C. La finalisation du concept du projet
Les étudiant-e-s de Kakuma du cours Applied Human Rights avaient ensuite deux mois pour se réunir et rédiger une note conceptuelle détaillée sur chacun des projets sélectionnés. Dans cette optique, de la littérature leur a été transmise sur différents modèles de rédaction de notes conceptuelles21. En plus de permettre d’affiner les projets en rédigeant de tels documents, l’objectif était aussi de leur permettre d’acquérir des connaissances sur cet exercice de rédaction afin qu’ils-elle puissent aussi les utiliser pour leurs propres projets, notamment avec l’association Solidarity Initiative for Refugees. Les cinq notes conceptuelles reçues ont été commentées et discutées ensemble puis complétées lors de notre rencontre suivante à Kakuma en février 2018. A cette date, nous avons procédé à un vote sur un projet à réaliser durant l’année académique 2018-2019. Les étudiant-e-s ont opté pour une formation d’une semaine aux droits humains pour les sages réglant les différends dans les communautés. Ce projet correspondait par ailleurs à des recommandations dans la littérature22 et à des recherches que nous menions en parallèle avec un étudiant réfugié ainsi qu’avec une ONG sur la justice coutumière dans le camp de Kakuma23. Cette étude nous a amené-e-s à rencontrer des sages de différentes communautés du camp qui ont émis une forte volonté de se former au droit kenyan et au droit international.
En se fondant sur leur note conceptuelle, les étudiant-e-s InZone ont ensuite finalisé leur idée de base. Il a été décidé qu’en plus des sages des différentes communautés, les zone leaders seraient également convié-e-s de manière à toucher les responsables des structures communautaires et intercommunautaires existantes dans le camp24. Aussi, pour ne pas se disperser et éviter une formation qui soit superficielle, les étudiant-e-s ont opté pour un projet qui porte sur un thème : les droits de l’enfant. Ce choix a été fait car les étudiant-e-s étaient d’accord que les enfants sont victimes de violations fréquentes de leurs droits humains dans le camp et que ce sujet divise moins que d’autres. Les étudiant-e-s ont également émis le souhait que ce projet soit porté avec un soutien d’étudiant-e-s de Genève et du Kenya afin de bénéficier de recherches approfondies en matière de droit de l’enfant sur le plan international et national, recherches difficiles à mener dans le contexte du camp et avec uniquement une formation de base en droits humains.
La fin de la semaine s’est terminée sur des aspects très concrets de gestion de projets. Je devais ainsi pour InZone finaliser la note conceptuelle, obtenir l’accord de l’Université de Genève pour mener ce projet, entamer des discussions avec l’Université de Genève et une université kenyane pour avoir des étudiant-e-s en droit engagé-e-s dans cette initiative, entrer en dialogue avec le UNHCR sur la possibilité de mener la formation, créer des liens avec des partenaires opérationnels concernés pour une participation au projet et trouver des fonds pour réaliser la formation. Les étudiant-e-s de Kakuma devaient de leur côté réaliser une enquête auprès des sages des communautés et zone leaders afin de connaître leur ouverture à une telle formation et leurs suggestions. Ils-elle devaient aussi réfléchir à tout l’aspect organisationnel que représente la tenue d’un véritable colloque dans un camp de réfugiés et se préparer à devoir former des équipes d’étudiant-e-s de Genève et de Nairobi à la réalité du camp de Kakuma25.
III. Les premières étapes de mises en œuvre
Les premiers contacts institutionnels avec l’Université de Genève ont été établis en mai 2018. Au regard de la nature du projet et des liens déjà existants, il a été décidé de se tourner vers la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables, un cours de droits humains appliqué que j’avais cogéré pendant plusieurs années et qui devait précisément durant les années académiques 2018-2019 et 2019-2020 se pencher sur les droits des jeunes personnes migrantes non-accompagnées26. Du côté kenyan, nous avons établi un partenariat avec la Legal Aid Clinic de la Kenyatta University (KU), cette université étant un partenaire stratégique du projet InZone au Kenya27. Rapidement, des premiers contacts ont été pris et un Mémorandum d’accord rédigé pour organiser la collaboration entre InZone, la Law Clinic de Genève et la Legal Aid Clinic de Nairobi. Pour coller au mieux au concept des cliniques juridiques, les étudiant-e-s des trois localisations (Kakuma, Nairobi et Genève) devaient être mis-e-s au centre du projet et mener une partie de la formation.
La sélection des étudiant-e-s de la Law Clinic et de la Legal Aid Clinic participant au cours Applied Human Rights a commencé en septembre 2018 afin que le projet puisse avancer dans les temps, qu’ils-elles bénéficient d’une formation de qualité et que nous assurions leur déplacement à Kakuma pour la tenue de la formation sur place aux sages et leaders. Les critères de sélection ont été décidés entre Genève et Nairobi avec en plus des qualités académiques et de l’intérêt pour les droits des réfugié-e-s un accent mis sur les connaissances linguistiques et la capacité à se retrouver dans des contextes fragiles28. Dès la rentrée de septembre les deux étudiant-e-s de Genève et les trois de Nairobi choisi-e-s ont commencé leurs travaux de recherche sur le cadre légal en matière de droits de l’enfant à Kakuma. Se basant sur les premiers résultats des questionnaires remplis par les sages et leaders des communautés (transmis par photo sur WhatsApp par les étudiant-e-s InZone de Kakuma), sur l’expérience des étudiant-e-s de Kakuma (équipe réduite à neuf avec le temps) et sur la littérature existante, quatre thèmes principaux ont été sélectionnés pour la formation d’une semaine : la place accordée au droit coutumier par le droit kenyan29, l’audition de l’enfant dans les systèmes coutumiers de règlement des différends, les mariages précoces et violences sexuelles ainsi que l’accès à l’éducation pour toutes et tous.
Avant de les laisser s’engager dans des travaux de recherche substantiels, les étudiant-e-s de la Law Clinic de Genève ont bénéficié d’un accompagnement par InZone et par leur direction afin de mieux comprendre le camp de Kakuma et ses enjeux. Des lectures ont été sélectionnées et des après-midis consacrées à une meilleure connaissance du contexte30. Un travail approfondi a aussi été entrepris sur la posture à adopter en tant qu’université occidentale étant partie à un projet de droits humains dans un camp de réfugiés d’un pays en développement. Il était pour nous très important qu’un regard postcolonial soit porté sur ce projet afin d’évaluer au mieux le rôle de chacune des parties, de maintenir les étudiant-e-s de Kakuma au centre et de ne pas perdre de vue l’objectif final de retour d’information juridique fiable vers les sages et leaders des communautés. Les camps sont des univers complexes qu’il s’agit d’appréhender dans leurs subtilités pour que nos actions ne renforcent pas certains rapports de pouvoir dans cet espace31. Il fallait ainsi être précautionneux et précautionneuses dans la relation à établir avec le UNHCR et ses partenaires opérationnels, dans le poids donné au droit international, national et coutumier, dans la répartition des tâches entre les équipes d’étudiant-e-s, dans les choix des langues de formation, dans la sélection des participant-e-s, etc.
De septembre à novembre 2018, les étudiant-e-s de Genève et Nairobi se sont plongé-e-s dans des avis de droit sur les thématiques retenues en matière de droits de l’enfant, en contact continu avec le camp. En effet, pour que la formation aborde des thématiques de manière pertinente pour les sages et leaders, il était important de savoir qu’elles étaient les difficultés rencontrées lors de l’audition des enfants dans les systèmes coutumiers, ce qui amène des mariages précoces à être célébrés dans le camp et pourquoi un nombre important d’enfants ne sont pas scolarisé-e-s. Ceci a permis aux étudiant-e-s de Genève et Nairobi de cibler leurs recherches sur des problèmes existants plutôt que de faire un avis de droit général sur l’accès à l’école pour toutes et tous. Dès décembre 2018, les deux étudiant-e-s de Genève ont consacré leur temps à préparer l’organisation concrète de la formation en lien avec les neuf étudiant-e-s InZone de Kakuma. Quelles sont les horaires les plus appropriées pour un tel projet ? Sur combien de jours tenir la formation ? Comment trouver des salles de cours ? Comment assurer les transports et la nourriture pour les participant-e-s ? Comment traduire certaines séances dans les langues comprises par tout le monde ? Quel matériel amener de Genève ? Comment assurer que les étudiant-e-s de Kakuma puissent se former à enseigner les droits de l’enfant ? Etc. Au travers de petites vidéos, de messages vocaux et d’appels, Genève et Kakuma ont pas à pas mis en place la formation avec l’aide également de l’équipe de gestion d’InZone à Kakuma. Cette équipe est un groupe de six à huit personnes réfugiées engagées pour gérer au jour le jour le campus d’InZone à Kakuma.
De janvier à mars 2019, alors que la formation approchait, les deux étudiant-e-s de Genève ont formé de manière individuelle et collective les étudiant-e-s InZone de Kakuma et celle et ceux de Nairobi afin qu’ils-elles puissent mener une partie des enseignements en plénière et des discussions de groupe lors de la formation fixée à fin mars 2019. Il fallait en effet s’assurer que les étudiant-e-s de Kakuma, qui pour l’immense majorité n’a pas fait d’études de droit, soient en mesure de transmettre des informations précises et techniques sur ces sujets compliqués. Pour que la formation se passe au mieux, les deux étudiant-e-s de Genève avaient préparé des plannings pour chacun-e des étudiant-e-s InZone, Legal Aid Clinic et Law Clinic ainsi que du matériel complet sur les sujets abordés.
IV. La semaine de formation sur place et le suivi
Du 21 au 29 mars 2019, avec deux étudiant-e-s et une enseignante de la Law Clinic de Genève ainsi que deux étudiants de la Legal Aid Clinic de Nairobi (sur les trois engagé-e-s dans le projet), nous nous sommes rendu-e-s dans le camp de réfugiés de Kakuma pour la semaine de formation aux sages et aux leaders. En plus d’une préparation à la réalité du camp qui avait commencé en septembre et s’était concentrée autour de nombreux contacts avec les étudiant-e-s InZone du camp, ce déplacement a nécessité des préparatifs particuliers en matière de documents de voyage, d’assurances, de visa pour le Kenya, de mesures sanitaires (vaccins, prophylaxie pour la malaria, etc.) et d’organisation de transport pour tout le matériel dont nous avions besoin pour mener la formation. Il a également fallu en amont nous assurer encore une fois du soutien des autorités humanitaires à notre projet et à notre présence dans le camp à ces dates-là.
Après un vol humanitaire Nairobi-Kakuma, les deux premiers jours de notre séjour ont été dédiés à une mise en contact non virtuelle des trois équipes d’étudiant-e-s, aux derniers préparatifs pour la formation et une acclimatation à la vie du camp32. Guidé-e-s par l’équipe des étudiant-e-s InZone de Kakuma, les étudiant-e-s de Genève et Nairobi ont ainsi pu mieux se rendre compte du contexte du camp avec lequel ils-elle étaient en contact depuis plus de six mois.
Dès le lundi, la formation aux bases de droits de l’enfant pour les sages et leaders des communautés a débuté à Kakuma. La première journée était consacrée à une cérémonie officielle, à l’accueil des participant-e-s, à des discours officiels (notamment du UNHCR et des trois équipes d’étudiant-e-s impliqué-e-s dans le projet), à une présentation de la part des étudiants de KU sur le lien entre droit international, national et coutumier au Kenya et à une large plateforme offerte aux trente-cinq participant-e-s de dix nationalités pour se présenter et énoncer leurs attentes vis-à-vis de la formation. La séance s’est faite en plénière avec sonorisation et interprétation simultanée de l’anglais vers le kiswahili et le français et inversement33. Comme pour toutes les autres journées de la formation, nous assurions chaque jour un petit déjeuner à l’arrivée, un déjeuner à midi ainsi que le remboursement des transports pour chaque participant-e et étudiant-e InZone34.
Les trois jours suivants étaient organisés de manière similaire avec une séparation des participant-e-s en une classe en anglais et une classe en kiswahili selon leurs préférences. Nous nous étions assuré-e-s en amont que toutes les personnes maitrisaient au moins une de ces deux langues35. Les séances étaient ensuite divisées en des moments en plénière où le cadre légal existant était présenté sur les thèmes de l’interaction entre le droit kenyan et le droit coutumier, l’audition de l’enfant dans les systèmes coutumiers de règlement des différends, les mariages précoces et violences sexuelles ainsi que l’accès à l’éducation pour toutes et tous. Ces séances plénières étaient suivies de moments de discussions en petits groupes pour définir les différentes pratiques des sages et leaders concernant les droits de l’enfant, pour échanger sur les bonnes pratiques et pour évaluer la compatibilité de ces dernières au cadre légal existant. A l’exception de quelques séances tenues par InZone et l’enseignante de la Law Clinic, l’essentiel de la formation fut donné et modéré par les étudiant-e-s des trois localisations (Genève, Nairobi, Kakuma). Chaque jour, de large plages horaires étaient dédiées à des retours en plénière et à des discussions de fond sur les échanges en petits groupes.
Les objectifs étaient différents d’un jour à l’autre. Lors de la journée consacrée à la question de l’audition de l’enfant, il y avait la volonté d’informer sur le concept d’intérêt supérieur de l’enfant, de présenter ce que le cadre international et kenyan énonce à ce sujet36 et de voir comment les pratiques coutumières peuvent assurer que les enfants soient pris-es en compte dans les procédures à Kakuma. Les leaders et sages avaient à ce sujet de nombreuses suggestions pour protéger les enfants tout en permettant à la procédure d’avancer. Pour la journée sur les violences sexuelles et les mariages précoces, nous avons rappelé le cadre pénal kenyan très strict sur le sujet37 et discuté du rôle que peuvent jouer les sages et leaders, notamment dans la prévention de ces crimes et dans la réintégration des victimes dans le tissu social de Kakuma. Pour la journée sur l’accès à l’éducation pour toutes et tous38, les discussions ont tenté d’éclaircir les raisons du refus de certains parents d’envoyer leurs enfants à l’école et des moyens de les convaincre de le faire, les sages et leaders étant des individus respectés dans les différentes communautés. A la fin de la dernière journée de cours, les certificats de l’Université de Genève pour les étudiant-e-s InZone de Kakuma ont été distribués lors d’une cérémonie officielle.
Notre dernière journée de formation à Kakuma devait être dédiée à une cérémonie de remise de certificat de participation pour les trente-cinq sages et leaders ayant pris part à la formation. Il s’agissait de reconnaître l’enseignement suivi et le temps accordé à cet enseignement. Les sages et leaders ont en effet des emplois du temps extrêmement chargés à Kakuma malgré un manque de reconnaissance du travail qu’ils-elles accomplissent. Bénéficier de leur présence tous les jours de la semaine de 9h à 17h était une opportunité inouïe. Cette dernière journée ne s’est pourtant pas déroulée comme prévu puisque faute de place dans le vol humanitaire, nous avons dû partir le vendredi matin à l’aube. L’entièreté de la gestion de cette dernière journée de formation est donc retombée sur les épaules des étudiant-e-s InZone de Kakuma qui ont une fois de plus démontré leur capacité à gérer un véritable colloque dans l’univers extrêmement difficile de Kakuma.
Les étudiant-e-s InZone de Kakuma et les participant-e-s à la formation ont suite à notre départ poursuivi leur vie dans le camp. Nous avons de notre côté commencé le retour vers Nairobi et Genève puis retrouvé doucement nos vies hors du camp. Pour les étudiant-e-s de Genève, ce n’était néanmoins pas la fin du travail. Il-elle devaient en effet présenter les résultats de leurs travaux lors d’une conférence à Genève, capturer leur expérience en un travail de Master et finaliser les brochures pour les sages et leaders des communautés. Il a en effet été décidé de laisser une trace écrite de cette semaine de formation en distribuant lors d’un prochain séjour d’InZone à Kakuma des brochures en anglais et kiswahili résumant les bases légales principales utilisées durant la formation ainsi que les recommandations des sages et leaders. Du côté d’InZone, un travail d’évaluation des différentes parties à la formation est en cours afin d’assurer une continuité du programme tout en l’améliorant. Nous sommes actuellement en phase de préparation d’une deuxième édition du cours Applied Human Rights que nous souhaitons penser en collaboration avec la Law Clinic, la Legal Aid Clinic et les étudiant-e-s InZone de Kakuma afin d’inscrire dans la continuité de cette première formation pour les sages et leaders.
V. Les outils théoriques mobilisés
Aucun cadre méthodologique ou pédagogique précis n’existe pour mener des projets universitaires dans des camps de réfugiés. Si les initiatives académiques dans les camps se multiplient, une partie de l’enseignement post-secondaire y est donné par des ONGs ou des organisations internationales et non par des universités, peu présentes dans des contextes humanitaires39. Dans ce sens, l’expérience développée par InZone dans l’enseignement supérieur en contexte fragile a été un apport indispensable au développement du cours Applied Human Rights. Ce cadre devait néanmoins être complété de par la nature de ce projet, qui se différenciait par plusieurs aspects : il allait être mené principalement par des étudiant-e-s, ne suivait pas un MOOC préexistant, impliquait trois équipes d’étudiant-e-s de différentes institutions dans des localisations différentes, était destiné à un public de réfugié-e-s leaders, et finalement, touchait à une thématique de droits humains. Loin de bénéficier d’un modèle clé en main, plusieurs outils théoriques ont aidé à la réalisation de cet enseignement.
A. L’enseignement clinique
Le cadre théorique qui a chapeauté l’ensemble du cours Applied Human Rights est celui des cliniques juridiques ou Law Clinics. Il s’agit d’un type d’enseignement né en Amérique du Nord entre la fin du XIXème et le début du XXème siècle et popularisé dans cette région du monde dans la deuxième moitié du siècle dernier40. Depuis, d’autres régions du monde ont aménagé des Law Clinics dans leurs universités permettant à des étudiant-e-s en droit de s’engager dans des projets d’intérêt public pendant leurs études en bénéficiant d’un encadrement académique. Les cliniques juridiques sont multiples, tout comme leurs définitions. Nous pouvons néanmoins arrêter cinq éléments fondamentaux : 1) un travail sur des situations réelles ; 2) un projet d’intérêt public ou de justice sociale ; 3) un aspect réflexif de critique du droit ; 4) un accompagnement académique ; et 5) une pédagogie participative orientée vers l’acquisition de compétences et la responsabilisation41. Tant la Faculté de droit de l’Université de Genève que la School of Law de KU possèdent des cliniques juridiques. Bien que de nature très différente, ces deux structures se sont montrées enthousiastes à voir quelques-un-e-s de leurs étudiant-e-s participer au cours Applied Human Rights.
La pédagogie développée dans chacune des deux cliniques juridiques impliquées correspondait donc déjà à un modèle d’enseignement clinique qui souvent s’écarte de l’apprentissage du droit à l’université. Ainsi, les étudiant-e-s de Genève et Nairobi, accompagné-e-s de près par leurs superviseuses et par InZone, ont véritablement été mis à la tête de l’organisation de la formation des sages et leaders de Kakuma en collaboration avec les étudiant-e-s du camp. Ils-elles devaient dans ce but acquérir des compétences en matière de gestion de projet, d’organisation de colloques et de formation d’étudiant-e-s puisqu’il leur revenait de préparer les étudiant-e-s InZone de Kakuma. Cela impliquait aussi des recherches approfondies mais appliquées sur les quatre sujets choisis pour la formation, une maîtrise du contexte de Kakuma et une aptitude à questionner et travailler sa posture tout au long du projet.
La collaboration entre cliniques juridiques est largement développée dans les cliniques plus anciennes et qui disposent de beaucoup de moyens, comme en Amérique du Nord42. Pour l’Université de Genève et KU, il s’agissait d’un premier essai. Peu de littérature existe sur ce sujet et notamment sur l’épineuse question de la collaboration entre une clinique du Nord et une clinique du Sud. Ces enjeux de rapport nord-sud étaient pourtant au cœur des réflexions de InZone en lançant un tel projet. A ce sujet, l’article de Daniel Bonilla, Legal Clinic in the Global North and South : Between Equality and Subordination – An Essay, a été très instructif43. Dans cet article Daniel Bonilla explique que ces collaborations nord-sud tombent souvent dans le piège d’une reproduction et d’un renforcement des inégalités entre ce qui est pensé comme un centre académique (le Nord) et une périphérie (le Sud). Ces inégalités seraient selon lui encore accentuées par des éléments propres à l’enseignement clinique. Premièrement, la tension inhérente aux cliniques juridiques entre un objectif éducationnel et un objectif de justice sociale privilégierait souvent dans les rapports nord-sud l’enrichissement académique et professionnel des étudiant-e-s du Nord au détriment des avancées légales pour les populations bénéficiaires du projet dans le Sud. Deuxièmement, en matière d’avancement de carrière, ces collaborations bénéficieraient principalement aux académiciens-nes du Nord publiant sur le projet dans des journaux du Nord sans que cela n’ait d’impact concret sur les populations bénéficiaires au Sud ou sur la carrière académique des académiciens-nes du Sud. Pour Daniel Bonilla, afin de permettre de meilleures collaborations entre cliniques du Nord et du Sud, il s’agit d’accorder un poids égal aux différentes parties dans le projet, d’utiliser le consensus pour établir, interpréter et appliquer les règles de la collaboration et privilégier l’aspect de justice sociale sur les avancements éducationnels des étudiant-e-s du Nord et professionnels des académiciens-nes du Nord44. Nous verrons plus bas que sur ces points le cours Applied Human Rights a encore des progrès à faire.
Au-delà des équipes de Genève et Nairobi évoluant déjà dans un modèle clinique, les autres parties au projet ont aussi été encadrées par cette méthode. Ainsi, toute l’idéation du projet avec l’équipe des étudiant-e-s InZone de Kakuma a fonctionné sur un apprentissage clinique, laissant une grande marge de manœuvre et des responsabilités aux étudiant-e-s InZone, développant des outils théoriques et pratiques selon les besoins du projet (par exemple l’apprentissage de la rédaction de notes conceptuelles) et privilégiant l’apprentissage collectif. De même, la formation pour les leaders et sages s’est caractérisées par des sessions organisées autour de partages de compétences et de la co-construction de savoir, comme le privilégient les cliniques juridiques45.
B. Le concept de legal empowerment (autonomisation juridique)
Le concept de legal empowerment a été largement diffusé et utilisé dans les années 2000 pour accompagner différents projets de développement, parfois avec une approche très libérale46. Dans le contexte de la migration forcée, cette notion a notamment été affinée par Anne Lise Purkey dans A Dignified Approach : Legal Empowerment and Justice for Human Rights Violations in Protracted Refugee Situations47. Dans ce texte, le legal empowerment est défini comme “the process through which protracted refugee populations became able to use the law to advance their rights and to acquire greater control over their lives, as well as the actual achievement of that control”48. Au regard des objectifs du cours Applied Human Rights, cette notion était utile pour replacer au centre de nos travaux tant les étudiant-e-s InZone de Kakuma que les participant-e-s à la formation. Le cours Applied Human Rights et le projet de formation avaient en effet comme objectif leur autonomisation juridique.
Parmi les éléments clés du concept de legal empowerment, nous retrouvons la nécessité de partir des personnes réfugiées pour déterminer les objectifs et besoins d’un projet et leur accorder un rôle dans le travail qui ne soit pas uniquement celui de la consultation. Les personnes réfugiées doivent être impliquées dans le design et l’implémentation du projet avec une voix décisionnelle49. Il s’agit d’un élément au cœur du cours Applied Human Rights puisque cet enseignement est né de la demande des étudiant-e-s InZone de Kakuma et qu’il a été largement mené par eux et elle. Aussi, les participant-e-s à la formation ont été consulté-e-s sur le choix des thèmes de la formation, les langues choisies, la durée des sessions, etc.
Un autre point stratégique du legal empowerment pour les personnes réfugiées est l’accès à l’information juridique et aux compétences pour actionner des mécanismes juridiques50. Cet élément est à la base de notre projet. Si nous nous sommes concentré-e-s sur l’information juridique, nous avons aussi touché aux moyens et aux dangers de faire valoir ses droits dans le camp de Kakuma aux travers du système humanitaire, du système étatique ou par les mécanismes coutumiers de règlement des différends. Le concept de legal empowerment demande aussi de considérer le droit dans une acceptation large, incluant bien entendu le droit coutumier mais aussi des éléments para-légaux51. Il était ainsi pour nous essentiel dans la discussion sur les violences sexuelles et les mariages précoces de ne pas uniquement nous concentrer sur les aspects légaux qui échappent grandement au pouvoir des sages et leaders mais de regarder aussi la question de la prévention de ces crimes et de la réintégration des victimes dans les communautés. Dans le même sens, il était important pour nous de comprendre les raisons qui poussent les parents à ne pas envoyer leurs enfants à l’école. Ces éléments peuvent sembler sortir de ce qui est qualifié de légal mais y sont directement liés.
Finalement, le legal empowerment veut permettre une prise de contrôle individuelle mais aussi collective des personnes réfugiées sur leur existence52. En formant les sages et les leaders, nous souhaitions que le savoir généré dans le camp autour des cours d’InZone circule de manière plus large, ce qui correspond à la mission d’InZone de construire des espaces de formation supérieure, et non pas seulement d’offrir des formations. Dans le même sens, il était pour nous important de choisir une thématique de vulnérabilité au cœur même de la population vulnérable des réfugié-e-s en nous concentrant sur les droits des enfants.
C. L’éducation aux droits humains et à la justice sociale
Un autre outil mobilisé pour le cours Applied Human Rights est la littérature concernant l’éducation aux droits humains et à la justice sociale. L’éducation aux droits humains est devenue depuis 2005 un programme mondial des Nations Unies53. Une littérature spécifique sur le sujet existe également au niveau académique avec différentes écoles de pensées allant d’objectifs de formation aux principes universels des droits humains à des buts de transformation politique radicale en passant par des formations d’acquisition de compétences pour assurer des sociétés vivant en harmonie et en paix54. A chacun de ces objectifs sont liés des systèmes pédagogiques différents utilisant des méthodes didactiques, participatives ou transformatives55. Le cours Applied Human Rights a puisé dans ces divers courants en privilégiant pour un cours appliqué l’acquisition de compétences et la volonté transformative. Néanmoins, lors de la formation sur place, le recours à certains principes universels a également été important. Ainsi, une place de taille a été accordée aux conventions internationales ratifiées par le Kenya en matière de droits de l’enfant.
Pour le travail de fond avec les étudiant-e-s de Genève, Nairobi et Kakuma, nous avons aussi recouru à la pédagogie de l’éducation à la justice sociale. L’objectif de l’éducation à la justice sociale est de permettre aux étudiant-e-s “to develop the critical analytical tools necessary to understand the structural features of oppression and their own socialization within oppressive systems”56. L’apprentissage à la justice sociale vise à amener les étudiant-e-s à développer leur conscience critique, à déconstruire les modèles binaires, à analyser les systèmes de pouvoir, à mettre les personnes concernées non seulement au centre mais aussi en première ligne, à se positionner dans des rapports de pouvoir, à développer des capacités pour lutter contre les oppressions et à devenir des allié-e-s responsables57. Dans un tel modèle, « the students – no longer listeners – are now critical co-investigators in dialogue with the teacher »58. Dans le cadre de notre projet, c’est principalement les étudiant-e-s de Genève et Nairobi qui furent sensibilisé-e-s à cette approche afin de leur permettre de travailler leur posture en lien avec les personnes réfugiées du camp.
D. L’éthique de la recherche dans des contextes fragiles
Aucun des modèles abordés ci-dessous, sauf la méthode d’InZone, n’est spécifiquement adapté à un travail académique dans des camps de réfugiés. En ce sens, les études menées en matière d’éthique de la recherche en contexte fragile ont constitué un dernier outil théorique qui nous a été d’une grande utilité59. En effet, rechercher et enseigner dans un camp de réfugiés amène au quotidien son lot de questions éthiques.
Parmi les principes généraux de l’éthique de la recherche en contexte fragile soulignés dans ces textes, se trouve tout d’abord la place du consentement informé des personnes sur la recherche ou formation à laquelle ils-elles participent et aux risques qui peuvent en découler. Il est aussi important d’assurer, en plus du consentement, la confidentialité des échanges et une utilisation respectueuse et éthiques des images et vidéos qui pourraient être prises lors du travail. Dans le même sens, une grande transparence doit être posée entre les étudiant-e-s, les superviseurs-euses et les participant-e-s au sujet des thèmes abordés, des méthodes utilisées, du temps occupé et du remboursement des transports, repas, boissons et matériel de cours60.
L’éthique de la recherche demande également de respecter en tout temps le principe de “do no harm” (« ne pas nuire »)61. Si le concept peut sembler une coquille vide et est effectivement utilisé pour défendre des attitudes très différentes, il permet de rappeler la nécessité de privilégier en tout temps les intérêts des personnes réfugiées sur ceux de la recherche, y compris dans le fait d’assurer une continuité au projet et de ne pas publier ou écrire sur des éléments qui servent la recherche mais pas les personnes sur place. En ce sens, ce point rejoint largement l’exigence posée par Daniel Bonilla plus haut de privilégier l’aspect de justice sociale sur les aspects d’avancement éducationnel ou de carrière.
Les autres exigences de l’éthique en contexte fragile qui nous ont été utiles sont notamment la nécessité de faire preuve de flexibilité, de connaître le contexte et les rapports de pouvoirs existants, d’adapter ses comportements et activités au contexte, d’être au fait sur les risques sécuritaires pour les personnes menant le projet et celles impliquées et de se préparer à faire des concessions sur ces plans de base62.
VI. Les enseignements essentiels du projet-pilote
A. Connaître le camp de manière approfondie
Un élément qui nous a semblé essentiel dans la réalisation de ce projet est la connaissance approfondie qu’il demande de l’environnement du camp de réfugiés de Kakuma, et pas uniquement du Kenya ou des camps de réfugiés en général. Chaque camp possède en effet sa propre organisation dépendant en partie des autorités humanitaires et de l’Etat dans lequel il se trouve mais également d’une myriade d’autres facteurs allant du contexte environnemental du camp à la population qui l’habite en passant par la nature des programmes menés par les partenaires opérationnels ou l’accueil de la population hôte63. Appréhender un lieu comme Kakuma prend du temps car la plupart des éléments de compréhension ne peuvent se saisir qu’une fois sur place en croisant les versions des différentes parties qui s’y trouvent et en se confrontant à la réalité du terrain et aux obstacles quotidiens. Il est par exemple important de prendre le temps de saisir les rapports entre les autorités humanitaires et étatiques, les liens entre les différents partenaires opérationnels, les relations entre la population locale et la population réfugiée, les alliances et jeux de pouvoir entre les personnes réfugiées et les détails de la vie au jour le jour dans le camp (lieux de vie, rationnement, loisirs, travail, mouvements, etc.).
Un programme tel que le cours Applied Human Rights nécessite également de créer des rapports de confiance avec les autorités humanitaires et leurs partenaires opérationnels, les autorités étatiques et des personnes réfugiées clé. Il faut aussi savoir se mouvoir dans ce contexte très particulier afin de pouvoir frapper aux bonnes portes aux bons moments et ne pas commettre les erreurs qui dans un environnement sécuritaire comme Kakuma sonnent souvent votre départ, surtout quand vous souhaitez traiter de droits humains. En d’autres mots, la création d’un cours qui peut sembler de l’extérieur simple dans sa logistique ne peut se réaliser qu’après des années de travail dans un camp précis et c’est ce qui a permis à cet enseignement de voir le jour en dix-huit mois d’investissement.
Dans le même sens, afin de pouvoir organiser une formation ayant un impact pour les personnes habitant-e-s le camp, il était indispensable d’avoir le soutien et les apports des étudiant-e-s InZone de Kakuma et de l’équipe de gestion d’InZone à Kakuma, soit de personnes réfugiées vivant dans le camp. Ces contacts ont facilité l’organisation concrète de la formation des sages et des leaders avec les réservations de salle, des dîners et de la sonorisation par exemple mais aussi l’organisation des transports et des interprètes et le lien personnel avec tous les leaders et sages du camp. Il est certes possible de réaliser cette logistique au travers des autorités humanitaires du camp. Cela donnerait néanmoins un autre ton à la formation dans un contexte où les autorités humanitaires sont assimilées au pouvoir64. De plus, un des objectifs de la formation était de mettre en avant l’acquisition de compétences par les personnes réfugiées et de court-circuiter le système de dépendances dans lequel ils-elles demeurent maintenu-e-s65.
Au moment du bilan, il parait clair que ce projet n’a pu se réaliser qu’en se reposant sur le travail déjà mené depuis de nombreuses années par InZone dans le camp de Kakuma. Au niveau des droits humains, le fait de collaborer avec des étudiant-e-s ayant passé par le cours « Introduction aux Droits de l’Homme » permettait d’avoir des personnes déjà formées aux droits humains et avec lesquelles les rapports de confiance avaient déjà été tissés depuis de longs mois. De manière compréhensible, créer des liens dans ces contextes de méfiance prend du temps, d’autant plus pour des chercheurs-ses provenant d’universités occidentales et résidant à Kakuma pour quelques mois par année. Du côté de la formation au contexte des étudiant-e-s de Genève, elle a été à notre avis satisfaisante. Davantage d’énergie aurait néanmoins pu être mise à encadrer les étudiant-e-s de KU ne connaissant que très peu la réalité du camp de Kakuma bien que kenyans. Une piste d’amélioration est ainsi de travailler pour la suite à un syllabus commun entre l’Université de Genève et KU. Finalement, en voulant déléguer l’aspect organisationnel aux personnes réfugiées elles-mêmes et donc aux étudiant-e-s InZone de Kakuma, nous avons sous-estimé les rapports de pouvoir au sein de la population réfugiée, guidant l’obtention des mandats pour l’interprétariat, la sonorisation ou encore la nourriture vers certaines communautés plutôt que d’autres. Nous avons ainsi gardé notre indépendance vis-à-vis des autorités étatiques mais avons pu donner l’impression de privilégier certaines communautés ou nationalités, faute de vigilance.
B. S’assurer des soutiens institutionnels
Pour permettre la réalisation d’un tel projet, des soutiens institutionnels sont nécessaires. Tout d’abord, en opérant dans une cadre humanitaire, une des premières étapes était d’informer le UNHCR de la création de la formation pour maintenir le rapport de confiance. Il était également important de voir comment le UNHCR et ses partenaires opérationnels pouvaient être impliqués dans le projet. Ainsi, lors de la cérémonie d’ouverture, le UNHCR et plusieurs ONGs ont pris la parole. Refugee Consortium Kenya, ONG spécialisée dans l’action légale, a également tenu une session de la formation et le UNHCR a participé à une demi-journée de discussion. Nous avons ainsi pu bénéficier de leur savoir sur le camp et sur la mise en œuvre des thématiques discutées. En effet, au-delà de ce que dit le droit international et kenyan sur le traitement des victimes en cas d’abus sexuels, il était essentiel que nous discutions avec les participant-e-s des moyens concrètement mis en œuvre dans le camp par les autorités pour accompagner les victimes66. Dans un contexte humanitaire, s’assurer le soutien des autorités humanitaires et montrer que nous souhaitons collaborer et ne prendre la place de personne est également une question de survie du programme. Le camp de Kakuma est un espace sécurisé où les séjours et déplacements sont organisés par le UNHCR. Sans leur soutien, il n’est tout simplement pas possible d’avoir accès au camp.
L’équilibre à trouver est pourtant fin. Tout en collaborant avec les autorités, il s’agit aussi de protéger sa liberté académique et de ne pas être assimilé-e-s aux autorités humanitaires67. Dans notre cas particulier, il n’aurait pas été possible d’avoir des discussions ouvertes sur les thématiques de droits de l’enfant et sur l’utilisation des mécanismes de justice traditionnelle par les sages et les leaders si ces derniers et dernières nous percevaient comme des allié-e-s des autorités humanitaires. Rappelons en effet que ces autorités privilégient grandement le recours aux mécanismes étatiques et intercommunautaire de règlements des différends, surtout en ce qui concerne les enfants68. Nous devions ainsi à la fois montrer notre collaboration tout en affichant notre indépendance dans un cadre où l’occidentalité d’une partie de notre équipe de formateurs et formatrices nous assimilait plutôt au UNHCR et à ses partenaires institutionnels. Cette distanciation impliquait aussi de garantir l’anonymat des participant-e-s à la formation et des étudiant-e-s InZone ainsi que la confidentialité des débats.
En tant que programme de l’Université de Genève mettant en lien différentes facultés de différentes institutions, les soutiens institutionnels des universités impliquées étaient aussi très importants. Envoyer des étudiant-e-s dans un camp de réfugiés n’est pas dans les activités traditionnelles des facultés de droit. Il a donc fallu s’assurer du soutien au programme et au déplacement à Kakuma des équipes de Genève et de Nairobi et remplir les exigences administratives des différentes parties pour un tel déplacement. Pour ce faire, nous avons dès septembre travaillé à un Mémorandum d’accord entre InZone, la Law Clinic et la Legal Aid Clinic. Nous avons aussi organisé des séances dans les directions respectives pour expliquer le projet et les mesures adoptées, notamment pour garantir la sécurité des étudiant-e-s une fois sur place. Les soutiens institutionnels demandés allaient pourtant au-delà des autorisations. Nous voulions assurer aux étudiant-e-s participant-e-s la possibilité de voyager dans de bonnes conditions, sans devoir débourser de l’argent pour les transports, la nourriture ou encore les vaccins. Cela a requis un soutien financier de l’Université de Genève et de partenaires externes. Aussi, nous souhaitions que les étudiant-e-s puissent se consacrer pleinement à leur travail en obtenant des crédits universitaires pour cela.
Si le travail avec les autorités humanitaires s’est dans l’ensemble bien passé à part quelques demandes que nous avons dû refuser pour assurer le caractère indépendant de la formation et respecter la liberté académique, des améliorations sont encore possibles du côté des soutiens académiques. En effet, faute de temps, nous n’avions pas réussi à signer le Mémorandum d’accord avant notre départ pour Kakuma en mars 2019. Aussi, si les étudiant-e-s de l’Université de Genève ont obtenu dix-huit crédits pour leur travail, ceux de KU ont travaillé sans compensation, ce qui a créé un large déséquilibre que nous avons compensé en mettant la charge principale de travail sur les épaules des Genevois-es et en rédigeant des certificats et lettre de recommandation pour toutes et tous les étudiant-e-s impliqué-e-s. Cela amenait néanmoins d’autres questionnements en matière de rapport nord-sud car l’Université du Nord se retrouvait à mener un projet que nous avions envisagé comme une véritable collaboration69. L’équilibre était encore plus précaire avec les étudiant-e-s InZone de Kakuma. Le cours Applied Human Rights n’étant pas un cours officiel de l’Université de Genève ou de KU, ils-elle n’ont pas non plus pu obtenir de crédits pour leurs dix-huit mois d’implication dans le camp70. Or, cette implication a un coût. S’engager dans un tel projet dans le cadre de Kakuma signifie souvent renoncer à des heures de travail payées. Nous avons pu garantir que les étudiant-e-s InZone de Kakuma ne déboursent pas d’argent pour ce programme (transports, connectivité, nourriture, etc.) mais nous n’avons pas pu les rémunérer en crédits ou en argent. Ils-elle ont néanmoins reçu des certificats de l’Université de Genève.
C. Former les étudiant-e-s à la réalité du camp
La réussite d’un tel cours dépend grandement de la sélection et de l’accompagnement des étudiant-e-s des équipes de Nairobi et de Genève. En amont, avec la superviseuse de l’équipe de KU, nous nous étions mises d’accord sur des critères de sélection qui comprenaient notamment, en plus des qualités académiques et de l’intérêt pour le projet, des connaissances linguistiques et une capacité à évoluer dans un environnement humanitaire. Suite à la sélection, il s’agissait de former les étudiant-e-s au contexte de Kakuma dans ses moindres détails, de les encadrer dans leurs recherches et leurs contacts avec le camp, tout en leur garantissant une marge de manœuvre propre à l’exercice clinique. L’équipe de Genève avait ainsi une liste de lectures sur le monde humanitaire, les camps et Kakuma à réaliser et un syllabus précis de cours et de séances à assister pour la préparation. Un groupe WhatsApp a également été créé pour faciliter les contacts entre les deux étudiant-e-s et leurs superviseuses à Genève.
L’investissement demandait également un travail sur la posture à adopter dans ce projet. Les étudiant-e-s genevois-es se sont retrouvé-e-s à gérer l’organisation d’un colloque dans un camp à distance. Il fallait creuser la meilleure manière de communiquer avec les personnes de Nairobi et de Kakuma, réfléchir constamment sur la place prise par Genève dans le programme, affiner les moyens de communication, etc. Comment par exemple assurer de ne pas privilégier certain-e-s étudiant-e-s de Kakuma en passant par des groupes WhatsApp ? Comment garantir que l’équipe de Genève soit à l’écoute des autres équipes ? Comment réagir lorsque des messages d’aide proviennent d’étudiant-e-s de Kakuma ? Comment contacter les autorités humanitaires et les ONGs qui détiennent des informations importantes ? Tout un accompagnement a été mis en place par InZone sur la base de ces années d’expérience pour suivre les étudiant-e-s dans ce parcours. A titre illustratif, des canaux de communication d’urgence étaient assurés pour ne pas laisser les étudiant-e-s seul-e-s face à des décisions importantes à prendre.
Au-delà de former les étudiant-e-s externes au camp, il s’agissait aussi de travailler sur les collaborations entre les équipes. Pour créer la formation d’une semaine dans le camp, ces étudiant-e-s devaient s’entendre sur un projet tout en provenant de réalités très différentes. Il fallait à la fois créer des rapports horizontaux entre les équipes tout en prenant en compte certaines données, comme la difficulté de la vie à Kakuma ou l’absence de rémunération en crédits des équipes de KU et de Kakuma. De plus, un des buts du projet était de maintenir en son centre les étudiant-e-s InZone de Kakuma et les participant-e-s réfugié-e-s à la formation en avançant idéalement vers une formation gérée principalement par l’équipe des étudiant-e-s de Kakuma. Cet aspect du projet doit encore être amélioré en questionnant à chaque étape si ce qui est réalisé par Genève et Nairobi ne peut être fait par l’équipe de Kakuma en lui assurant une rémunération en crédit pour le faire. Aussi, une partie plus grande du cours devrait être consacrée à la formation académique des étudiant-e-s InZone de Kakuma pour qu’ils-elles puissent gérer de plus grandes portions de la formation sur place et accroître leurs connaissances juridiques. Faute de ça, nous risquons encore une fois de renforcer l’impression que le centre académique reste dans le Nord et que le Sud est dédié à l’implémentation.
D. Ne pas négliger les détails
Un enseignement essentiel de cette première édition du cours Applied Human Rights est l’importance à accorder à des éléments qui peuvent sembler des détails dans un tel contexte, comme l’enregistrement au colloque ou les cérémonies de remise des diplômes. Avec du recul, il semble que c’est précisément dans un cadre comme celui de Kakuma que ces détails deviennent cruciaux. Il s’agit donc de les soigner malgré les difficultés et la tentation parfois de se concentrer sur des éléments de fond plutôt que de courir dans les bâtiments de l’Université de Genève pour trouver des lanières pour badges qu’il faudra ensuite transporter à Kakuma.
L’énergie mise à assurer que cette formation ait, au-delà du contenu, l’allure d’un colloque universitaire a en effet été salué par l’ensemble des participant-e-s71. Les formateurs et formatrices portaient des t-shirt InZone, les participant-e-s recevaient des cahiers et un stylo de l’Université de Genève lors de leur enregistrement ainsi qu’un badge avec leur nom. Les petits déjeuners et dîners étaient assurés par une association multiculturelle de femmes réfugiées. Les transports étaient remboursés à la fin de chaque journée et des interprètes étaient présents pour assurer que chaque personne puisse bénéficier de la formation. Nous avons aussi choisi un lieu central pour la tenue de la formation, garanti du matériel de cours en trois langues et distribué des certificats de participation à toutes les personnes qui avaient suivi la formation dans son ensemble72. Dans leurs évaluations, les sages et leaders ont noté ces éléments comme accordant du crédit à la formation dans laquelle ils-elles s’étaient engagé-e-s.
Sur la tenue de la formation, nous avons veillé à ce que la semaine recoupe des moments de transmission d’information et des moments d’échanges et de co-construction de savoir, toujours en garantissant la confidentialité. Notre objectif n’était pas de voir les sages et leaders enregistrer les règles de droit international et de droit kenyan mais de leur permettre de les connaître pour pouvoir ensuite décider de les intégrer ou non dans leurs pratiques coutumières. Lorsque cette volonté existait, nous travaillions ensemble sur la meilleure manière d’adapter ces standards à Kakuma en œuvrant principalement comme facilitateurs-trices. Le fait de permettre des moments d’échange et d’écoute avec les participant-e-s a été selon les sages et leaders un point positif. D’après leurs évaluations, ils et elles ont l’habitude de suivre des formations qui leur rappellent leurs obligations, ne prenant pas en compte les responsabilités importantes qu’ils-elles assument dans le camp et leurs différentes loyautés (envers le système humanitaire et étatique mais aussi envers les différentes communautés de réfugié-e-s). Les sages et les leaders ont durant cette semaine été pris-es au sérieux comme étudiant-e-s mais aussi partenaires. Ainsi, la brochure en anglais et kiswahili créée suite à la formation et destinées aux sages et aux leaders accordent une large place aux recommandations faites par ces derniers et ces dernières. Nous devons néanmoins aller encore un pas plus loin et assurer une participation dans la formation qui tient aussi compte des vulnérabilités spécifiques que peuvent subir certaines personnes réfugiées, en mettant par exemple en place des règles lors de la prise de parole ou encore un système de garde pour les enfants afin de garantir une participation des femmes leaders et sages.
E. Agir comme une université
Le cours Applied Human Rights a la spécificité d’être mené par un acteur rare des contextes humanitaires : une université. Au fil du programme, ce rattachement académique s’est avéré important. Il nous a en effet permis de justifier une certaine « neutralité » ou « objectivité » vis-à-vis du sujet abordé, tout en maintenant de notre côté un regard critique robuste sur la prétendue neutralité axiologique de l’académique73. Nous ne venions pas pour promouvoir des directives institutionnelles sur les avantages et inconvénients des systèmes coutumiers ou étatiques de justice mais pour rappeler des fondements de droit kenyan et international, et expliquer l’espace que le droit kenyan accorde aux systèmes coutumiers dans sa constitution. De même, nous n’étions pas là pour défendre les positions du UNHCR ou les services d’une ONG en particulier mais pour informer et réfléchir sur des problématiques juridiques avec les étudiant-e-s et les participant-e-s. En d’autres termes, nous avons placé au centre de notre projet des éléments qui relèvent du monde académique comme la transmission d’information basée sur des recherches, la recherche et le développement d’un regard critique74. Nous avons ainsi poussé les étudiant-e-s des trois localisations ainsi que les participant-e-s à la formation à mieux connaître mais aussi à se questionner sur les droits des enfants dans un camp de réfugiés.
Ce positionnement a pu entraîner des tensions tant avec le système humanitaire qu’avec les personnes réfugiées. D’un côté, il a fallu résister aux demandes des autorités humanitaires de connaître tous les détails de la formation, d’assister à de nombreux débats et d’obtenir de signifiantes plages horaires pour venir présenter leur approche des règlements de différends impliquant des enfants à Kakuma. De l’autre, il a parfois fallu rappeler aux participant-e-s que nous n’étions pas un acteur humanitaire et ne disposions pas de moyens illimités pour acheter du matériel ou encore pour porter des revendications devant les autorités humanitaires. De même, la lenteur de l’académique qui impliquait de revenir en Suisse et à Nairobi pour pouvoir préparer des brochures sur la base des recommandations des leaders et sages a parfois été mal comprise.
Cette posture a permis des échanges intéressants lors de la formation. Les personnes réfugiées étant habituées à recevoir des informations de la part des autorités ou d’ONGs, elles ont été surprises d’être confrontées à un espace où leur opinion était demandée non pas dans le but d’animer des statistiques mais bien dans un objectif de co-construction de savoir, et où les formateurs et formatrices n’avaient pas une approche directement intéressée. Ceci a permis notamment des échanges horizontaux entre les sages et les leaders du camp et des représentant-e-s du UNHCR dans la séance où les autorités humanitaires étaient invitées. Cette formule pourrait être reprise dans la mise en place des structures organisationnelles du camp intégré de Kalobeyei puisque le UNHCR réfléchit en ce moment à la meilleure manière d’administrer ce lieu.
F. Travailler sa posture en continu
S’engager dans un projet académique chapeauté par une université suisse dans un camp de réfugiés au Kenya demande un travail continu sur sa posture. Le langage des droits humains et l’éducation ont souvent été utilisés dans des rapports nord-sud pour poursuivre des logiques coloniales et néocoloniales sous couvert d’amélioration de conditions de vie, de réconciliation (peacebuilding) et plus récemment d’autonomisation (empowerment)75. Dès le départ du projet, la position centrale devait être occupée par les étudiant-e-s InZone de Kakuma, véritable boussole du programme. Il s’agissait notamment pour les équipes externes à Kakuma de s’interroger et d’apprendre des personnes de Kakuma sur la manière de communiquer, de présenter et d’enseigner en étant conscient-e-s du cadre culturel et historique dans lequel la formation se déroulait.
Cet apprentissage a débuté lors de la création du cours et a guidé toutes les étapes de son implémentation. Chaque étudiant-e participant au projet était invité-e à s’interroger sur sa position, la position de son équipe dans le cadre de ce cours et les conséquences de certains choix, comme le fait de former des personnes réfugiées aux bases d’un droit international et national que ces dernières pourraient par exemple rejeter ou voir comme un instrument de pouvoir en leur défaveur76. Cette réflexion devait aussi s’étendre à la prise de parole et à la répartition des tâches pour la semaine de formation. Qui prend la parole à quel moment ? Pour dire quoi ? Quand est-ce bénéfique que des spécialistes de droit kenyan parlent ? Des personnes totalement externes au contexte comme les étudiant-e-s suisses ? Des personnes réfugiées ? Quels sujets seront mieux portés par une femme ? Etc. Chaque personne a dû s’interroger, notamment lors de nos séances de débriefings organisées chaque soir de notre semaine à Kakuma, sur la place à prendre ou à laisser en mettant en lien son identité, ses zones d’aise et de malaise, la perception que les autres ont de lui ou elle avec les rapports de pouvoir préexistant dans le camp et parmi les personnes réfugiées. Pour l’équipe de Genève en particulier, il s’agissait de s’investir plus lourdement dans des tâches moins visibles pour permettre aux personnes plus directement concernées d’occuper l’avant de la scène lors de la formation et de développer leurs compétences77.
Toujours dans ce travail de posture, il était important que les équipes externes au camp sachent faire preuve de la flexibilité et du lâcher prise nécessaires à la bonne gestion d’un projet dans un camp de réfugiés. Un participant n’a pas pu venir à la formation pour cause d’accident de moto sur le chemin pour le cours. Nous avons dû excuser trois personnes pour des raisons de décès parmi leurs proches dans le camp durant la semaine de formation. Les noms de nombreux et nombreuses participant-e-s avaient été écrits avec des fautes d’orthographe, ce qui a entraîné des complications dans l’organisation. La répartition des salles entre personnes anglophones et kiswahiliphones n’a cessé de bouger au cours de la semaine, altérant la préparation des groupes de discussion. Enfin, parmi de nombreux autres éléments, les deux équipes externes au camp ont dû quitter Kakuma le vendredi à l’aube, manquant ainsi la dernière journée de formation et la cérémonie de clôture. La seule posture envisageable dans un tel contexte est de se préparer à toutes les éventualités tout en acceptant de ne pas tout contrôler sur place78. Les personnes réfugiées ont été des ressources indispensables sur ce point et leurs enseignements ont été essentiels à la bonne tenue de la formation, contribuant également au modèle de classe inversée que nous souhaitions créer.
G. Soigner sa sortie
Un élément qui s’est révélé important au fil de la formation et dont nous n’avions pas réellement saisi l’importance à ses débuts est le nécessité de soigner la fin de la formation et le désengagement progressif des trois équipes d’étudiant-e-s tout en assurant une continuité pour les participant-e-s. Il est en effet devenu clair au fil du cours Applied Human Rights que seuls plusieurs cycles de formation permettraient de répondre au besoin important de connaissances juridiques pour les leaders et sages du camp de Kakuma. Il s’agit également d’un moyen d’assurer de la qualité et de sortir de la tendance très présente dans les camps des formations très courtes et sans véritable suivi79. Dès le retour, de l’énergie a été déployée pour assurer la continuité du projet avec des nouvelles volées d’étudiant-e-s.
Pour terminer la première édition de Applied Human Rights, il faut encore que tous les bilans des différentes parties soient finalisés, notamment avec l’équipe de Kakuma afin de voir quelles sont les inspirations des étudiant-e-s InZone qui sont engagé-e-s avec l’Université de Genève depuis septembre 201680. Pour les autres équipes, en plus des certificats et lettres de recommandation déjà évoquées, il s’agira à l’avenir de mieux soigner le retour à Nairobi et à Genève avec des soutiens psycho-sociaux externes. La fin d’un programme de plusieurs mois en contact avec Kakuma et d’un séjour dans un camp de réfugiés peut en effet s’avérer compliqué à digérer pour certain-e-s étudiant-e-s et ce point crucial avait été sous-estimé cette année.
VII. Conclusion
Depuis mars de cette année, trente-cinq sages et leaders de Kakuma possèdent des connaissances de base sur le rôle que le droit coutumier peut jouer en matière de règlement des différends, et sur ce que le droit international et kenyan nous dit de l’audition de l’enfant, des violences sexuelles, des mariages précoces et de l’éducation pour toutes et tous. Des connaissances qui nous l’espérons seront ensuite partagées avec d’autres personnes des différentes communautés de Kakuma en se basant sur le matériel de la formation et sur la brochure qui l’a suivie.
Au moment de l’écriture de cet article, la première édition du cours Applied Human Rights est dans sa phase finale alors que les préparatifs pour sa deuxième édition sont en cours. Lorsque les étudiant-e-s de Kakuma m’ont approchée en 2017 pour mettre en place un projet académique de droits humains dans le camp, l’idée m’a immédiatement séduite. Je n’imaginais pas à ce moment-là l’étendue des difficultés que la réalisation d’un tel programme pouvait entraîner. Au-delà des recherches juridiques à mener, le cours Applied Human Rights a permis de concrétiser ce qu’une université peut amener de particulier dans un contexte humanitaire trop souvent caractérisé par l’urgence et le court-terme : une identification des problèmes, leur analyse et des propositions de solutions durables pensées essentiellement par les personnes qui vivent le camp de réfugiés.
Les outils théoriques mobilisés pour cet enseignement, comme l’enseignement clinique, le concept de legal empowerment, l’éducation aux droits humains et à la justice sociale ainsi que les recherches en matière d’éthique en situation fragile, ont servi de boussole tout au long de ces mois de travail ; nous permettant de prendre du recul lorsque plusieurs options étaient devant nous ou lorsque surgissaient de nouveaux défis. Les enseignements de ce parcours, décrits dans la partie précédente, illustrent ce que nous retirons de cette expérience, tout en identifiant des pistes d’amélioration et de réflexion. Il s’agit là également d’une spécificité d’un acteur académique dans un contexte humanitaire : celle de l’exigence d’une remise en question et d’une réflexion à plus long terme.
Comme souligné par les étudiant-e-s de Genève dans leur travail de Master sur Kakuma, ce projet a créé une chain-of-learning (chaîne d’apprentissage). Les étudiant-e-s de Genève, KU et Kakuma ont été formé-e-s pour former, se mouvant de la posture de l’étudiant-e à celle de l’enseignant-e dans un cadre aux antipodes d’un milieu propice à l’éducation universitaire. Les sages et leaders, destinataires de la formation sont aujourd’hui à leur tour invité-e-s à transmettre l’information vers d’autres personnes. A cet objectif d’acquisition de connaissances se couple également une volonté de réunir des personnes sur un sujet important, de mettre en valeur leur travail et de tenter de faire bouger certaines lignes en matière de rapports de pouvoir dans ces lieux sécuritaires, car comme le souligne Kristen McConnachie « [i]t is precisely because human rights values are important that they should be communicated in a way that local actors understand and as a part of a conversation to which they can contribute »81.
Notes
- Pour plus d’informations sur le Centre académique InZone : www.unige.ch/inzone/who-we-are/.
- Le InZone Learning Ecosystem est un modèle pédagogique complexe adapté à l’apprentissage universitaire dans les camps. Pour une courte présentation de cet ecosystem, voir : www.unige.ch/inzone/what-we-do/news/2019/reimagining-higher-education-emergencies/.
- Ces parcours universitaires proposés par InZone permettent des débouchées académiques tant à l’Université de Genève que dans les universités partenaires au niveau local. Par exemple, chaque année, quinze étudiant-e-s d’InZone ont la possibilité de poursuivre un bachelor en relations internationales avec la Kenyatta University de Nairobi.
- Le UNHCR publie fréquemment des statistiques sur la population du camp de Kakuma. Voir par exemple les statistiques d’avril 2019 : www.data2.unhcr.org/fr/documents/download/69597.
- Pour plus d’informations, voir la page du UNHCR sur Kakuma et Kalobeyei : www.unhcr.org/ke/kakuma-refugee-camp.
- Voir Bram J. Jansen, « ‘Digging Aid’ : The camp as an Option in East and the Horn of Africa », Journal of Refugee Studies, vol. 29-2, 2016, pp. 149-165 ; Marc-Antoine Perouse de Montclos et Peter Mwangi Kagwanja, « Refugee Camps or Cities ? The Socio-economic Dynamics of the Dadaab and Kakuma Camps in Northern Kenya », Journal of Refugee Studies, vol. 13-2, 2000, pp. 205-222 ; Jeff Crisp, « Forms and Sources of Violence in Kenya’s Refugee Camps », Refugee Survey Quarterly, vol. 19-1, 2000, pp. 54-70 ; Claire Waithira Mwangi, Women Refugees and Sexual Violence in Kakuma Camp, Kenya, International Institute of Social Studies, Thèse de Master, 2012.
- Voir Kenya, Refugees Act, No. 13 of 2006, art. 12 § 3 et art. 14 let. c.
- Pour des informations sur le RAS, voir : www.refugee.go.ke/. Pour un regard critique sur la gestion de la sécurité dans le camp par la police kenyane et son lien avec le système humanitaire, voir Hanno Brankamp, « ‘Occupied Enclave’ : Policing and the Underbelly of Humanitarian Governance in Kakuma Refugee Camp, Kenya », Political Geography, vol. 71, 2019, pp. 67-77.
- La Kakuma Refugee Camp Community Constitution and Rules a été adoptée en novembre 2011. Le document n’est pas publié et il n’est pas accessible en ligne.
- Kalobeyei est divisée en villages et non pas en zones.
- Voir Kakuma Refugee Camp Community Constitution and Rules.
- Aucun de ces textes n’est publié. Ils m’ont été transmis sur place par des personnes réfugiées des différentes communautés.
- Voir notamment Ilse Griek, Access to Justice in Kenyan Refugee Camps – Exploring the Scope of Protection, Leiden University, Thèse de Master, 2006.
- Le cours est librement accessible sur la plateforme Coursera : www.coursera.org/learn/droits-de-lhomme/.
- La réussite de l’examen donne accès à trois crédits ECTS de l’Université de Genève.
- L’organisation se nomme « Solidarity Initiative for Refugees ». Pour plus d’informations : www.sirafrica.org/.
- L’Université de Genève décline ses missions en trois principales : enseignement, recherche, service à la cité/engagement civique.
- Voir notamment Maurianne Adams et Lee Anne Bell, Teaching for Diversity and Social Justice, 3ème Edition, Routledge, 2016, pp. 38-40.
- Pour plus d’informations sur la méthode du World Café, voir parmi d’autres : www.theworldcafe.com/.
- Ainsi, les femmes ont principalement soulevé des thématiques relevant de la sphère familiale et communautaire, comme les violences domestiques et la répartition des tâches dans les familles.
- Dans ce but, nous avons discuté des exigences pour l’écriture de concept note requises par des instances internationales mais également pour des demandes de fonds ou des projets associatifs.
- Anne Lise Purkey, « Whose Right to What Justice ? The Administration of Justice in Refugee Camps », New England Journal of International and Comparative Law, vol. 17, 2011, pp. 148-150 ; UNHCR (Rosa DA COSTA), « The Administration of Justice in Refugee Camps : A Study of Practice », Legal and Protection Policy Research Series 2006, pp. 70-72 ; Ilse Griek, Access to Justice in Kenyan Refugee Camps – Exploring the Scope of Protection, Leiden University, Thèse de Master, 2006, pp. 74-76.
- Voir Ebengo Honoré Alfani et Djemila Carron, Les constitutions de la communauté de RDC du camp de réfugiés de Kakuma : entre conformité, auto-organisation et émancipation (en cours de publication). Avec l’ONG Terre des Hommes, qui a développé tout un pôle de recherches en matière de justice juvénile, nous avons mené des groupes de discussion à Kakuma sur les règlements coutumiers des différends auprès de quatre communautés.
- Voir l’explication de ces deux structures ci-dessus dans le « Contexte ». Il s’agit néanmoins de garder un regard critique sur le passage d’informations par la formation des leaders qui peuvent parfois être détaché-e-s du reste de la population du camp. Voir Catriona Mackenzie, Christopher McDowell et Eileen Pittaway, « Beyond ‘Do No Harm’ : The Challenge of Constructing Ethical Relationships in Refugee Research », Journal of Refugee Studies, vol. 20, 2007, pp. 303-304.
- Il était en effet essentiel pour nous de mettre en avant les connaissances du terrain des étudiant-e-s InZone de Kakuma en leur permettant de former les étudiant-e-s externes au camp.
- Voir le site de la Law Clinic sur les droits des personnes vulnérables de l’Université de Genève : www.unige.ch/droit/lawclinic/.
- Voir le site de la Legal Aid Clinic de la Kenyatta University : www.chat.ku.ac.ke/lac/index.php.
- Il fallait en effet s’assurer d’une langue commune à toutes et tous les étudiant-e-s : l’anglais. De plus, comme un déplacement à Kakuma était envisagé dès le départ du projet pour les étudiant-e-s externes au camp, nous devions garantir qu’ils et elles soient en mesure de s’adapter rapidement à un environnement qui s’éloigne de beaucoup de celui des facultés de droit.
- Voir art. 3 § 2 du Judicatore Act Kenyan qui précise que le droit coutumier africain peut guider les tribunaux kenyans dans les différends de droit civil tant qu’il ne contrevient pas à la justice et à la morale et ne contredit aucune loi écrite de droit kenyan.
- Voir notamment en plus des documents institutionnels, des articles déjà cités et des films produits sur Kakuma : le média KANERE – Kakuma News Reflector (média d’information indépendant produit par des journalistes réfugié-e-s de Kakuma de différentes nationalités) : www.kanere.org/about-kanere ; Catherine-Lune Grayson, « Le Camp de Réfugiés de Kakuma, Lieu de Méfiance et de Défiance », Revue Canadienne d’Etudes du Développement, vol. 37-3, 2016, pp. 341-357 ; Ilse Griek, Access to Justice in Kenyan Refugee Camps – Exploring the Scope of Protection, Leiden University, Thèse de Master, 2006.
- Clara Lecadet, « Refugee Politics : Self-Organized ‘Government’ and Protests in the Agamé Refugee Camp (2005-13) », Journal of Refugee Studies, vol. 29- 2, 2016, pp. 187-207 ; Annett Bochmann, « The Power of Local Micro Structures in the Context of Refugee Camps », Journal of refugees Studies, vol. 32-1, 2019, pp. 63-85 ; Simon Turner, « Victimes ou Fauteurs de Troubles. Humanitaire et Politique dans les Camps », Un Monde de Camps, Michel Agier (éd.), La Découverte, 2014, pp. 73-85.
- Lors de notre séjour, nous vivions dans le UNHCR compound (enceinte du UNHCR), un camp sécurisé pour le personnel humanitaire à quelques centaines de mètres du Kakuma 1. Tous les jours, nous faisions les trajets de notre enceinte au camp.
- InZone a débuté à Kakuma avec des programmes en interprétation humanitaire. Le Centre forme des interprètes dans le camp depuis de longues années et place une importance considérable dans le respect des langues et cultures. Sur l’histoire d’InZone en matière d’interprétariat, voir : www.unige.ch/inzone/what-we-do/history/early-days/.
- Les rations alimentaires étant en général insuffisantes à Kakuma, les étudiant-e-s InZone avaient insisté pour que nous ne négligions pas un apport en petits déjeuners et en déjeuners. Ce conseil permit également de créer une atmosphère conviviale entre les participant-e-s et les formateurs et formatrices.
- Nous avions en effet demandé aux sages et aux leaders lors de l’enquête réalisée par les étudiant-e-s InZone de Kakuma de préciser dans quelles langues ils et elles se sentaient en mesure de suivre une formation. Nous avons aussi fait preuve de beaucoup de flexibilité sur place à ce sujet.
- Voir notamment art. 3 § 1 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, l’art. 4 de la Charte Africaine des droits et du bien-être de l’enfant, l’art. 53 § 2 de la Constitution kenyane ainsi que plusieurs dispositions du Children Act No 8 kenyan.
- Notamment les art. 8 et 11 du Sexual Offences Act No.3 kenyan, l’art. 4 du Marriage Act No 4 kenyan et l’art. 14 du Children Act No 8 kenyan.
- Voir notamment l’art. 28 § 1 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et l’art. 7 du Children Act No 8 kenyan.
- Ces enseignements sont souvent dispensés sous forme de formations professionnelles (vocational trainings).
- Voir notamment, Xavier Aurey, « Les Origines des Cliniques Juridiques », Revue des Cliniques Juridiques Francophones, vol. 1, 2017.
- Voir la définition posée par le Réseau des Cliniques Juridiques Francophones : www.cliniques-juridiques.org/les-cliniques-juridiques/une-clinique-juridique/ ou celle de European Network for Clinical Legal Education : www.encle.org/about-encle/definition-of-a-legal-clinic. Sur la pédagogie clinique et les discussions à l’interne du mouvement clinique, voir par exemple Sameer M. Ashar, « Law Clinics and Collective Mobilization », Clinical Law Review, vol. 14, 2008, pp. 355-414.
- Sur certaines difficultés de collaboration entre cliniques de système common law et civil law, voir : Philip Genty, « Overcoming Cultural Blindness in International Clinical Collaboration : The Divide between Civil and Common Law Cultures and its Implications for Clinical Education », Clinical Law Review, vol. 15, 2008, pp. 131-156.
- Daniel Bonilla, « Legal Clinics in the Global North and South : Between Equality and Subordination – An Essay », Yale Human Rights and Development Law Journal, vol. 16-1, 2013, pp. 1-40.
- Notons que cet article a obtenu une réponse dans ce texte : James J. Silk, « From Empire to Empathy, Clinical Collaborations Between the Global North and the Global South – an Essay in Conversation with Daniel Bonilla », Yale Law School Faculty Scholarship, vol. 16-1, 2013, pp. 41-58.
- Voir notamment Wallace J. Mlyniec, « Where to Begin ? Training New Teachers in the Art of Clinical Pedagogy », Clinical Law Review, vol. 18, 2012, pp. 505-591 ; Patrick C. Brayer, « A Law Clinic Systems Theory and the Pedagogy of Interaction : Creating a Legal Learning System », Connecticut Public Interest Law Journal, vol. 12-1, 2012, pp. 49-100. C’est aussi l’approche qui permet de sortir d’une posture néocoloniale. Voir à ce sujet Kristen McConnachie, Governing Refugees : Justice, Order and Legal Pluralism, Routledge, 2014, pp. 14-15.
- Voir notamment les travaux de la Commission on Legal Empowerment of the Poor qui laisse une large place aux questions d’accès à la propriété et aux affaires.
- Anne Lise Purkey, « A Dignified Approach: Legal Empowerment and Justice for Human Rights Violations in Protracted Refugee Situations », Journal of Refugee Studies, vol. 27-2, 2014, pp. 260-281.
- Id., p. 265. Traduction libre: « le processus par lequel des personnes refugiées en situation prolongée deviennent capables d’utiliser le droit pour faire avancer leurs droits et pour acquérir un contrôle plus important sur leur vie […] ». Tant ce processus que son résultat font partie du legal empowerment.
- Id., pp. 276-277.
- Id., p. 277.
- Id., p. 278. Voir à ce sujet Kristen McConnachie, Governing Refugees : Justice, Order and Legal Pluralism, Routledge, 2014, pp. 104-106 et 114-129 où l’auteure critique une certaine utilisation faite par les organisations internationales et les ONGs de l’état de droit et du légal dans les camps de réfugiés.
- Id., p. 278.
- Pour plus d’informations sur ce programme mis en place par les Nations Unies en 2005 et actuellement dans sa quatrième phase, voir : www.ohchr.org/FR/Issues/Education/EducationTraining/Pages/Programme.aspx.
- Pour des explications sur les différents courants et pour une critique, voir Felisa L. Tibbitts, « Evolution of Human Rights Education Models », Human Rights Education : Theory, Research, Praxis, Monisha Bajaj (éd.),University of Pennsylvania Press, 2017, pp. 69-95 ; Monisha Bajaj, « Human Rights Education : Ideology, location, and Approaches », Human Rights Quarterly, vol. 33, 2011, pp. 481-508 ; Joanne Coysh, « The Dominant Discourse on Human Rights Education : A Critique », Journal of Human Rights Practice, vol. 6-1, 2014, pp. 89-114.
- Ibid.
- Maurianne Adams et Lee Anne Bell, Teaching for Diversity and Social Justice, 3ème Edition, Routledge, 2016, p. 4. Traduction libre: « de développer les outils d’analyse critique nécessaires à la compréhension des traits caractéristiques de l’oppression ainsi que de leur propre socialisation à l’intérieur de ces systèmes d’oppression ».
- Id., pp. 16-22.
- Paulo Freire, Pedagogy of the oppressed, Penguin Education, 1970, p. 62 ; Maurianne Adams et Lee Anne Bell, Teaching for Diversity and Social Justice, 3ème Edition, Routledge, 2016, p. 28. Traduction libre : « les élèves, qui ne sont plus des auditeurs-trices passifs-ves, sont maintenant des co-enquêteurs-trices critiques en dialogue avec l’enseignant-e ».
- Voir notamment, Christina Clark-Kazak, « Considérations en Matière d’Ethique de la Recherche auprès de Personnes en Situation de Migration Forcée », Revue Canadienne sur les Réfugiés, vol. 33-2, 2017, pp. 3-10 ; Ulrike Krause, « Researching Forced Migration : Critical Reflections on Research Ethics during Fieldwork », Refugees Study Center, Working Paper Series No 123, 2017 ; Refugee Studies Centre, « Ethical Guidelines for Good Research Practice », Refugee Survey Quarterly, vol. 26-3, 2007, pp. 162-172 ; Sidonia Gabriel et Laurent Goetschel, « A Conflict Sensitive Approach to Field Research Doing Any Better ? ». Swiss Academies of Arts and Sciences Contribution, vol. 12-5, 2017. InZone a également développé un document interne en matière d’éthique.
- Cette transparence rejoint par ailleurs une des exigences fondamentales de l’éducation à la justice sociale. Voir Maurianne Adams et Lee Anne Bell, Teaching for Diversity and Social Justice, 3ème Edition, Routledge, 2016, p. 40.
- Pour un regard critique sur ce principe, voir notamment Catriona Mackenzie, Christopher McDowell et Eileen Pittaway, « Beyond ‘Do No Harm’ : The Challenge of Constructing Ethical Relationships in Refugee Research », Journal of Refugee Studies, vol. 20, 2007, pp. 299-319 ; Richard Hugman, Eileen Pittaway et Linda Bartolomei, « When ‘Do No Harm’ Is Not Enough : The Ethics of Researcg with Refugees and Other Vulnerable Groups », British Journal of Social Work, vol. 41, 2011, pp. 1271-1287.
- Voir notamment, Christina Clark-Kazak, « Considérations en Matière d’Ethique de la Recherche auprès de Personnes en Situation de Migration Forcée », Revue Canadienne sur les Réfugiés, vol. 33-2, 2017, pp. 3-10 ; Ulrike Krause, « Researching Forced Migration : Critical Reflections on Research Ethics during Fieldwork », Refugees Study Center, Working Paper Series No 123, 2017 ; Refugee Studies Centre, « Ethical Guidelines for Good Research Practice », Refugee Survey Quarterly, vol. 26-3, 2007, pp. 162-172 ; Sidonia Gabriel et Laurent Goetschel, « A Conflict Sensitive Approach to Field Research Doing Any Better ? ». Swiss Academies of Arts and Sciences Contribution, vol. 12-5, 2017.
- Ainsi, aucun des trois camps dans lesquels opère InZone ne possède la même structure alors même que tous sont en partie gérés par le UNHCR et que deux d’entre eux sont dans le même pays.
- A ce sujet, voir Eloïse Benoit, « Criminalité et Justice sans Souveraineté dans les Camps de Réfugiés du HCR : des Systèmes de Justice Parallèle à l’Impunité pour le Personnel Humanitaire », Revue Québécoise de Droit International (Hors-série), 2015, pp. 129-155 ; Catherine-Lune Grayson, « Le Camp de Réfugiés de Kakuma, Lieu de Méfiance et de Défiance », Revue Canadienne d’Etudes du Développement, vol. 37-3, 2016, pp. 341-357 ; Clara Lecadet, « Refugee Politics : Self-Organized ‘Government’ and Protests in the Agamé Refugee Camp (2005-13) », Journal of Refugee Studies, vol. 29-2, 2016, pp. 187-207.
- Voir à ce sujet Kristen McConnachie, Governing Refugees : Justice, Order and Legal Pluralism, Routledge, 2014, pp. 81-82.
- A titre illustratif, par des discussions avec des représentant-e-s des ONGs, nous avons pu accéder à des documents schématisant les ressources à disposition et les démarches à suivre en cas de violences sexuelles envers les enfants ou de mariage précoce.
- Cette difficulté est mise en avant par des chercheurs et chercheuses opérant dans les camps de réfugiés. Voir par exemple, Ilse Griek, Access to Justice in Kenyan Refugee Camps – Exploring the Scope of Protection, Leiden University, Thèse de Master, 2006, p. 24.
- Pour un parallèle de la position du UNHCR dans un autre contexte, voir Kristen McConnachie, Governing Refugees : Justice, Order and Legal Pluralism, Routledge, 2014, pp. 124-126.
- Nous retombions ainsi dans une des critiques mentionnées par Daniel Bonilla dans « Legal Clinics in the Global North and South : Between Equality and Subordination – An Essay », Yale Human Rights and Development Law Journal, vol. 16-1, 2013, pp. 1-40.
- Les étudiant-e-s de Genève ayant participé au programme recevait des crédits car la Law Clinic est inscrite comme cours officiel, pas le cours Applied Human Rights.
- Lors de la dernière journée de la formation, les sages et zones leaders ont rempli des formulaires d’évaluation de la semaine en anglais et kiswahili.
- Il s’agit néanmoins de garder un regard critique sur la tendance à distribuer très largement des certificats dans les camps de réfugiés sans toujours assurer la qualité attachée à ces papiers. Sur l’utilisation des certificats dans les procédures de réinstallation Voir par exemple Bram J. Jensen, « Between Vulnerability and Assertiveness : Negotiating Resettlement in Kakuma Refuge Camp, Kenya », African Affairs, vol. 107, 2008, p. 585.
- De nombreux écrits postcoloniaux, féministes et queer critiquent depuis de plusieurs décennies la prétendue neutralité de l’académique qui fut souvent utilisée pour instaurer une pensée dominante sous couvert de scientificité.
- Ces éléments correspondent également aux trois missions de l’Université de Genève : enseignement, recherche et service à la cité/engagement civique.
- Voir à ce sujet Kristen Kristen McConnachie, Governing Refugees : Justice, Order and Legal Pluralism, Routledge, 2014, pp. 14-15, 104-106 et 114-116 sur l’utilisation plus précisément du droit à des fins néocoloniales.
- Voir à ce sujet Kristen McConnachie, Governing Refugees : Justice, Order and Legal Pluralism, Routledge, 2014, pp. 14-15, 104-106 et 114-116 ; Anne Lise Purkey, « Whose Right to What Justice ? The Administration of Justice in Refugee Camps », New England Journal of International and Comparative Law, vol. 17, 2011, pp. 137-139.
- Dans leurs évaluations, les étudiant-e-s de Genève ont soulevé s’être retrouvé-e-s à plusieurs reprises dans des situations délicates au niveau de leur posture. Il-elle ressentaient devoir mener la formation tout en faisant attention à ne pas occuper le centre de l’attention. L’étudiante genevoise a aussi trouvé que des réflexions plus importantes devaient être menées sur la gestion des questions de genre dans la formation.
- Ceci ressort également des publications mentionnées plus haut en matière de recherche en contexte fragile. Les étudiant-e-s de Genève avaient également réalisé une évaluation complète des risques avant le départ.
- Clara Lecadet, « Refugee Politics : Self-Organized ‘Government’ and Protests in the Agamé Refugee Camp (2005-13) », Journal of Refugee Studies, vol. 29-2, 2016, pp. 187-207 ; Ilse Griek, Access to Justice in Kenyan Refugee Camps – Exploring the Scope of Protection, Leiden University, Thèse de Master, 2006, pp. 9-10 ; François Audet, « From Disaster Relief to Development Assistance : Why Simple Solutions Don’t Work », International Journal, vol. 70-1, 2015, pp. 110-118.
- Des bilans écrits et oraux ont été menés avec les étudiant-e-s de Genève et Nairobi ainsi que les directions des deux cliniques juridiques. Il reste encore à entendre les membres de l’équipe de gestion de Kakuma, les étudiant-e-s InZone de Kakuma et les participant-e-s (sages et leaders). Ces bilans seront faits lors du prochain déplacement d’InZone à Kakuma.
- Kristen McConnachie, Governing Refugees : Justice, Order and Legal Pluralism, Routledge, 2014, p. 116. Traduction libre : « C’est précisément parce que les valeurs des droits humains sont importantes qu’elles doivent être communiquées d’une manière compréhensible pour les acteurs-trices locaux-ales et faire partie d’un dialogue auquel ils-elles contribuent ».