Revue Cliniques Juridiques > Volume 3 - 2019

Pourquoi pas une Ecole clinique de droit ? (1933)

Jerome Frank, « Why not A Clinical Lawyer-School ? », University of Pennsylvania Law Review, vol. 81-8, 1933, pp. 907-923 [Traduction par Xavier Aurey]

La méthode d’enseignement encore en usage dans certaines Facultés de droit (et acceptée en ces lieux comme plus ou moins sacrosainte) est basée sur les idées de Christopher Columbus Langdell. On peut même dire qu’elle est l’expression du tempérament singulier de cet homme.

Langdell formule sans équivoque comme principe fondamental de son système éducatif « que tous les éléments valables […] sont contenus dans les livres imprimés »1. Les recueils imprimés des opinions des juges sont selon lui les sources exclusives de la sagesse que les étudiants doivent acquérir pour devenir de bons juristes.

Maintenant, il est important d’observer les manières de l’homme qui a imprimé ces notions dans la pédagogie juridique américaine depuis plus d’un demi-siècle.

Quand il était lui-même un étudiant en droit, Langdell était presque toujours à la bibliothèque de droit. Ses camarades de promotion disaient de lui qu’il dormait sur les tables de la bibliothèque. Durant ces années, il était bibliothécaire assistant. Un de ses amis le trouva un jour dans une alcôve de la bibliothèque, absorbé dans manuscrit en lettres gothiques, l’un des livres de l’année. « Lorsque je me suis assis à ses côtés, nous raconte-t-il, Langdell m’a regardé et dit, d’un ton mêlé de joie et de regret et d’un geste plein d’emphase, « Oh, si seulement j’avais pu vivre au temps des Plantagenets ! » »2.

Il pratiqua le droit à New York pendant seize ans, mais il ne pris que rarement en charge une affaire. Il passa la majeure partie de son temps à la bibliothèque du New York Law Institute. Il mena une vie particulièrement isolée. Son biographe dit de lui : « Dans la partie la moins accessible de son bureau, et à la bibliothèque du Law Institute, il réalisa la meilleure partie de son travail. Il ne fréquenta que peu la société ». Ses clients furent principalement d’autres juristes pour lesquels, après bien des élucubrations, il écrivait des notes ou préparaient des plaidoiries.

Il n’est pas étonnant qu’une telle personne ait un intérêt obsessionnel et exclusif pour les livres. La matière première de la loi, pensait-il dévotement, devait être découverte dans une bibliothèque et nulle part ailleurs ; il ne pouvait s’agir, comme il le disait lui-même, que de ce que l’on pouvait trouver dans les pages des recueils de jurisprudence. L’un de ses biographes chantait ses louanges car il recherchait « la source de vie » du droit dans les travaux rangés sur les étagères des bibliothèques !  La pratique du droit signifiait pour Langdell la rédaction de notes, l’examen des textes imprimés. La relation avocat-client, les nombreux facteurs non rationnels dans la persuasion d’un juge à un procès, le face-à-face avec les jurés et l’appel à leurs émotions, tous ces éléments qui entrent dans la composition de ce qui est communément connu comme l’ « atmosphère » d’une affaire, – tout ce qui n’est jamais divulgué dans les jugements – étaient en pratique inconnus (et par conséquent dépourvus de sens) pour Langdell. La majeure partie des réalités de la vie du commun des avocats lui était inconnue.

Ce qui était son réel quasi-exclusif, il l’a traduit dans le programme de la Faculté de droit, quand, en 1870, à l’âge de 44 ans, il est devenu professeur de droit à Harvard. Le dénommé case system3 (le « Harvard system » que les Facultés de droit des universités ont adopté et qui dominent encore largement certaines d’entre elles) était l’expression du caractère étrange de cet homme de livre, retiré et cloîtré. En raison de l’idiosyncrasie de Langdell, le droit des Facultés de droit en est venu à signifier le « droit des bibliothèques ».

Il était inévitable que ceux qui avaient géré ces nombreuses Facultés de droit ordonnées sur le modèle de Langdell allaient, pour la plupart, rechercher comme enseignants en droit ceux qui n’avaient eu que peu ou pas de contact ou un dégoût positif pour les activités tumultueuses de la vie du commun des juristes. Il est significatif que l’historien officiel de la Harvard Law School ait écrit en 1918 que, pour l’enseignement du droit, « une expérience préalable de la pratique est devenu aussi inutile que le fait de poursuivre la pratique après le début des enseignements »4. Langdell, le fondateur de la méthode Harvard, l’a lui-même dit d’une manière vigoureuse : « Ce qui qualifie une personne pour enseigner le droit n’est pas l’expérience dans un cabinet d’avocat, non plus l’expérience dans les affaires avec les hommes, l’expérience du procès ou de l’argumentation d’une affaire, en bref, l’expérience de la pratique du droit, mais l’expérience dans l’apprentissage du droit »5.

Le Président Eliot d’Harvard6 ne s’est-il pas vanté que la Havard Law School était révolutionnaire parce que le corps enseignant était composé d’un « ensemble d’homme qui n’ont jamais été magistrat ou avocat » ? Il n’y a pas si longtemps, une publication officielle de la Harvard Law School énonçait que la pratique du droit pendant n’importe quelle durée était la marque d’un « désavantage intellectuel » et qu’ « il manquerait, à la Faculté menée principalement par des personnes issues du monde des avocats après plusieurs années de pratique, l’intelligence scientifique » essentielle au professeur de droit de premier ordre7.

Inévitablement alors, l’acceptation de la méthode Langdell-Harvard a signifié que les professeurs des Facultés de droit, à quelques rares exceptions, ont été ceux qui n’avaient jamais pratiqué, ou seulement pratiqué pendant une courte durée. Il est probablement vrai que la majorité des enseignants dans certaines de nos Facultés de droit n’ont jamais rencontré ou conseillé un client, consulté un témoin, négocié un accord, rédigé un contrat complexe de location ou d’hypothèque,  géré une affaire ou assisté au procès d’une affaire, voire même écrit un mémoire ou plaidé une affaire devant une juridiction supérieure. L’autre jour encore, l’un des plus brillants professeurs de droit (qui est une exception à la règle dans le sens où il s’est lui-même engagé dans la pratique active en plus de l’enseignement) a rappelé à l’auteur que la plupart des professeurs dans quelques-unes de nos Facultés de droit ont rarement, si ce n’est jamais, été dans un tribunal.

Une brève esquisse de l’histoire de l’enseignement du droit dans les universités américaines est utile comme un préalable à quelques suggestions expérimentales d’évolution8 :

Les choses ont débuté par le système d’apprentissage. Le futur avocat « lisait le droit » au sein du cabinet d’un avocat en exercice. Il voyait tous les jours ce que les cours faisaient. La première Faculté de droit américaine, fondé par le Juge Reeves dans les années 1780, n’était simplement que ce système d’apprentissage organisé collectivement. Les étudiants étaient encore en contact intime et quotidien avec les juridictions. Ensuite (vers 1830) est apparu le collège de droit avec des enseignements sur le modèle universitaire des cours magistraux et des manuels. Cette étape est généralement dépeinte comme un progrès. Pour l’étudiant maintenant consacré à plein temps à ses livres et cours magistraux, les distractions du travail en cabinet et à la cour ont été supprimées. Une histoire moins plaisante pourrait être contée : l’étudiant est cloîtré ; il n’apprend le travail des juridictions que dans les ouvrages et les cours magistraux ; il ne peut plus comparer les aspects erronés de la théorie avec les réalités de la pratique.

A suivi ensuite la période durant laquelle les principales Facultés de droit ont été dominées par les grands écrivains de manuels systémiques, ces fondateurs du dénommé « droit matériel » (américain), un droit matériel qui avait divorcé et vivait séparé de la procédure. Le fossé s’est agrandi entre la théorie et la pratique.

Est ensuite arrivé Langdell. Notant son plaidoyer en faveur de l’induction9, ses efforts pour éviter les généralités désinvoltes des manuels scolaires, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’il cherchait à tâtons et de manière oblique à revenir dans une certaine mesure aux réalités des salles d’audience. Mais il ne voyait manifestement l’avocat que comme un rédacteur de mémoire et rien de plus. En conséquence, la matière sur laquelle il a fondé sa dénommée « induction » était désespérément limitée.

Officiellement, les étudiants devaient étudier des affaires. Mais ils ne l’ont pas fait et ils n’étudient toujours pas des affaires. Ils n’étudient même pas les retranscriptions des affaires (bien que cela ne soit pas suffisant), et encore moins leurs développements. Leur attention est restreinte aux judicial opinions10. Mais une opinion n’est pas une décision. Une décision, c’est un jugement spécifique, ou une ordonnance ou un arrêt pris après le procès d’une action en justice spécifique entre des plaignants. Il y a une multitude de facteurs qui peuvent inciter les jurés à rendre un verdict, ou un juge à prononcer un arrêt. Parmi ces nombreux facteurs, rares sont ceux à figurer dans les opinions judiciaires. Et ces facteurs, non exprimés dans les opinions, sont souvent les plus importants pour la véritable explication causale des décisions.

Comme indiqué ci-dessus, le système Langdell (même dans sa version révisée) concentre l’attention sur les soi-disant règles et principes juridiques trouvés ou énoncés à partir des opinions imprimées. Bien sûr, aucune personne sensée ne contestera que la connaissance de ces règles et principes, de la façon de « distinguer » les affaires11, et de la façon de débattre du véritable ratio decidendi d’une opinion12, fait partie de l’indispensable équipement du futur avocat. Toutefois une telle connaissance est d’une aide limitée pour deviner ce que feront les tribunaux. Et dans les arguments présentés aux cours, les avocats sont tenus d’employer une terminologie en accord avec l’hypothèse fictive que les règles et principes sont les principaux fondements de toute décision.

Mais les tâches du juriste ne tournent pas autour de ces règles et principes. Le travail du juriste s’articule autour de décisions spécifiques portant sur des éléments particuliers d’un litige. Quand il rédige un testament ou transfère une hypothèque pour garantir une émission d’obligations, organise une société, négocie le règlement d’une controverse, réorganise un chemin de fer, ou rédige un projet de loi, le juriste est tout aussi préoccupé par la manière dont les tribunaux vont agir dans une affaires concrète que de ce qu’il pense lui-même d’une telle affaire. Un juriste essaye de répondre à ces questions : « Qu’arrivera-t-il si ces documents ou transactions spécifiques doivent par la suite faire partie du théâtre d’un procès ? Que décidera le tribunal quant à leur sens et à leurs effets ? »

Les droits et devoirs d’un client, appelons-le Jones, lié à un document donné (un billet à ordre, un acte, contrat, etc.) ou dans le cadre d’une transaction donnée, renvoient tout simplement à ce qu’un tribunal, quelque part, un jour dans l’avenir, décidera (pas ce qu’il va dire dans son opinion) dans un futur procès concret concernant des droits spécifiques de Jones en vertu de ce document spécifique ou dans le cadre de cette transaction spécifique13.

Par conséquent, les profanes se tournent vers un avocat parce que les actes des profanes peuvent donner lieu, ou ont déjà donné lieu, à un litige. Ce que les tribunaux décideront dans des affaires spécifiques impliquant les droits de clients spécifiques en vertu d’actes, de documents ou de transactions spécifiques doit, par conséquent, être au centre de la réflexion de l’avocat.

En gros, on peut donc résumer ainsi la tâche de l’avocat :

  1. Un avocat tente de prévoir et d’anticiper une décision judiciaire exécutoire future (c.-à-d. un jugement, une ordonnance ou un jugement) dans le cadre d’une affaire particulière concernant un client précis.
  2. Un avocat tente de gagner un procès spécifique, c’est-à-dire d’inciter un tribunal dans une affaire spécifique à rendre une décision exécutoire (c’est-à-dire un jugement, une ordonnance ou un jugement) souhaitée par un client précis.

Pour l’avocat en exercice et son client, les décisions spécifiques dans ces affaires concrètes sont le but final. Les décisions, non pas les opinions. Ce que l’avocat et son client veulent, ce sont des jugements et des décrets concrets, indépendamment de la présence ou de l’absence d’opinions concomitantes, quel que soit le contenu des opinions, s’il y en a. Étant donné que les opinions – et les travaux des commentateurs qui discutent des opinions – sont des explications émasculées des décisions, elles sont d’une aide limitée pour l’avocat en exercice. Non seulement elles ne divulguent qu’une petite partie de la façon dont les décisions sont prises, mais si l’avocat les considère comme des explications adéquates de la façon dont les décisions sont prises, il agira avec un faux et traître sentiment de certitude lorsqu’il conseille ses clients, rédige des instruments, rédige des mémoires, ou dans tout autre travail qu’il doit accomplir.

Pour que l’étudiant en droit apprenne tout ce qui peut être appris (i) sur les moyens de deviner ce que les tribunaux décideront et (2) sur la façon d’inciter les tribunaux à décider de la façon dont leurs clients veulent qu’ils le fassent, il doit observer attentivement ce qui se passe réellement dans les salles d’audience et les cabinets d’avocats. Comme nous l’avons vu plus haut, les opinions des juridictions supérieures cachent ou ne révèlent pas bon nombre des facteurs les plus importants qui mènent à leurs décisions. Les « intuitions » qui sont à l’origine de nombreuses décisions judiciaires14, les nombreux stimuli qui amènent les jurys à rendre des verdicts, ne se retrouvent pas dans les opinions imprimées des juridictions supérieures. Car, comme on l’a vu plus haut, une opinion judiciaire n’est pas seulement a posteriori par rapport à la décision. Il s’agit d’une explication censurée, rédigée par un juge, de ce qui l’a amené à rendre une décision qu’il a déjà prise. Les conventions empêchent les juges de rendre compte d’un grand nombre des influences qui motivent leurs décisions. Étudier ces explications judiciaires éviscérées comme les principaux fondements pour prédire l’action judiciaire future, c’est se leurrer soi-même. L’avocat se trompera s’il croit (en conseillant un client, en rédigeant un instrument, en jugeant une affaire ou en plaidant devant un tribunal) qu’il peut s’appuyer sur les soi-disant motifs trouvés ou énoncés dans les opinions pour l’aider à deviner ce que les tribunaux décideront par la suite. Il est beaucoup plus imprudent de le faire qu’il ne le serait pour un botaniste de supposer que les plantes ne sont que ce qui apparaît au-dessus du sol, ou pour un anatomiste de se contenter d’examiner l’extérieur du corps.

Les étudiants formés dans le cadre du système Langdell sont comme de futurs horticulteurs confinant leurs études aux fleurs coupées, comme des architectes qui étudient des images de bâtiments et rien d’autre. Ils ressemblent à de futurs éleveurs de chiens qui ne voient jamais rien d’autre que des chiens en peluche. Et on commence à soupçonner qu’il y a une certaine corrélation entre ce genre d’étude sur les chiens en peluche et la surproduction de stuffed shirts15 dans la profession juridique.

Là où le système Langdell est le plus sérieusement en faute, c’est dans son hypothèse naïve d’une inviolabilité de la doctrine du précédent et de ses corollaires, dans sa croyance implicite que la réponse à la question « Comment un tribunal arrive-t-il à ses décisions ? » ne pourra être trouvée que dans une étude des précédents et nulle part ailleurs. Il suppose que si un avocat apprend, à partir d’une étude d’opinions judiciaires, les règles et principes juridiques, il peut déterminer les « droits » et les « devoirs » de ses clients. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles le précédent n’a qu’une valeur limitée lorsqu’il s’agit de deviner ce que les tribunaux vont décider. Mais la raison principale est que déjà indiqué, à savoir : Avant le début d’un procès, l’avocat ne peut pas dire, à partir d’une étude des précédents, (i) si une question de fait sera soulevée et, le cas échéant, (2) quels témoignages contradictoires seront présentés et (3) quelles seront les réactions au témoignage contradictoire du juge ou du jury dans leur jugement de l’affaire16.

Une fois le procès en première instance terminé, alors, en appel, la connaissance des précédents, dans la mesure où ils sont cristallisés et clairs, devient parfois plus importante. Si (comme dans certaines juridictions dans de nombreuses affaires) la doctrine prétend faire prévaloir que la juridiction supérieure ne perturbera pas l’établissement des faits de la juridiction inférieure, alors le résultat de l’appel – s’il y en a un – apparaîtra (bien que les apparences soient trompeuses) comme fondé sur les précédents. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’avant l’introduction de l’action en justice devant le tribunal de première instance, l’avocat puisse savoir, à l’aide du précédent, quelle sera la décision prise. Et dans les cas où les tribunaux supérieurs sont libres sur le plan doctrinal de perturber l’établissement des faits des tribunaux inférieurs, l’avocat ne peut pas savoir d’après les précédents ce que le tribunal supérieur définira comme « les faits » après avoir lu le témoignage contradictoire dans ces nombreux cas où il y a témoignage contradictoire.

Le problème d’une grande partie de l’enseignement des facultés de droit, c’est qu’en se limitant à une étude des opinions des tribunaux supérieurs, il est désespérément simplifié à l’excès. Quelque chose d’important et d’immense valeur a été écarté lorsque le système d’apprentissage juridique a été abandonné comme base de l’enseignement dans les principales facultés de droit américaines. Cela ne signifie pas qu’il faille revenir à l’ancien système sous son ancienne forme, que nous voulions des avocats simplement formés par l’apprentissage ou des écoles de droit qui ne sont que des « cabinets d’avocats élargis ». Mais n’est-il pas clair que, sans renoncer entièrement au case-book system ou à l’alliance croissante et précieuse avec ce qu’on appelle les sciences sociales, les facultés de droit devraient renouer un contact étroit avec les besoins des clients et avec ce que les tribunaux et les avocats font réellement ? Ne faut-il pas faire volte-face et revenir à la méthode d’apprentissage du juge Reeve17 au XVIIIe siècle18, mais à un niveau supérieur et plus sophistiqué ?

Pour être plus précis, il est recommandé d’envisager les idées suivantes :

(1) Une proportion importante des professeurs de droit dans toute faculté de droit devrait être composée d’hommes ayant au moins cinq à dix ans d’expérience variée dans la pratique réelle du droit. Ils devraient avoir travaillé dans les tribunaux de première instance, les cours d’appel, dans les cabinets, dans les relations avec les clients, dans la négociation19. Leur expérience pratique ne devrait pas se limiter à une courte période de travail administratif dans un cabinet d’avocats.

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’enseignants clairement aptes malgré peu ou pas d’expérience pratique. Ceux-là sont brillamment intuitifs et, dans une certaine mesure, comblent leurs lacunes en matière d’expérience par des idées innovantes20. Aucun étudiant qui a reçu un enseignement d’Ernst Freund21 n’a besoin qu’on lui dise qu’il n’y a pas beaucoup à apprendre des hommes qui n’ont pas pratiqué le droit. S’asseoir aux pieds d’hommes brillants comme Walter Wheeler Cook, Thomas Reed Powell, Underhill Moore, Herman Oliphant ou Arthur Corbin est un événement essentiel et inestimable dans la vie d’un étudiant en droit.

Il n’est pas non plus envisagé de dire que la simple expérience de la pratique du droit fera d’un homme un bon professeur de droit. Dans l’ensemble, on naît enseignant, on ne le devient pas.

Le professeur Thurman W. Arnold est une excellente illustration du professeur de droit idéal. Il a pratiqué le droit dans l’Illinois, le Wyoming et la Virginie occidentale, où il a vécu les expériences les plus variées. Il est maintenant professeur à la faculté de droit de Yale, où il est en mesure, avec esprit et brio, de faire sentir et comprendre aux étudiants la relation entre le travail du tribunal de première instance et tous les aspects des entreprises de l’avocat. Toute faculté de droit composée en majorité d’hommes comme Arnold ou Frankfurter réorganiserait rapidement ses méthodes d’enseignement afin de combiner une connaissance approfondie de ce qui est dans les livres avec une compréhension approfondie de ce que font les tribunaux et les avocats dans les faits.

Bien sûr, il y a de la place dans n’importe quelle faculté pour le simple professeur- livresque22. Une partie du travail des avocats consiste à rédiger des mémoires dans lesquels, selon les conventions actuelles, il faut faire apparaître – contrairement à la vérité – que les règles et principes juridiques et les précédents sont les principales bases des décisions des tribunaux. L’avocat doit apprendre le jargon des tribunaux, l’art de la rhétorique judiciaire. Le juriste exclusivement livresque est peut-être le mieux placé pour enseigner un tel « droit-bibliographique »23. Mais le professeur de « droit-bibliographique » doit cesser de dominer les facultés24.

Malheureusement, les projets de réforme de la pédagogie juridique sont souvent entre les mains de l’enseignant de « droit-bibliographique ». Avec la meilleure volonté du monde, un tel enseignant se trouve souvent dans l’impossibilité de réformer l’ancien case-system afin de l’adapter aux besoins du futur avocat en exercice. Car, comme nous l’avons vu plus haut, ce système est centré sur les livres. Tant que les enseignants qui ne connaissent rien d’autre que ce qu’ils ont appris dans les livres dans le cadre du case-system sont aux commandes d’une faculté de droit, les réalités de la vie de l’avocat seront susceptibles, dans cette faculté, d’être considérées comme périphériques et d’une importance secondaire.

Une faculté de médecine dominée par des enseignants qui ont rarement vu un patient ou diagnostiqué les maux d’êtres humains en chair et en os, ou qui n’ont pas réellement pratiqué des opérations chirurgicales, ne serait pas en mesure de fournir aux médecins un quart de ce qu’ils devraient savoir. Mais nos facultés de droit n’en font pas autant pour les étudiants en droit.

Bon nombre de nos facultés de droit sont si bien dotées en personnel qu’elles sont mieux équipées pour former non pas des avocats, mais des hommes diplômés capables de devenir des professeurs de droit-livresque qui peuvent former d’autres étudiants à devenir des professeurs de droit-livresque, et ainsi de suite à l’infini. Il ne s’agit pas de facultés de juristes (comme elles devraient l’être avant tout), mais de facultés de professeurs de droit25.

Il est significatif que Dean Clark26 et Dean Green27 (les directeurs généraux respectifs de deux des trois facultés de droit les plus sensibles aux besoins de la révision de la pédagogie juridique) soient des hommes qui étaient des avocats chevronnés avant de devenir professeurs de droit.

Ce qui est suggéré ici n’est pas que tous les professeurs de droit auraient dû avoir des contacts directs avec les tribunaux, les avocats et les clients, mais qu’une très grande proportion de ces professeurs devrait être des hommes ayant de tels états de service. Les facultés de droit ont besoin d’hommes comme Frankfurter, Clark, Green, Douglas, Sturges, Llewellyn, Arnold, Medina, Smith, Dickinson, Morgan, Magill, Mack, Michael, Handler et Berle28.

(2) Le case-system devrait être révisé de manière à ce qu’il devienne en vérité et en fait un case-system et non plus un simple case-system fictif.

Quelques-uns de ce que l’on appelle aujourd’hui les recueils de jurisprudence29 devraient être conservés pour enseigner la dialectique de l’écriture des mémoires. Mais l’étude des affaires qui conduisent dans une certaine mesure à la compréhension réelle de la manière dont les affaires sont gagnées, perdues et tranchées, devrait se fonder très largement sur la lecture et l’analyse des dossiers complets des affaires – depuis le dépôt des premiers documents, jusqu’au procès devant le tribunal de première instance, voire devant les juridictions supérieures. Six mois correctement consacrés à un ou deux dossiers judiciaires élaborés, y compris les mémoires (et complétés par la lecture de manuels et des opinions des juridictions supérieurs) enseigneront à un étudiant bien plus que deux ans passés à parcourir vingt des recueils de jurisprudence actuellement en usage.

Dans les facultés de médecine, les « études de cas » sont utilisées pour l’enseignement. Mais elles sont beaucoup plus complètes que les prétendus recueils de jurisprudence utilisés dans les facultés de droit. Il est absurde que nous continuions à qualifier comme affaire l’opinion d’une juridiction supérieure. Il s’agit tout au plus d’un complément à l’étape finale d’une affaire (c.-à-d. un essai publié par une juridiction supérieure pour justifier sa décision).

(3) Mais même si les recueils de jurisprudence étaient de véritables recueils de jurisprudence et aussi complets que les études de cas en médecine, ils resteraient insuffisants comme outils d’étude. Que penserions-nous d’une faculté de médecine où les étudiants n’étudient pas au-delà de ce qui est présenté dans de telles études de cas écrites ou imprimées et sont privés de toute expérience clinique jusqu’à l’obtention de leur diplôme de médecin ? Nos facultés de droit doivent apprendre de nos facultés de médecine. Les étudiants en droit devraient avoir l’occasion de voir des opérations juridiques. Leur étude des affaires devrait être complétée par des visites fréquentes, accompagnées de professeurs de droit, auprès des tribunaux de première instance et d’appel. La coopération des juges pourrait facilement être sollicitée (à l’époque des Year Books30, il semble que les juges faisaient parfois des pieds et des mains pour instruire les étudiants en droit qui se trouvaient dans la salle d’audience. Si seulement Langdell avait vu cela lorsqu’il soupirait pour l’époque des Plantagenets !)

L’attitude « condescendante » de l’enseignant, qui a reçu une formation livresque, à l’égard de l’enseignement de la vie de la pratique judiciaire est joliment illustrée dans l’extrait suivant de The Centennial History of Harvard Law School31 :

« Des efforts ont été faits de temps à autre pour donner aux étudiants une certaine expérience du procès en substituant aux débats sur les questions de droit un procès devant un jury, que ce soit au sein des clubs de droit ou par d’obsolètes procès fictifs32. Des expériences intéressantes ont été faites pour mettre en scène un préjudice juridique et convoquer des témoins de l’événement pour témoigner ; et d’autre part, pour entraîner des témoins à témoigner à leur procès et leur demander de restituer leur témoignage devant le tribunal d’instance. De telles expériences ont plus réussies à offrir de l’amusement qu’à procurer un intérêt substantiel aux participants. Un tel procès en vaut toujours la peine, mais seulement comme un soulagement à l’ennui d’un travail sérieux ».

On ne peut qu’être d’accord, en partie, avec cet auteur. De tels faux procès sont de piètres substituts à l’observation attentive d’un procès. Est-ce qu’une faculté de médecine pourrait remplacer les opérations chirurgicales réelles par des opérations simulées comme moyen d’enseigner aux étudiants ? De toute évidence, comme le dit l’auteur que je viens de citer, de tels procès simulés au sein des facultés de droit ne peuvent guère faire plus qu’ « offrir de l’amusement » ou « servir de soulagement à l’ennui ». Ils ne sont, en effet, pas l’équivalent d’un travail sérieux.

N’est-il pas absurde qu’au cours de ses études de droit, un étudiant ne soit pas encouragé à visiter fréquemment les salles d’audience ? Cette absurdité est un produit direct de l’attitude de Langdell ; son biographe nous dit que c’était une partie fondamentale des intentions de Langdell d’exclure complètement les « méthodes d’apprentissage du droit par le travail dans un cabinet d’avocat, ou la présence aux poursuites devant les tribunaux »33. Par conséquent, certaines de nos facultés de droit, par leur attitude tacite, encouragent l’indifférence des étudiants à l’égard du travail réel des tribunaux et des avocats.

(4) Et maintenant, nous en arrivons à un point que l’auteur considère d’une importance majeure. Il a été dit plus haut que les facultés de droit pourraient apprendre beaucoup des facultés de médecine. Le parallèle ne peut être poussé trop en avant. Mais un bref examen de l’enseignement de la médecine suggère l’utilisation d’un dispositif qui pourrait être utilisé comme une méthode adéquate pour procurer un travail d’apprentissage aux étudiants en droit :

Les facultés de médecine s’en remettent dans une très large mesure aux cliniques médicales et aux dispensaires gratuits. Il existe aujourd’hui des cliniques juridiques sous la forme de la Legal Aid Society. Aujourd’hui, cette structure n’est nullement l’équivalent des cliniques médicales et des dispensaires. Les médecins les plus aguerris consacrent une partie considérable de leur temps aux cliniques médicales alors que la Legal Aid Society est, dans l’ensemble, composée d’hommes qui ne sont pas exceptionnels dans leur profession. Les avocats éminents de la communauté ne participent pas activement à ses activités. La Société est limitée dans le genre de cas qu’elle peut traiter, et les professeurs de droit ont peu ou pas de contact direct avec ses efforts.

Supposons, cependant, qu’il y ait une clinique ou un dispensaire juridique dans chaque faculté de droit34. Comme nous l’avons déjà indiqué, une partie importante du personnel enseignant d’une faculté de droit devrait être composée d’avocats qui ont déjà une expérience pratique variée. Certains de ces hommes pourraient diriger les cliniques juridiques de la faculté de droit avec l’aide a) d’étudiants diplômés ; b) d’étudiants de premier cycle ; et c) de membres éminents du barreau local.

Le travail de ces cliniques serait fait à peu de frais ou gratuitement. Les enseignants cliniciens se consacreraient à plein temps à leur enseignement, y compris à ce travail clinique, et n’exerceraient pas en pratique privée.

Les cliniques des facultés de droit ne limiteraient pas leurs activités à ce qui est actuellement entrepris par la Legal Aid Society. Elless pourraient assumer des tâches importantes pour des organismes gouvernementaux ou d’autres organismes parapublics. Le travail professionnel qu’elles feraient inclurait pratiquement tous les types de services rendus par les cabinets d’avocats.

De cette façon, les étudiants apprendraient à observer la véritable relation entre le contenu des opinions des juridictions supérieures et le travail des avocats en exercice et des tribunaux. L’étudiant serait amené à voir, entre autres, l’aspect humain de l’administration de la justice, y compris ce qui suit :

(a) Comment les jurys décident des affaires. Les facteurs qui comptent dans les procès devant un jury ; la faible influence des instructions des juges sur les verdicts. Les aléas d’un procès devant un jury.

(b) Le caractère incertain des « faits » d’une affaire lorsqu’elle est « contestée », c’est-à-dire lorsque des témoignages contradictoires sont présentés. La différence entre ce qui s’est réellement passé entre les parties au procès et la façon dont ces événements réels peuvent être présentés à un juge ou à un jury. L’importance transcendante des « faits » d’une affaire. La subjectivité inhérente à ces « faits » dans les « cas contestés »35. L’incapacité de deviner les décisions futures (même lorsque les « règles juridiques » semblent claires) parce qu’il est impossible de deviner, avant le début d’un procès, s’il y aura une question de fait et, le cas échéant, si un témoignage contradictoire sera présenté, et comment le juge ou le jury jugera l’affaire et quelle sera la réaction de ce juge ou jury inconnu à ce témoignage inconnu.

L’étudiant devrait apprendre que les « droits et devoirs légaux » sont inextricablement liés aux litiges – que, par exemple, il n’existe pas de « droit de la responsabilité délictuelle » par opposition aux décisions dans les procès, et que les soi-disant règles et principes de la responsabilité délictuelle ne sont que quelques-uns des nombreux instruments utilisés par les avocats dans leurs efforts pour gagner un procès.

(c) La façon dont les droits juridiques reposent souvent sur la mauvaise mémoire des témoins, la partialité des témoins, le parjure des témoins.

(d) Les effets de la fatigue, de la vigilance, de l’appartenance politique, de la corruption, de la paresse, de la conscience, de la patience, de l’impatience, des préjugés et de l’ouverture d’esprit des juges. La façon dont les droits peuvent varier selon le juge qui instruit l’affaire et les réactions variables et souvent imprévisibles de ce juge à divers types d’affaires et à divers types de témoins.

(e) Les méthodes utilisées pour négocier les contrats et régler les différends.

(f) La nature du processus de rédaction : comment l’avocat tente de traduire les souhaits d’un client (souvent exprimés de façon inadéquate par le client) en testaments, contrats ou actes internes à l’entreprise36.

L’intention n’est pas (comme l’a récemment suggéré un néo-Langdellien moqueur) que l’étudiant apprenne pendant ses études de droit « le chemin de la poste » ou « la mécanique de la désignation des juges à une instance ». Ce qui est envisagé, c’est que, presque dès le début et pendant ses études de droit, l’étudiant apprenne l’importance très limitée (quoique réelle) dans le monde juridique actuel du droit dit substantiel et des règles et principes dits juridiques. Il devrait apprendre que les « droits » et « devoirs » signifient simplement ce qui peut arriver un jour à la fin d’un procès spécifique. Et que toutes les soi-disant règles juridiques – y compris les soi-disant règles de droit matériel – sont « procédurales », c’est-à-dire qu’elles font partie des nombreux instruments à utiliser dans ce type de lutte, menée dans une salle d’audience, que nous appelons un « litige ». Il devrait apprendre que les juges sont des êtres humains faillibles et que les droits dépendent souvent des réactions imprévisibles de ces êtres humains faillibles à une multitude de stimuli, y compris les règles, mais aussi le témoignage faillible d’autres êtres humains appelés témoins. L’étudiant doit prendre conscience du caractère fuyant des « faits » d’une affaire, lorsqu’il y a des témoignages contradictoires, et de l’importance significative de ce qui se passe devant les tribunaux de première instance.

Récemment, le juge Crane37 de la Cour d’appel de New York a ainsi caractérisé les diplômés de nombreuses facultés de droit :

« Il n’a que peu ou pas de familiarité avec la pratique du droit. Il peut accéder au barreau presque sans savoir comment la loi devrait être appliquée et est appliquée dans la vie quotidienne. Il n’est donc pas rare de voir l’étudiant le plus brillant être un praticien des plus inutiles, et le plus érudit de la profession être surpassé par celui qui en sait à peine moitié moins.

Aussi étrange que cela puisse paraître, les anciennes méthodes de préparation au barreau comportaient certains avantages. Comme vous le savez, la faculté de droit a connu une croissance relativement récente. Auparavant, un étudiant, travaillant dans le cabinet d’un praticien, combinait l’étude du droit avec son application quotidienne aux problèmes et aux affaires des clients. Il avait l’occasion d’entendre l’histoire dès le début, de constater comment son précepteur l’avait traitée, de lire les documents préparés pour obtenir réparation ; il a accompagné l’avocat au tribunal et s’est familiarisé avec la manière de présenter l’affaire au juge ou au jury…

Vous en savez beaucoup plus que ces anciens étudiants sur le droit à la sortie d’une telle université, mais vous connaissez moins la méthode pour l’appliquer et comment le traiter et le mettre en œuvre »38.

N’est-ce pas là une situation choquante ? Pensez à une école de médecine qui produirait des diplômés ignorant comment la médecine « devrait être appliquée, et est appliquée, dans la vie quotidienne ». A cet égard, il est important de noter que selon Flexner, dans les facultés de médecine les mieux équipées, l’étudiant « fait et voit à travers des examens physiques, des dossiers minutieux, des tests de laboratoire variés et approfondis, à chaque étape de l’étude du patient ; la littérature sur le sujet est utilisée ; en même temps on pratique et étudie la médecine – professeurs et étudiants se mêlant librement et naturellement dans les deux activités ». C’est ainsi qu’il y a eu « fusion des procédures cliniques et de laboratoire pour le soin des patients, dans l’enseignement et dans la recherche… Il est évident que l’enseignement, donc étroitement lié à la recherche scientifique, doit se faire par « échantillonnage ». Il n’est ni nécessaire ni faisable de compléter schématiquement les différentes cliniques. Du point de vue de la recherche, comme je l’ai dit ailleurs, aucune clinique, aucune université ne peut à elle seule se rendre responsable de l’ensemble des résultats ; les progrès se font sous la forme de pas en avant accomplis en de nombreux lieux différents, sous des auspices aussi variés les uns que les autres, l’intégration se faisant de manières infiniment variées et dans des circonstances infiniment variées. Du point de vue de la formation, la fragmentation, si elle est stimulante et formatrice, est plus souhaitable que son absence ; la faculté de médecine, qui ne s’engage pas à forger un produit fini, mais plutôt à former l’étudiant à la méthode et à la technique, devrait logiquement aborder une étude intensive et approfondie de relativement peu de patients plutôt qu’un contact étendu avec un nombre important d’entre eux. L’étudiant doit en même temps apprendre la technique de la méthode scientifique, qu’il ne peut acquérir que par « échantillonnage », et il doit acquérir un sens vif de l’existence de ruptures, lacunes et problèmes. Les cliniques dont je parle aujourd’hui l’emmènent du patient dans son lit jusqu’à un point au-delà duquel ni l’observation clinique ni l’examen de laboratoire ne peuvent le transporter pour le moment. Il reste là, en possession, il faut l’espérer, d’une prise de conscience aiguë des limites relativement étroites de la connaissance et de l’habileté humaines, et des énigmes pressantes qui restent à résoudre par l’intelligence et la patience »39. Voici beaucoup de choses auxquelles les facultés de droit devraient réfléchir attentivement.

(5) Comme dispositif temporaire et jusqu’à ce que des facultés cliniques de droit soient établies, les étudiants, dès le début de leurs études, sous la supervision directe et soutenue de leurs professeurs de droit, devraient travailler par intermittence comme apprentis dans des cabinets juridiques soigneusement choisis. Les avocats en exercice qui aident ces apprentis à suivre une telle formation devraient être nommés membres associés de la faculté de droit – peut-être avec une certaine rémunération. Entre les membres permanents de la faculté et de tels associés, un plan d’instruction devrait être soigneusement élaboré.

D’ailleurs, les avocats qui, en tant que membres associés du corps professoral, offrent aux étudiants une formation d’apprenti, pourraient être une source de recrutement pour de futurs professeurs de droit. En même temps, de nombreux professeurs de droit devraient être encouragés, dans une certaine mesure, à poursuivre leur pratique – pour « garder la main ». Les carrières remarquables d’enseignants exceptionnels comme John Chipman Gray40, Albert Kales41 et le juge Harlan F. Stone42 indiquent qu’un tel plan est à la fois réalisable et hautement souhaitable.

(6) On peut soutenir qu’il n’y a pas de temps à consacrer à l’apprentissage ou au travail clinique. Mais les facultés de droit admettent qu’au bout d’un an ou deux, dans le système actuel, les meilleurs étudiants s’ennuient le plus souvent. La raison en est que la dialectique qui est le produit principal du système de cas actuel peut être apprise en un temps relativement court.

(7) Et il convient de noter qu’en trois ans toutes les matières juridiques ne peuvent être enseignées à l’aide de ce qu’il est convenu d’appeler des recueils de jurisprudence. Dans les facultés de droit, il faudrait recourir beaucoup plus souvent à des manuels et à des cours magistraux afin de donner aux étudiants une orientation sur de nombreuses branches du droit.

(8) On se pressera sans doute de répondre à ce qui précède que les facultés de droit langdelliennes ont formé nos avocats les plus brillants. Mais il se peut bien que ce soit malgré et non en raison de leur méthode d’enseignement. L’expérience n’a pas été une expérience contrôlée. Les étudiants qui fréquentent les facultés de droit sont généralement les meilleurs étudiants. Et ce ne sont pas seulement les élèves les plus brillants, ce sont aussi les plus riches, les plus socialement connectés, etc. De plus, le fait d’avoir fréquenté une faculté de droit comme Harvard leur donne du prestige. En effet, depuis une trentaine d’années, il est presque impossible pour un homme d’obtenir une éducation juridique dans une faculté de droit qui ne soit pas langdellienne. La méthode Langdell est devenue la méthode dominante et la plupart des avocats, ennuyeux ou stupides, à succès ou non, sont nécessairement des produits de cette méthode. La plupart des avocats qui réussissent aujourd’hui ne portent pas de barbe, mais on peut difficilement affirmer que les habitudes actuelles en matière de décoration faciale hirsute expliquent leurs réalisations. Et il en va autant pour que la corrélation entre l’enseignement langdellien et le succès juridique ne soit qu’accidentelle. Dans les jours qui ont précédé l’apparition des facultés de droit modernes, on aurait pu dire que « la plupart des avocats qui ont réussi ont été formés dans le cadre du système d’apprentissage du droit dans les cabinets d’avocats ». Le fait est que les deux systèmes d’enseignement du droit n’ont jamais opéré en parallèle à une époque où ils fonctionnaient tous les deux avec le même type de matériel étudiant (Aujourd’hui encore, certains des meilleurs juristes sont des produits du système d’apprentissage ; l’ancien juge fédéral Hugh M. Morris du Delaware en est un exemple).

(9) Comme nous l’avons déjà mentionné, l’enseignement du droit doit être intégré aux sciences sociales. L’étudiant en droit devrait apprendre à voir les inter-actions entre la conduite de la société et le travail des tribunaux et des avocats. Le programme d’études habituel des facultés de droit omet en grande partie un tel enseignement. Il s’appuie sur des cours en sciences dites sociales antérieurs au cursus en droit43. Le résultat est que l’étudiant en droit est diplômé avec les souvenirs les plus vagues de son travail pré-juridique, un sentiment insuffisant de l’inter-relation entre le droit et les phénomènes de la vie quotidienne, et une disposition artificielle envers le « Droit » comme quelque chose de totalement distinct et en dehors des faits. Pour éviter ce résultat malheureux, les hommes qui n’ont pas besoin d’avoir une expérience directe de la pratique du droit, mais qui sont des économistes, des historiens, des politicologues, des anthropologues ou des psychologues compétents, pourraient bien devenir membres de la faculté de droit à temps plein ou partiel. Le brillant travail de Walton Hamilton à Yale ou de Max Radin en Californie est révélateur44.

La connaissance des autres disciplines sociales aidera l’avocat à être utile à ses clients. De plus, cela lui permettra de prendre sa place en tant que membre constructif de la communauté. En tant que rédacteur d’un projet de loi, lobbyiste, membre d’un organe législatif, avocat, juge, homme d’État, le juriste doit être adéquatement « socialisé »45.

(10) L’éthique professionnelle ne peut être enseignée efficacement que si les étudiants, tout en apprenant les canons de l’éthique, disposent d’une observation directe des façons dont les problèmes éthiques de l’avocat surviennent et des coutumes (les « mœurs ») du barreau.

(11) Des cours de logique et de psychologie de premier ordre avec des références spécifiques à la pensée juridique devraient faire partie du programme d’études. Là, les étudiants peuvent apprendre quelque chose sur l’importance de l’ouverture d’esprit, la folie du dogmatisme, le caractère provisoire, expérimental et hésitant de la plupart des conclusions – en particulier celles qui concernent la conduite des êtres humains.

(12) De plus, des études factuelles sur les litiges et les procédures telles que celles menées par Yntema et Oliphant46 à Johns Hopkins pourraient utilement faire partie des démarches des étudiants, car elles servent à révéler ce que les tribunaux, les avocats et les clients font réellement, s’ils le font bien et comment ces choses peuvent être améliorées.

(13) Les étudiants devraient être encouragés à considérer qu’une part importante de leur tâche future consistera à faire pression en faveur de l’amélioration du processus judiciaire et de changements sociaux et économiques par le biais de la législation et d’une administration judicieuse, mais, dans le même temps, que les propositions d’améliorations adéquates devraient être formulées sur la base d’informations moyennement précises quant au fonctionnement réel des processus judiciaires, législatifs et administratifs.

(14) Une attention considérable devrait également être accordée à l’art du juge. Avec l’aide de juges compétents, dont beaucoup seraient ravis de donner un coup de main, on peut enseigner aux étudiants à quoi ressemblent les procès et les décisions du point de vue du juge. De cette façon, les étudiants qui deviendront par la suite juges pourront apprendre quelque chose sur leur futur emploi.

(15) Une faculté de droit plus ou moins organisée selon les lignes suggérées ci-dessus ne devrait pas être et ne serait pas une simple « école professionnelle » ; ses produits ne seraient pas de « simples techniciens ». La connaissance de ce que font les tribunaux et les avocats serait en fait associée à une démonstration visuelle des valeurs possibles d’une culture riche et équilibrée pour la pratique du droit.

En dernière analyse, bien sûr, le genre de faculté de droit dont il est question ici doit dépendre de son personnel enseignant. Obtenir un groupe d’enseignants de la qualité souhaitée n’est pas facile ; cela prendra du temps. Mais il y a beaucoup d’avocats capables, capables de devenir de brillants enseignants, qui ne seraient pas prêts à faire les sacrifices de temps et d’argent nécessaires pour participer aux futilités élaborées d’une faculté de droit langdellienne stéréotypée, mais qui pourraient beaucoup plus facilement être incités à participer à une faculté pratique de droit réaliste47.

(16) En somme, la pratique du droit et le jugement des affaires ne constituent pas des sciences mais des arts – l’art de l’avocat et l’art du juge48. Seule une légère partie d’un art peut s’apprendre dans les livres. Qu’il s’agisse de la peinture, de l’écriture ou de la pratique du droit, la meilleure forme d’éducation dans un art est généralement l’apprentissage sous la supervision d’hommes dont certains sont eux-mêmes devenus compétents dans la pratique effective de l’art. C’était autrefois une sagesse acceptée dans l’éducation juridique américaine. Cela a besoin d’être redécouvert49.

Notes

  1. NDT : mots prononcés par Langdell lors de son discours à la réunion de la Harvard Law School Association pour le 25e anniversaire de l’inauguration de la Faculté de droit, 5 novembre 1886, cité par Louis D. Brandeis, « The Havard Law School », The Green Bag, vol. 1, 1889, p. 19. Lorsqu’elles sont présentes dans le texte en anglais, les références bibliographiques ont été corrigées, complétées et transposées au format de la revue.
  2. Selon les dires, alors qu’il était professeur de droit, Langdell s’est une fois référé à « une affaire relativement récente décidée par Lord Hardwicke » [NDT : Philip Yorke, dit Lord Hardwicke a vécu en Angleterre entre 1690 et 1764].
  3. NDT : nous préférons ici conserver le terme anglais (traduisible par « méthode par les affaires »), cette méthode étant connue sous ce nom ou celui de case-book system.
  4. NDT : Centennial History of Harvard Law School, The Harvard Law School Association, 1918, p. 72
  5. NDT : Christopher Colombus Langdell, « Teaching Law as a Science », American Law Review, vol. 21, 1887, p. 124.
  6. Charles William Eliot (1834-1926) a été le président de l’Université Harvard entre 1869 et 1909.
  7. NDT : Centennial History of Harvard Law School, The Harvard Law School Association, 1918, p. 72.
  8. Les quelques pages qui suivent renvoient, avec quelques modifications, à Jerome Frank, « What Courts Do in Fact », Illinois Law Review, vol. 26, 1932, pp. 645-667. L’auteur, plus ou moins par paresse, a utilisé ses propres écrits publiés. D’autres éléments plus ou moins sur la même longueur d’onde pourront être trouvés dans les écrits d’hommes tels qu’Arnold, Green, Llewellyn, Radin, Bingham, Clark, Cook, Yntema, Frankfurter, Corbin, Douglas and Oliphant. Cf. pour une bibliographie partielle Karl Llewellyn, « Some Realism About Realism », Harvard Law Review, vol. 44, 1931, p. 1257.
  9. NDT : l’induction comme méthode de raisonnement visant à exprimer des lois générales à partir de l’observation des faits particuliers.
  10. NDT : en droit de Common Law, la « judicial opinion » est l’explication écrite d’un ou plusieurs juges d’une affaire accompagnant le jugement ou la décision et expliquant les raisons factuelles et légales qui ont conduit à la conclusion donnée. Elle peut être accompagnée d’opinions dissidentes et/ou concurrentes d’autres juges de l’affaire.
  11. NDT : Dans les pays utilisant la règle du précédent (stare decisis), les tribunaux doivent rendre des décisions conformes aux décisions antérieures. Pour une affaire en cours, il est donc important de savoir si elle peut être rattachée ou « distinguée » d’affaires antérieures déjà jugées.
  12. NDT : le ratio decidendi (ou raison de la décision) correspond à la justification de la décision rendue par la cour. C’est cette partie du jugement qui s’impose par la suite suivant la règle du précédent.
  13. Il arrive aussi que l’avocat, lorsqu’il conseille son client, Jones, doive tenir compte de ce qu’un tribunal quelque part a déjà décidé (et non de ce qu’il a dit dans son opinion) dans une affaire particulière, qui a déjà pris fin, relativement aux droits spécifiques de Jones en vertu d’un document particulier ou relativement à une opération particulière.
  14. Voir Joseph C. Hutcheson, « The Judgment Intuitive: the Function of the « Hunch » in Judicial Decision », Cornell Law Quaterly, vol. 14, 1929, pp. 274-288 ; William O. Douglas, Carrol M. Shanks, « Insulation From Liability Through Subsidiary Corporations », Yale Law Journal, vol. 39, 1929, pp. 193-298 ; Jerome Frank, « What Courts Do in Fact », Illinois Law Review, vol. 26, 1932, p. 761; Jerome Frank, « Are Judges Human ? », University of Pennsylvania Law Review, vol. 80, pp. 17-53 et 233-267 ; Thurman W. Arnold, « The Role of Substantive Law and Procedure in the Legal Process », Harvard Law Review, vol. 45-4, 1932, pp. 617-647 ; Jerome Frank, Law and the Modern Mind, Brentano’s Publishers, 1930, pp. 100-159; Jerome Frank, « Mr. Justice Holmes and Non-Euclidean Legal Thinking », Cornell Law Quaterly, vol. 17, 1932, pp. 598-599.
  15. NDT : « Stuffed shirt » est une expression anglaise désignant quelqu’un de pompeux et d’égocentrique. Jerome Frank joue ici sur le lien entre les expressions « stuffed-dog » (chien en peluche) et « stuffed shirt ».
  16. Comme l’auteur l’a dit ailleurs : « Avant et jusqu’à ce qu’un jugement exécutoire spécifique ait été rendu, chaque conseil qu’un avocat donne sur les droits et devoirs légaux d’un homme, et tous les droits et devoirs en vertu de chaque document préparé par un avocat, sont soumis à cette incertitude inévitable qui résulte du fait qu’aucun droit ou obligation spécifiques ne peut être connu tant qu’un jugement exécutoire spécifique n’a pas été rendu dans le cadre d’un procès futur relatif à ces droits ou obligations spécifiques – un jugement qui, pour autant que l’on puisse en juger, peut être fondé sur un témoignage contradictoire, un jugement qui ne peut être deviné […]. Les règles de droit ont incontestablement un certain effet sur un juge honnête pendant qu’il réfléchit à la manière de trancher une affaire « contestée » (Une affaire « contestée » désigne ici une affaire dans laquelle une question de fait est soulevée et dans laquelle un témoignage contradictoire est présenté relativement à cette question de fait). Bon nombre des règles de droit sont si incertaines que leur effet sur la réflexion du juge est vague ; mais, plus important encore, les règles, aussi exactes soient-elles, ne sont qu’un des nombreux types d’influences qui l’affectent lorsqu’il tente de rendre sa décision. La connaissance qu’a le juge des règles se combine à ses réactions aux témoignages contradictoires, à son sens de l’équité, à ses antécédents économiques et sociaux et à ce composé complexe qu’on appelle vaguement sa « personnalité », pour former un mélange incalculable dont découle l’acte du tribunal que nous appelons sa décision. Ce sont les futures décisions spécifiques et exécutoires (jugements, ordonnances et décrets) qui déterminent tous les droits et devoirs légaux. Les décisions exécutoires, non les règles juridiques. Mais il y a une idée très répandue et erronée selon laquelle les règles de droit contrôlent et causent les décisions. Cela s’explique en partie par le fait que les juges, lorsqu’ils rendent leurs jugements, publient parfois de petits essais, appelés « opinions », dans lesquels ils citent les règles et écrivent comme si leurs jugements avaient été produits par les règles, comme si les règles avaient été les seules influences qui les avaient affectées. Ces avis ne font pas référence aux autres types de stimuli qui les ont influencés, mais cela ne veut pas dire que les autres facteurs non divulgués n’ont pas été aussi importants ou plus importants pour amener à leurs décisions. L’incertitude de la plupart des droits et obligations juridiques est alors due à leur dépendance à l’égard des décisions qui seront prises dans le cadre d’affaires spécifiques et futures, lesquelles, à leur tour, seront affectées par au moins ces trois éléments d’incertitude : (i) Bon nombre des règles juridiques sont incertaines ou vagues. (2) Certaines règles juridiques sont claires et précises. Mais l’estimation du juge ou du jury quant aux faits d’une affaire contestée est imprévisible, même lorsque les règles de droit sont exactes. Et personne ne peut prédire quelles affaires seront « contestées » ou quels témoignages contradictoires seront présentés dans une affaire. (3) La réaction du juge ou du jury à son estimation sur les faits d’une affaire « contestée », est imprévisible. Il y a une uniformité modérée dans la façon dont les juges citent les règles. Mais il n’existe aucune relation connue entre l’exactitude des règles (même lorsqu’elles sont exactes) et la prévisibilité de toute décision future concrète (c’est-à-dire un jugement ou une ordonnance du tribunal) dans une affaire « contestée ». Bien qu’il puisse y avoir des certitudes ou des régularités dans les prédictions des décisions pour les cas « contestés », elles n’ont pas encore été découvertes ou formulées ».
  17. NDT : Tapping Reeve (1744-1823) était un juge et enseignant en droit américain. Il a créé la première faculté de droit des Etats-Unis en 1773, la Litchfield Law School à Litchfield dans le Connecticut.
  18. Comme l’auteur l’a dit, Jerome Frank, « What Courts Do in Fact », Illinois Law Review, vol. 26, 1932, p. 779 : « Il y a quelques années, nous avons commencé à entendre parler d’un grand problème métaphysique dans les facultés de droit. Il pourrait être formulé de la façon suivante : Pourquoi le « Droit » n’est-il pas comme le « droit » ? Pourquoi ce que les facultés de droit enseignent diffère-t-il du « droit » tel qu’il est pratiqué ? Ce qui était vraiment en tête était ceci : Pourquoi le droit des facultés de droit est-il différent de ce que font les tribunaux et les avocats ? Il commençait à être modérément évident que le droit des facultés de droit, limité aux soi-disant règles juridiques de ce que l’on appelle le droit matériel, en était venu à dominer indûment l’enseignement du droit. Les facultés de droit avaient un peu trop manifestement appauvri la matière à étudier ; elles s’étaient concentrées sur les Règles ; elles avaient écarté du regard de l’étudiant la matière complexe, mouvante et changeante que l’avocat en exercice doit rencontrer. Le mouvement d’enrichissement des matériaux d’étude a une fois de plus pris la forme d’une demande de « jurisprudence sociologique » : le droit, disait-on, doit être reconnu comme l’une des sciences sociales ; la faculté de droit doit s’harmoniser avec les départements d’économie, de sciences politiques, de psychologie et d’histoire. Magnifique, cette idée. Qu’elle prospère. Mais elle n’est pas allée assez loin. Chesterton dit que l’idéal médiéval chrétien n’a pas été essayé et déclaré insuffisant ; il a été essayé et déclaré difficile – et abandonné. C’est une observation qui mérite réflexion. Il est sage de voir que les générations plus âgées étaient parfois plus sensées que nous. Le changement ne signifie pas nécessairement le progrès. Il est parfois possible de retrouver des idées précieuses dans le passé ».
  19. Le but n’est pas de suggérer que cette expérience ne puisse être bien acquise que dans les grands cabinets ou dans les grandes villes.
  20. Mais ils sont peu nombreux. Et pourquoi demander à tous les enseignants de deviner par une brillante intuition ce qu’ils sont beaucoup plus susceptibles d’apprendre et de connaître plus précisément par une expérience directe ?
  21. NDT : Ernst Freund (1864-1932) a été professeur de droit à Chicago de 1894 à sa mort.
  22. NDT : Jerome Franck utilise ici le mot composé « book-teacher ».
  23. NDT : « library-law » dans le texte.
  24. Plus encore, une partie de l’enseignement de l’art du « raisonnement » persuasif utilisé dans les mémoires pourrait bien être dispensée par des hommes qui ont rédigé de nombreux et réels mémoires pour de véritables tribunaux. Voir Arthur C. Bachrach, « Reflections on Brief Writing », Illinois Law Review, vol. 27-4, 1932, pp. 374-393.
  25. L’associé de l’auteur, M. Lee Pressman, attire l’attention sur l’effet produit par les facultés de droit de type Langdell même sur les quelques enseignants qui ont déjà été praticiens. L’esprit de Langdell domine tellement certaines facultés de droit que le praticien qui devient enseignant dans une telle faculté succombe souvent à cet esprit et oublie la différence entre la théorie qu’il enseigne et la pratique réelle qu’il a auparavant rencontrée. Dans certains cas, cet oubli est dû au caractère de l’enseignant ; il se peut qu’il ait trouvé la pratique répugnante et manquant de cette certitude qu’il désirait, de sorte qu’il se tourne avec plaisir vers un système dans lequel une certitude beaucoup plus grande (mais illusoire) semble être une réalité. Dans certains cas notables, ce n’est pas le cas. Des hommes comme Llewellyn après quelques années de pratique deviennent des enseignants qui transmettent à leurs élèves une conscience aiguë de la différence entre le contexte des recueils de jurisprudence et la pratique du droit.
  26. NDT : Charles Edward Clark (1889-1963) a été le doyen de la faculté de droit de Yale entre 1929 et 1939. Il a exercé comme avocat pendant 7 ans, avant de devenir professeur de droit à Yale en 1919.
  27. NDT : Leon Green (1888-1979) a été le doyen de la faculté de droit de Northwestern University entre 1929 et 1947. Entre 1915 et 1929, il était à la fois avocat et professeur de droit à l’Université du Texas, puis à l’Université de Caroline du nord.
  28. La mention de ces noms n’implique pas que l’on croit qu’il n’y en a pas d’autres d’égale valeur et compétence dans les facultés de droit.
  29. NDT : les « case-books ».
  30. NDT : « Year Books » est le nom aujourd’hui donné aux anciens recueils de jurisprudence anglais publiés entre le XIIe et le XVIe siècles.
  31. Centennial History of Harvard Law School, The Harvard Law School Association, 1918, p. 84.
  32. NDT : « moot cour » dans le texte.
  33. NDT : « Langdell, Christopher Columbus », Centennial History of Harvard Law School, The Harvard Law School Association, 1918, p. 230.
  34. Cf. Abraham Flexner, Medical Education : A Comparative Study, The MacMillan Company, 1925, p. 269.
  35. Voir Jerome Frank, « What Courts Do in Fact », Illinois Law Review, vol. 26, 1932, pp. 658-663, 782-784 ; et Jerome Frank, « Are Judges Human ? », University of Pennsylvania Law Review, vol. 80, pp. 33-38, 46-49, 233-242.
  36. Même la faculté de droit organisée sur le modèle de Langdell peut faire quelque chose pour enseigner la rédaction d’actes, bien qu’elle doive se limiter aux documents « morts », c’est-à-dire qu’elle peut faire quelque chose pour montrer aux étudiants comment rédiger des conventions hypothécaires ou de dépôt, ou autres, qui auront une forme plus ou moins stéréotypée. Mais la « rédaction créative », c’est-à-dire l’utilisation de documents factuels jetés à l’avocat par son client et élaborés lors de négociations avec l’avocat représentant l’autre partie à l’entente, ne peut être enseignée adéquatement dans la plupart des facultés de droit telles qu’elles sont actuellement organisées.
  37. NDT : Frederick E. Crane (1869-1947) est un juge et homme politique américain. Il a été juge à la Cour suprême de New York de 1907 à 1920, puis juge à la Cour d’Appel de New York de 1917 à 1939.
  38. NDT : nous n’avons pu retrouver la référence de cette citation.
  39. Abraham Flexner, Medical Education : A Comparative Study, The MacMillan Company, 1925, pp. 269-270.
  40. NDT : John Chipman Gray (1839-1915) était professeur de droit à l’université Harvard et l’un des deux fondateurs de la firme d’avocat Ropes & Gray, une firme qui compte aujourd’hui 11 cabinets dans le monde et plus de 1200 employés.
  41. NDT : Albert Martin Kales (1875-1922) était avocat et professeur de droit à l’université Northwestern. Ayant obtenu le grade de professeur en 1910, il continua de pratiquer comme avocat dans une limite de 6 dossiers par an.
  42. Harlan Fiske Stone (1872-1946) était un juge, homme politique et professeur de droit à l’université Columbia.
  43. NDT : pour rappel, le système étatsunien d’enseignement du droit repose sur un premier diplôme en 4 ans, le Bachelor en sciences (BS, pour Bachelor of Sciences) ou en humanités (BA, pour Bachelor of Arts), suivi d’une spécialisation en droit de 3 ans, le Juris Doctor (JD). Lors de son Bachelor, l’étudiant suit un cursus assez général, intégrant une « majeure », c’est-à-dire une première forme de spécialisation.
  44. A cet égard, voir le brillant article écrit par Leon Keyserling, « Social Objectives in Legal Education », Columbia Law Review, vol. 33-3, pp. 437-461. Comme le présent article a été écrit en 1932, l’auteur n’avait pas l’article de Keyserling devant lui lorsqu’il a été écrit. Le seul grave défaut de l’article de M. Keyserling est son omission de toute référence au travail admirable fait par Walton Hamilton à Yale.
  45. D’autre part, il faut tenir compte du commentaire d’Alvin Johnson sur « la stérilisation croisée des sciences sociales ». Et il ne faut pas non plus supposer que les sciences dites sociales sont ou sont susceptibles d’être « scientifiques » au sens d’un degré élevé de précision ou d’exactitude. Peut-être vaudrait-il mieux les appeler « arts sociaux » plutôt que « sciences sociales ». Voir Jerome Frank, « Are Judges Human ? », University of Pennsylvania Law Review, vol. 80, pp. 254-260.
  46. NDT : Voir notamment Hessel Yntema, « The Purview of Research in the Administration of Justice », Iowa Law Review, vol. 16-3, 1931, pp. 337-360 ; Herman Oliphant, « Facts, Opinions, and Value-Judgments », Texas Law Review, vol. 10, 1932, pp. 127-266.
  47. NDT : l’auteur emploie ici l’expression « lawyer-school » qu’il est difficile de traduire autrement que par « faculté pratique de droit ». L’idée correspond ainsi à une faculté qui formerait non pas au droit (la « law-school »), mais à sa pratique (la « lawyer-school »).
  48. Dans l’intérêt des étudiants qui pourraient devenir enseignants, il devrait y avoir des cours sur l’art d’enseigner le droit.
  49. En 1912, le juge Harlan F. Stone, aujourd’hui Juge Stone de la Cour suprême des États-Unis, a vigoureusement affirmé que les professeurs de droit devraient avoir de l’expérience dans la pratique du droit. Voir Harlan F.  Stone, « The Importance of Actual Experience at the Bar as a Preparation for Law Teaching », American Bar Association Report, vol. 37, 1912, p. 747. D’après les commentaires formulés dans ce document et dans d’autres, le juge Stone n’aurait pas été d’accord en 1912 avec la plupart des suggestions faites dans ce qui précède. En partie, son désaccord aurait alors été dû au fait qu’il croyait que le temps requis par le case-system laissait peu de place à l’ajout d’éléments au programme d’études. Toutefois, tout indique clairement que, depuis ce temps, la faculté de droit de l’Université Columbia, comme les autres grandes facultés de droit, est parvenue à la conclusion que l’on consacre habituellement trop de temps à l’étude traditionnelle des recueils de jurisprudence. Voir aussi Albert M. Kales, « Should the Law Teacher Practice Law ? », Harvard Law Review, vol. 25-3, 1912, pp. 253-269. Kales, qui limitait sa pratique presque exclusivement à la rédaction de mémoires et d’argumentations orales devant les juridictions supérieures, voulait que les professeurs de droit soient des hommes engagés dans ce genre de pratique limitée. Il avait un curieux mépris (souvent exprimé) pour l’ « avocat de bureau » et un manque de respect implicite pour l’avocat de première instance. Sans doute est-ce dû à la nature limitée de sa propre pratique. Comme le barreau est composé de toutes sortes d’avocats, il semble sage que les facultés de droit s’adaptent en conséquence. La plupart des professeurs de droit devraient donc avoir de l’expérience dans (1) les tribunaux de première instance, (2) le travail de bureau et (3) les tribunaux supérieurs.