Cet article a initialement été publié au sein de l’ouvrage : Xavier Aurey (dir.), Les Cliniques juridiques, Presses Universitaires de Caen, 2015. Merci aux PUC d’avoir autorisé sa mise en ligne.
L’enseignement du droit en France est en mouvement. Fruit d’un débat d’idées, de trajectoires historiques, de dynamiques institutionnelles, et de flux à la fois structurels et contextuels allant du local au global, la réflexion sur la formation des juristes en France a fait l’objet durant la dernière décennie de nombreuses prises de positions et propositions de réformes, et débouché sur des innovations peut-être impensables il y a peu. L’institutionnalisation au printemps 2012 d’une clinique au sein de la nouvelle École de droit de Sciences Po en est un exemple significatif, qui intervient à un moment précis, et peut-être charnière, dans l’évolution de l’enseignement du droit en France. L’une des « marmites bouillonnantes » qui se réclament ouvertement de la « cuisine » comme « laboratoire d’expérimentation »1 de l’École de droit de Sciences Po (EDD), la clinique de l’EDD est avant tout l’une des expressions d’un projet intellectuel et institutionnel spécifique, projet autour duquel s’est cristallisé un nombre important d’arguments relatifs à la réforme de la formation des juristes et dont l’irruption, dans ce champ jusque-là réservé aux facultés de droit, a généré (et ne cesse de générer) de nombreux débats2. Spécifique à un contexte lui-même particulier – celui d’une innovation institutionnelle au sein d’une institution ayant elle-même vécu une (r)évolution au cours des quinze dernières années pour s’ériger en plate-forme d’innovation pédagogique reconnue à l’international3 –, la clinique de l’EDD est néanmoins également représentative de l’émergence plus large d’un « mouvement clinique » en France, manifestation directe de ce bouillonnement d’idées et d’initiatives liées au débat sur la formation des juristes en France, et dont cette publication est le reflet immédiat. Cette émergence est à la fois relative et réelle. Relative, dans le sens où la notion même de clinique n’est pas entièrement nouvelle dans le paysage juridique français et dans l’historique des débats portant sur l’enseignement du droit en France4. Réelle cependant, comme le reflète la création récente de cliniques juridiques, sous des formes et selon des approches parfois fort différentes, dans un nombre important de facultés de droit françaises, dont beaucoup sont représentées dans cet ouvrage5. Réelle, enfin, comme en témoigne une littérature émergente sur le sujet6, venant à la fois décrire, promouvoir, et dans une certaine mesure apporter un éclairage théorique sur l’enseignement clinique du droit en France.
À l’heure donc où la formation des juristes fait l’objet d’un débat voire d’une profonde remise en cause en France et où le mouvement clinique, désormais « global »7, semble lui aussi arriver à un moment charnière dans certaines de ses terres conquises8, l’émergence des cliniques juridiques en Europe occidentale, longtemps considérée comme « à la traîne » de ce mouvement9, et en particulier en France, mérite une attention toute particulière10. En complément des différentes contributions à cet ouvrage, et en se fondant en partie sur la trajectoire intellectuelle et institutionnelle ayant mené à la création de la clinique de l’EDD, cet article s’efforcera à la fois d’apporter un éclairage théorique et historique à l’émergence de cliniques juridiques en France, et d’en synthétiser et problématiser les principales caractéristiques et les enjeux. Cette analyse s’inscrit dans une approche qui invite à une certaine autoréflexion, voire une pause, au moment même où ce mouvement semble inéluctablement en marche. À travers une synthèse et une problématisation d’une expérience naissante qui semble à la fois le reflet d’un mouvement global et celui d’une trajectoire spécifiquement française, cet article aspire ainsi à contribuer à une réflexion plus large sur l’évolution de l’enseignement du droit et de la formation juridique en France, et sa remise en question.
Inspirées en partie par la notion d’un décalage entre le « droit dans les livres » et le « droit en action »11, issues d’un courant de pensée – le réalisme juridique américain – lui-même en partie reflet de pensées juridiques européennes et notamment françaises aujourd’hui redécouvertes12, l’EDD et sa clinique soulignent, dans une configuration certes très particulière, l’émergence plus large en France d’une aspiration pour ce « droit en action ». D’origine et d’orientation parfois diffuses et très différentes, cette aspiration semble marquer voire symboliser la remise en question, ou en mouvement, d’un enseignement du droit trop longtemps immobile. Sans le recul nécessaire à un premier bilan du mouvement clinique en France, il s’agira ici d’identifier et d’articuler, sur la base de l’approche ayant mené à la création d’une clinique à l’EDD ainsi que des contributions des cliniques représentées dans cet ouvrage13, les tendances marquantes de ce mouvement émergent ainsi que les principaux enjeux et défis tirés ou à tirer de l’expérience naissante. Cette analyse, qu’il convient par hypothèse de qualifier de préliminaire et de non exhaustive, aspire à permettre aux enseignants, étudiants et praticiens investis dans ce mouvement clinique naissant, d’identifier les principales questions, tensions et difficultés – et notamment de percevoir les possibles dichotomies entre projets et/ou visions et « modèles » (la clinique « dans les livres »), d’une part, et leur mise en pratique (la clinique « en action »), d’autre part. À ce titre, l’approche suivie ci-dessous se situe dans la lignée directe de celle qui sous-tend la clinique de l’EDD. Cette dernière se conçoit comme un projet pédagogique engagé mais à caractère ouvertement expérimental plutôt que dogmatisé ou dogmatisant, construit autour d’une volonté revendiquée de placer une nécessaire réflectivité, constante et itérative, au cœur de son mode de fonctionnement. Cette réflectivité s’applique aussi bien aux idées et au projet intellectuel, pédagogique et de justice sociale autour duquel s’articule la clinique, qu’au contexte – institutionnel, social, économique, politique et idéologique – dans lequel elle s’inscrit et se développe. L’analyse ci-dessous procédera en trois temps. Tout d’abord, l’émergence des cliniques en France sera située dans une perspective comparée, qui se concentrera sur l’émergence d’un mouvement clinique européen ainsi que sur l’expérience des cliniques aux États-Unis. Dans un deuxième temps, le contexte français sera analysé à la lumière de perspectives historiques et théoriques sur le « droit en action », sur la base notamment de l’approche qui sous-tend la création de la clinique de l’EDD et autour de la question des cliniques et de la « professionnalisation ». Enfin, dans un troisième temps, l’analyse portera sur la mise en pratique, ou en action, par les cliniques françaises, du droit en action.
Le droit en action : perspectives comparées
L’émergence du mouvement clinique juridique français se doit d’être replacée dans un double contexte. Celui tout d’abord d’un mouvement clinique devenu « global » ou globalisé, comme le souligne l’excellente contribution de Xavier Aurey en introduction de cet ouvrage14. Celui, par ailleurs, de la réflexion et des débats contemporains sur l’enseignement du droit et la formation des juristes en France. Dans un premier temps, l’analyse opérera un bref retour sur la globalisation du mouvement clinique et proposera quelques considérations, à la fois contextuelles et structurelles, sur l’émergence d’un mouvement clinique européen. Dans un second temps, elle s’attachera à souligner un certain nombre d’éléments relatifs à l’évolution des cliniques dans ce qui est souvent perçu comme le « centre » conceptuel et institutionnel du mouvement clinique : les États-Unis.
Le mouvement clinique global et l’émergence d’un mouvement clinique européen : de l’empire et du milieu
Ainsi que l’ont noté un certain nombre de commentateurs du mouvement clinique global ou en voie de globalisation15, l’émergence de ce dernier en Europe (notamment en Europe dite « continentale » et en particulier en Europe de l’Ouest16) est un phénomène relativement récent17. En partie, le reflet de ce que certains ont caractérisé comme la globalisation du « droit d’intérêt général » (public interest law)18, ou encore de l’émergence de modèles globalisés et concurrentiels d’enseignement du droit, dont notamment celui de la law school nord-américaine19, ce mouvement européen reste à l’heure actuelle relativement modeste, et à la recherche d’une identité spécifique20. Si les innovations qui le composent s’articulent et se développent dans des contextes nationaux et des trajectoires institutionnelles spécifiques, le mouvement clinique européen semble également, à ce stade et au premier abord, largement influencé par des idées, structures, et modèles émanant de ce que l’on peut considérer comme le « Nord global » en matière d’enseignement clinique du droit, voire pour certains le lieu d’origine d’une forme d’« impérialisme clinique »21 : les États-Unis22. Outre les concepts et modèles émanant de l’histoire, de la conceptualisation et de l’expérience des cliniques nord-américaines, largement discutés dans cet ouvrage23 et sur lesquels on reviendra en partie ci-dessous, cette influence prend désormais parfois la forme très concrète de collaborations entre universités, écoles de droit, ou encore programmes cliniques24. Cette dynamique semble placer le mouvement européen naissant, du moins dans sa version « continentale », dans une position intermédiaire – quelque part entre le « Nord » et le « Sud » (ou le « centre » et la « périphérie ») – de trois mouvements qui se sont récemment développés à l’échelle globale, et qui se recoupent en partie : le mouvement clinique, le mouvement du public interest law, et le mouvement international des Droits de l’homme (à travers notamment l’émergence de grandes organisations internationales de défense des Droits de l’homme). Les cliniques européennes naissantes peuvent être ainsi perçues comme un réceptacle des flux conceptuels, institutionnels et financiers, fortement nord-américains, qui sous-tendent et structurent ces trois mouvements25. Elles peuvent néanmoins être elles-mêmes analysées comme constituant un « centre » à part entière de réappropriations et d’innovations, du fait d’histoires nationales et de trajectoires intellectuelles et institutionnelles marquées, voire comme un centre émergeant d’influences au-delà des frontières européennes26, par exemple à travers le choix que certaines cliniques ont fait de se projeter vers le « Sud global »27. À ce titre, il est important de souligner qu’elles ne seront pas exemptes de réflexion sur les dimensions problématiques que peuvent revêtir les partenariats entre cliniques et « clients » – associations, particuliers, communautés – situés dans ce « Sud global », et que Bonilla analyse très justement comme marqués par des déséquilibres quasi structurels de subordination qui donnent la priorité aux objectifs pédagogiques, institutionnels et idéologiques des cliniques du « centre » ou du « Nord » par rapport aux besoins – notamment en termes de justice sociale – de leurs partenaires ou « clients » situés dans la « périphérie » ou le « Sud ». Cela est a fortiori d’autant plus vrai dans le contexte du développement récent de « cliniques internationales de Droits de l’homme », où celles-ci deviennent un vecteur d’extension parmi d’autres d’un discours et d’un paradigme normatif critiqué par certains comme s’inscrivant dans un universalisme qui ne serait que le reflet d’un impérialisme au service d’intérêts postcoloniaux28.
Les cliniques aux États-Unis : de la théorie et de la pratique du droit en action
Avant d’évoquer les termes et les enjeux principaux des arguments en faveur de l’enseignement clinique du droit en France, et de relativiser ainsi en partie la portée du mouvement clinique global et du « modèle » américain sur le débat et l’expérience naissante française29, il convient de revenir un moment sur ce dit « modèle ».
Deux éléments importants seront ici soulignés, dans le contexte d’une réflexion sur l’émergence d’un mouvement clinique français. Le premier nécessite un détour par le réalisme juridique de Jerome Frank30, et notamment par l’excellente analyse qu’en fait Christophe Jamin dans son ouvrage La cuisine du droit ainsi que dans son article récent sur les cliniques juridiques31. Ce détour se justifie non pas pour la genèse qu’on pourrait y trouver d’un « modèle » américain, mais pour l’importance de la démarche intellectuelle qu’elle permet d’analyser – et des leçons et perspectives qu’il est possible d’en tirer, au-delà du contexte américain, sur le concept même de clinique juridique. Le second tient à quelques précisions importantes concernant l’évolution historique des cliniques aux États-Unis et au moment actuel de leur développement, éléments qui sont souvent mis en avant ou sous-jacents dans certains arguments autour des cliniques juridiques en France.
À travers une critique du mode d’enseignement de la case method développé par Christopher Columbus Langdell et censé rendre « pratiques », grâce à la méthode socratique savante du professeur de faculté appliquée à des décisions de juridictions supérieures étudiées en bibliothèque, les principes d’essence « cohérente » et « scientifique » du droit, Frank suggère une idée radicale et iconoclaste en son temps : celle d’une véritable intégration de l’apprentissage « théorique » et « pratique » du droit, au sein de « facultés de cliniques juridiques »32. Les méthodes doctrinales inhérentes à la case method donnent en effet une « vision incomplète et inexacte de ce qu’est le droit »33, et ne permettent pas, selon Frank, de bien former les juristes. L’apprentissage du droit « en action » qui s’effectuerait au sein de ces cliniques juridiques passe par une rencontre avec des cas réels et approfondis, ainsi que des outils d’analyse théorique et pratique issus du droit mais également (et fondamentalement) d’autres disciplines, que l’étudiant combinerait pour acquérir des réflexes analytiques, des modes de raisonnement, des matrices argumentatives, des grilles de questionnement. Il se fonde sur une conception du réalisme juridique où la clarté des principes doctrinaux abstraits, « découverts » à travers la case method et articulés dans le casebook du professeur, fait place au désordre et au dés-ordonnancement de la pratique – réalité qui apparaît confuse, subjective, indéterminée, contradictoire. L’expérience ou plutôt l’expérimentation encadrée de cette pratique au sein de cliniques juridiques s’inscrit à rebours d’une vision systématisée, abstraite et « objective » des questions et principes juridiques, qu’il suffirait d’appliquer au réel. Elle permet d’appréhender et de mettre en lumière les contextes, structures et subjectivités économiques, sociaux, idéologiques, politiques, institutionnels (visibles et moins visibles) dans lesquels s’inscrit l’articulation de ces principes « objectifs » et la pratique, désordonnée, du droit. La clarté des textes et des principes abstraits, l’univocité de leur sens, ou encore la déterminabilité des concepts juridiques, sont ainsi mis en cause. Ainsi que le suggère C. Jamin, ce détour par l’un des instigateurs du concept de clinique juridique aux États-Unis permet de mettre en avant, au-delà de l’idée qu’avait Frank, en tant que praticien, de mieux préparer les juristes à leur profession, la nature potentiellement révolutionnaire du concept de clinique juridique en tant que projet intellectuel – élément parfois oublié dans les analyses de la globalisation du mouvement clinique, et de l’influence du « modèle » américain. Les cliniques juridiques telles qu’imaginées par Frank, souligne-t-il, sont en effet « susceptibles de bouleverser la conception traditionnelle du droit et de son enseignement »34 – aux États-Unis, mais également au-delà. En remettant fondamentalement en question le privilège donné à la « science » abstraite et doctrinale du droit enseignée à travers la case method de son temps, et en suggérant d’introduire la pluridisciplinarité comme élément clé d’une compréhension des mécanismes, contextes et enjeux du droit en action, Frank articule non seulement une certaine vision du concept de clinique juridique mais également une vision de la manière d’enseigner et de penser le droit.
Le second ensemble d’éléments qu’il convient de prendre en considération tient à l’évolution historique des cliniques aux États-Unis35 ainsi qu’au contexte actuel, et se situe au niveau idéologique, théorique, et de ce qu’on peut qualifier d’économie politique du champ de l’enseignement du droit. Tout d’abord, au niveau idéologique, on suivra ici C. Jamin qui établit un parallèle entre l’émergence de « boutiques du droit » en France36 et celle de cliniques fortement politisées aux États-Unis, dans un contexte de mouvements politiques contestataires et progressistes qui se développent dans les années 1960-1970 dans la plupart des pays occidentaux et au-delà. Les idées de Frank étant finalement peu suivies, l’éclosion des cliniques américaines intervient véritablement dans un contexte spécifique et selon une orientation résolument libérale37 : celui des années 1960 et des programmes fédéraux de services juridiques destinés aux plus démunis38, dont les cliniques qui se développent désormais au sein des law schools, avec le soutien du barreau, permettent de former les juristes39. Si ces cliniques s’articulent principalement autour de notions d’accès au droit et de justice sociale40, certaines le font néanmoins autour de notions plus radicales de justice et de critique sociale – notions qui rappellent l’aspiration des boutiques de droit et visent à subvertir voire à transformer le statu quo juridique, politique et socio-économique à travers une mobilisation du droit41. Une référence en la matière est l’approche développée par Gary Bellow42, professeur titulaire d’une chaire à la Harvard Law School, et devenu par la suite pour une frange « rebelle » de cliniciens universitaires américains un modèle, voire un mythe43. Son approche est celle d’une clinique juridique « de quartier » insérée ou liée à la faculté, qui reçoit et offre des consultations gratuites à des clients démunis. En parallèle, cette clinique sélectionne un certain nombre de dossiers « stratégiques », qu’elle porte en contentieux et/ou qu’elle utilise pour organiser des campagnes de mobilisation militante. Ces dossiers sont choisis en raison de leur fort potentiel de réforme « structurelle » (et progressiste) et/ou de mobilisation militante, et permettent d’aller au-delà de l’aide juridictionnelle et de l’accès au droit, en ciblant notamment les causes profondes ou structurelles qui génèrent un recours et un retour cyclique par des catégories d’individus à l’aide juridictionnelle44. À travers une pratique encadrée et résolument orientée du droit en action, qui fait place aux autres disciplines au niveau de l’analyse des dossiers45 ainsi qu’aux modes extrajudiciaires de résolution de conflits et de plaidoyer, l’étudiant d’une telle clinique est amené à développer une perspective critique sur la pratique du droit, en particulier sur les relations de pouvoir entre l’« expert-praticien » et son « client » démuni, sur les avantages mais également les limites de la mobilisation du droit comme instrument de changement social, ou encore sur les effets structurants et hiérarchisants des institutions et des codes professionnels du juriste, et de l’approche formaliste et individualiste qui les caractérise. Ainsi que le souligne C. Jamin, et au-delà d’une perspective critique clairement revendiquée des institutions juridiques, cette approche aspire au final à une vision proche de celle de Frank en ce qu’elle suggère la généralisation de l’enseignement clinique du droit à l’ensemble du cursus juridique universitaire – et donc la remise en cause profonde de la manière d’enseigner, et de penser, le droit. Si cette approche est célébrée par certains cliniciens et universitaires aux États-Unis, elle reste cependant à la marge – et ce d’autant plus dans le contexte actuel.
Celui-ci mérite d’être analysé avec attention, dans la mesure notamment où certains parallèles mais également des distinctions importantes existent avec la France. Ainsi, le contexte américain est tout d’abord en partie structuré par une architecture institutionnelle distincte, du moins formellement : celui de l’intégration des enseignements théoriques et de l’apprentissage professionnel au sein des law schools, à l’inverse du « compromis français » qui laisse cette dernière tâche à des écoles de formation professionnelle séparées46. Dans ce contexte, la prééminence de l’analyse doctrinale classique telle qu’elle est enseignée à travers la case method a subi un net recul, non pas tant du fait de l’émergence de cliniques dans les law shools américaines dans les années 1960, mais par l’effet d’un double mouvement intellectuel et institutionnel dans les années 1970-198047. Ce double mouvement a eu pour conséquence le développement sans précédent d’une littérature pluridisciplinaire et d’essence relativement théorique, qui elle-même a eu pour conséquence une réaction très vive des praticiens48. Ces critiques envers la nature trop théorique et abstraite de l’enseignement du droit aux États-Unis mettent en avant la manière dont l’architecture institutionnelle d’origine (l’intégration de la formation professionnelle en law school) s’en verrait transformée en un système – ou un compromis – où la formation professionnelle du diplômé est au final acquise auprès du premier employeur (le jeune collaborateur ayant passé le barreau, lors de sa première année en cabinet d’avocat). Ces critiques, récurrentes, ont récemment pris une ampleur sans précédent. En effet, suite à la remise en cause par la crise financière et économique du modèle économique des cabinets d’avocats américains49, ces critiques se sont multipliées, et ce jusqu’à remettre radicalement en cause le modèle économique, institutionnel et pédagogique – de la law school américaine50. Le moment actuel est donc marqué, comme le suggère justement C. Jamin, par la remise en cause potentielle d’un « point d’équilibre »51 qui avait été trouvé dans les années 1990 entre, d’une part, l’ascendant théorique et pluridisciplinaire issu du double mouvement intellectuel et institutionnel des années 1970-1980, et, d’autre part, le souci de « professionnaliser » davantage la formation au sein de la law school – notamment (mais pas uniquement52) à travers le développement des law clinics. Dans le moment actuel de crise du modèle de la law school, ce point d’équilibre paraît ne plus suffire, et le « compromis » américain est remis en question, les cabinets ne voulant ou ne pouvant plus assurer en leur sein la formation professionnelle du jeune collaborateur diplômé. Cette crise sans précédent a donc un effet paradoxal sur le développement des cliniques américaines, qu’il convient d’avoir à l’esprit.
D’une part, celles-ci se multiplient comme jamais auparavant. Ceci est le résultat direct de cette pression de la plupart des professionnels, et notamment du barreau. C’est également le résultat de la montée en puissance, qui remonte à une dizaine d’années, du mouvement pro bono53. Dans le contexte américain d’un ralentissement considérable des programmes fédéraux d’aide juridictionnelle depuis le gouvernement Reagan des années 1980, celui-ci s’est développé aussi bien dans les cabinets d’avocats (avec un certain recul récemment du fait de la crise économique et de celle, par contrecoup, des law firms) qu’à travers les cliniques. Celles-ci servent ainsi à la fois de réceptacles au pro bono (praticiens s’associant à des enseignants et des étudiants sur des programmes ou projets cliniques) et d’élément majeur de l’offre de services juridiques en pro bono auprès des plus démunis ou des associations. Au final, ces deux dynamiques actuelles ont un effet remarquable sur le développement des cliniques54. Néanmoins, et il est important de le noter, ce développement impressionnant est loin de refléter la vision de Frank et encore moins celle de Bellow-Sacks55 d’une remise en cause profonde, à travers le droit en action, de la manière d’enseigner ou de penser le droit, ou encore des institutions juridiques et de la pratique du droit. Au-delà des quelques disciples de Bellow qui empruntent des approches spécifiques56, ces cliniques se sont développées selon des modèles pédagogiques de plus en plus formatés pour s’insérer au sein du cursus traditionnel, souvent à travers des structures de plus en plus « professionnelles » et bureaucratisées fonctionnant parfois comme de véritables cabinets d’« intérêt général » (public interest law firm). Si un nombre croissant de programmes cliniques s’effectuent en externship (où le « terrain » s’effectue auprès d’organismes ou d’associations à l’extérieur de l’université, mais la partie pédagogique – le cours-séminaire clinique – reste centrale et prodiguée au sein de l’université), notamment pour des raisons financières, un nombre important de cliniques intégrées à l’université sont dirigées par des enseignants en majorité non universitaires57, et gérées par des professionnels. Ces formes « modernes » de la clinique américaine autorisent beaucoup d’entre elles à s’engager en faveur de l’accès au droit, des droits fondamentaux, ou encore d’une « formation à la justice sociale » (social justice education), plus ou moins politisée58, qui sera inculquée à l’étudiant et lui permettra potentiellement d’aspirer à des vocations professionnelles d’intérêt général. Dans leur grande majorité, elles mettent cependant avant tout l’accent sur la professionnalisation de l’étudiant. À travers l’acquisition d’« outils » (skills)59 et de réflexes qu’il appréhende et met en action dans des cas concrets et réels (learning by doing) sous la supervision de juristes-cliniciens, l’étudiant clinique est certes exposé au « désordre » du droit en action – mais il est aussi, voire surtout, poussé à apprendre à « résoudre les problèmes » (problem-solving), et ainsi se préparer à sa carrière future de juriste « moderne ». Du fait de la crise actuelle, cette tendance, déjà présente au début de la dernière décennie, est aujourd’hui exacerbée. Pressées par les professionnels du droit et les donateurs en crise de préformer et préformater de futurs collaborateurs, mais aussi par les étudiants, de moins en moins nombreux et de moins en moins enclins à débourser des sommes devenues exponentielles60 pour des enseignements qui ne leur assureraient pas un débouché professionnel, les facultés de droit américaines mettent donc l’accent sur le développement de cliniques préparant les étudiants à « entrer » dans la profession, plutôt qu’à la remettre en question. Se sont ainsi développées des cliniques « techniques », aussi bien in-house qu’externes, portant sur des sujets tels que la négociation contractuelle, la médiation, la transaction, le droit de la consommation, la propriété intellectuelle, ou encore le droit du sport. À première vue, et même s’il existe des marges non négligeables d’orientation à la disposition de l’enseignant (surtout si celui-ci est tenured (titulaire), comme c’est le cas désormais dans certaines law schools d’élite, mais toujours de manière différenciée par rapport au tenured law professor), l’objectif et la fonction d’accès au droit, de justice sociale, ou encore plus de critique du droit et de sa pratique, semblent être mis au second plan dans ces cliniques, voire définitivement écartés.
Pour un enseignement clinique du droit en France : perspectives historiques et théoriques
Reflet de dynamiques propres au développement du mouvement clinique à l’échelle globale et européenne, influencée en partie par l’expérience clinique américaine, l’émergence des cliniques juridiques en France est également intimement liée à des trajectoires et des débats spécifiquement français, et notamment au débat actuel plus large sur l’enseignement du droit. En se fondant sur l’expérience et l’approche ayant guidé la mise en place de l’EDD et de sa clinique, on s’attachera à souligner certains arguments centraux – historiques et théoriques – présents dans les débats sur l’enseignement du droit en France, et autour desquels s’articule l’émergence du mouvement clinique naissant – en faisant une place particulière à la question de la professionnalisation, dont on a souligné ci-dessus l’importance dans le développement actuel des cliniques américaines.
L’École de droit de Sciences Po et sa clinique : une théorie du droit en action
L’EDD de Sciences Po est une nouvelle venue dans le champ de l’enseignement du droit et de la formation des juristes français, dont l’émergence et le projet scientifique pédagogique original ont provoqué et ne cessent de générer de nombreux débats61. L’analyse ci-dessous de certains éléments de ces débats, ainsi que l’articulation de la vision qui sous-tend la création d’une clinique en son sein, mettent en avant la manière dont une certaine conception – réaliste – du droit et de son enseignement s’est « mise en action » à travers la clinique, ainsi que la façon dont cette dernière peut s’inscrire dans une théorie du « droit en action », voire permettre une nouvelle forme de théorisation du droit. À travers cette analyse apparaissent certains éléments clés des enjeux, tensions, défis et débats, notamment théoriques, liés à l’émergence des cliniques juridiques en France.
L’EDD : une théorie du droit et de son enseignement, en action
Établie en septembre 2009, suite à l’arrêté du ministère de la Justice autorisant les diplômés des filières juridiques de Sciences Po à se présenter à l’examen du barreau62 et rompant ainsi le monopole des facultés de droit sur l’accès à la profession d’avocat, elle s’articule aujourd’hui autour de deux diplômes de second cycle63 et d’un programme doctoral. Les raisons ayant mené à sa création sont diverses. Elles tiennent à la fois à la spécificité et à une stratégie institutionnelle propre à Sciences Po, qui a vu certaines formations de niveau master se regrouper en « écoles » plus visibles en matière de recrutement et à l’international, et à un contexte plus large : celui d’une remise en question de la formation des juristes et, au-delà, des évolutions à la fois contextuelles et structurelles de l’enseignement supérieur en France64. Ces dernières, comme l’analyse ci-dessus s’est attachée à le souligner, sont en partie le reflet d’évolutions liées à la globalisation et la mise en concurrence de modèles nationaux d’enseignement supérieur, ainsi que de réformes en ce sens à l’échelle européenne ou portées par une majorité politique nationale puis confirmées par une autre65. Ainsi, la remise en question de la formation des juristes est souvent présentée non pas comme reflétant des relations, inhérentes à tout modèle de formation « professionnelle », avec les professions juridiques66, mais avant tout comme reflétant les attentes d’une nouvelle catégorie d’acteurs dominants au sein desdites professions, elles-mêmes soumises aux pressions d’une globalisation du marché des services juridiques et à de nouvelles formes de concurrence mais également d’opportunités. La transformation de la formation des juristes en France, dont la création de l’École de droit de Sciences Po serait la figure de proue, voire le cheval de Troie, serait ainsi avant tout liée à une « volonté de changement portée par certains acteurs du champ juridique – à savoir, principalement, les avocats d’affaires »67. S’il est indéniable que la montée en puissance de ces acteurs au sein de la profession et leur mobilisation autour de l’« inadaptation » de la formation des juristes aux « évolutions » de la pratique contemporaine du droit68 ont joué un rôle dans cette remise en question – et dans l’émergence, à la suite de la création de l’EDD en 2009, de formes similaires de parcours sélectifs et d’« écoles de droit » au sein des facultés69 –, la création de l’EDD est le résultat d’un ensemble de facteurs et d’éléments, parfois contradictoires, souvent nuancés, et dont la portée de certains n’est pas toujours reflétée dans les diverses analyses sociologiques structurelles et structurantes de la profession juridique et de l’enseignement du droit qui ont analysé l’émergence de l’EDD. Celle-ci procède en effet, outre d’un contexte de changements plus profonds à l’échelle de l’enseignement supérieur, de la « rencontre d’intérêts multiples »70. Parmi ceux-ci figurent la stratégie de croissance engagée par l’Institut d’études politiques de Paris, ainsi que les intérêts des avocats de la place de Paris – dont la perspective et la vision ne sont cependant pas aussi unifiées qu’elles ne paraissent à l’égard du futur de leur profession, et auxquels il faut rajouter ceux d’un ensemble varié de professionnels, aux perspectives très diverses et contrastées, qui ont participé à la réflexion et l’émergence de l’EDD71. Ainsi, comme le suggère C. Jamin et comme l’analyse l’a souligné ci-dessus pour les États-Unis, si la cristallisation et l’évolution de tel ou tel modèle ou « compromis » d’enseignement du droit sont en partie fonction des rapports avec les praticiens du droit, ceux-ci sont loin d’être unidirectionnels, et reflètent des dynamiques et équilibres subtils qu’il convient de ne pas analyser trop vite72. Aussi évoque-t-il en détail les 18 mois ayant précédé la création de l’EDD pour souligner la grande diversité et le caractère fluctuant desdites « attentes des praticiens »73, et suggère par ailleurs que l’importance et l’influence de celles-ci doivent être relativisées. L’évolution d’un modèle de formation, suggère-t-il, « ne se réduit pas aux réponses que l’on apporte aux souhaits du marché ». C. Jamin évoque ainsi le « jeu […] subtil » entre formateurs et praticiens, où les demandes de ces derniers sont certes influencées par leurs pratiques et l’économie politique et institutionnelle de leur profession, mais également par un ensemble de facteurs – notamment le type de formation qu’ils ont reçu au départ74. À travers ce raisonnement, qui met en avant la manière dont la formation peut ainsi agir indirectement et au long terme sur lesdites « attentes des praticiens », on peut déceler l’importance potentielle de l’expérience clinique, et les enjeux liés aux différents positionnements institutionnels, pédagogiques, voire politiques que celle-ci peut emprunter. Au final, si les « attentes des praticiens » jouent sans aucun doute leur rôle dans le débat d’idées autour de l’enseignement du droit en France et son économie politique, il n’est pas dit que celles-ci l’emportent sur un projet intellectuel porté par d’autres acteurs et visant, à plus long terme, à remettre en cause la manière d’enseigner et de penser le droit en France. La création de l’EDD, si elle s’inscrit nécessairement dans le contexte d’une économie politique institutionnelle et professionnelle, à la fois française et globale, est ainsi également le résultat d’une volonté profonde, de la part des animateurs de son projet, de promouvoir une autre conception du droit et de son enseignement que celle prisée au sein des facultés de droit. Cette conception, qui trouve son origine dans un débat d’idées qui ne date pas d’aujourd’hui et qu’on aurait tort de simplement reléguer à une posture ou à une simple vision instrumentalisée par des forces politiques, économiques, et/ou institutionnelles plus profondes ou puissantes, mérite d’être brièvement rappelée, du fait de son lien immédiat avec la création d’une clinique juridique au sein de l’EDD, et de son lien potentiel avec l’articulation en cours du « mouvement » clinique français.
En imaginant un cursus complet sur deux ans permettant à leurs étudiants de second cycle de passer l’examen du barreau75, les enseignants de l’EDD – pour l’essentiel des universitaires français, souvent déçus de l’enseignement donné dans les facultés de droit – ont vu une opportunité, peut-être unique, de repenser les contours d’une formation juridique de qualité et de « se demander ce qu’est un juriste »76. À travers l’articulation puis l’expérimentation77 d’un projet scientifique et pédagogique original dans le contexte spécifique de Sciences Po, mais également à travers la réflexion que cette expérimentation pourrait générer au-delà de ce contexte, est ainsi notamment apparue la possibilité d’une remise en cause du « compromis français » en matière de formation des juristes, marqué par la séparation entre les facultés enseignant la « science » du droit et les écoles de formation professionnelles78. Contre-modèle hétérodoxe, voire hérétique, de celui bien rodé et testé des facultés de droit pour les uns, inspiration pour l’ensemble de la formation juridique à la française pour les autres, le projet de l’EDD a pour fondement un rejet du formalisme traditionnel de l’enseignement du droit dans les facultés de droit. À l’encontre d’une approche dogmatiquement doctrinale de la « science » juridique dont il ne serait possible d’apprécier et d’appréhender la « cohérence » interne, analytique et normative, qu’à travers les rationalisations et catégorisations abstraites issues de l’esprit et des écrits des professeurs de droit, le projet de l’EDD s’inscrit dans une approche résolument réaliste du droit (dans le sens du réalisme juridique) et de son enseignement79. Parmi les éléments principaux de ce projet, qui ont été largement décrits80, commentés et débattus81, est mise en avant l’idée d’une formation résolument non doctrinale qui ne s’attache pas à un apprentissage de la totalité des « branches du droit », mais fait place, à travers des cours à caractère fortement interactif portant sur des objets fondamentaux, à l’instauration de grilles de lecture et de réflexions analytiques. Celles-ci sont approfondies et élargies à travers un décloisonnement des études juridiques82 et une prise en compte du « contexte » qui s’opère à travers deux types d’enseignement privilégiés : tout d’abord, des enseignements à la fois théoriques (dans le sens non doctrinal du terme83) et pluridisciplinaires (dans le sens non juridique du terme, et s’appliquant à la fois à l’analyse juridique84 et à d’autres champs des sciences humaines et sociales85). Ces enseignements, prodigués par des juristes et/ou des universitaires venant de ces autres disciplines, sont intégrés avec les cours dits fondamentaux dans les maquettes de l’EDD, et mettent notamment l’accent sur l’ouverture à l’international et à une réflexion sur les thèmes émergents de la globalisation juridique et de son analyse critique. Par ailleurs, le projet s’articule autour d’enseignements « en contexte » – ou « en action » – permettant une meilleure appréhension et assimilation des concepts et modes de raisonnement du juriste contemporain. Ces enseignements sont dispensés dès le début du cursus de l’EDD, sous forme d’ateliers encadrés par des praticiens encouragés à enseigner « ce qu’ils font »86, de simulations de cas et de procès fictifs telles que les moot courts, et enfin d’une clinique87. Projet intellectuel articulé autour d’une conception réaliste d’un droit conçu comme ne pouvant être enseigné et pensé que s’il est mis en situation, l’EDD met donc cette conception « en action » à travers un ensemble d’innovations pédagogiques, dont la clinique. Il convient à présent de voir comment celle-ci peut s’articuler en une version théorique spécifique du « droit en action », et aspire à permettre de nouvelles formes de recherche et de théorisation du droit.
La clinique de l’EDD, ou la mise en œuvre d’une conception de l’enseignement et de la théorisation du droit en action
La clinique de l’EDD comprend trois programmes, dont chacun s’articule autour d’une vision, d’une structure, et d’une orientation particulières88. Leur socle commun s’articule néanmoins autour d’une notion d’experiential learning qui combine travaux « de terrain », effectués à travers des partenariats avec des acteurs externes à l’université, d’une part, et l’apport en salle de classe d’éléments théoriques (toujours dans le sens non doctrinal du terme, mélangeant les « branches » du droit, et d’orientation critique portant notamment sur les dynamiques au cœur de la pratique du droit en action et de la pratique clinique en soi), déontologiques et pluridisciplinaires, ainsi que d’outils pratiques directement adaptés aux travaux de terrain en cours. L’approche qui la sous-tend met en avant une conception résolument réflective des dimensions éthiques, normatives, idéologiques et institutionnelles du droit « en contexte ». Dans cette approche, l’expérimentation pratique et l’analyse des dimensions multiples du droit en contexte sont conçues comme plus éclairantes que celles du seul « droit dans les livres ». Elles permettent notamment de mettre en lumière les opportunités mais également les tensions inhérentes et les limites à toute mobilisation du droit dans les contextes et situations où la clinique cherche à favoriser l’« intérêt général » ou la justice sociale. Elles s’inscrivent ainsi directement dans le projet intellectuel ayant mené à la création de l’EDD, et notamment à la vision réaliste de Jerome Frank. Institutionnalisée dans une école dont la majorité des étudiants aspire à travailler dans des cabinets d’avocats internationaux ou dans le monde de l’entreprise, elle ne rejette pas les objectifs (d’ailleurs reconnus par Frank)89 de professionnalisation ou de préparation à la vie professionnelle par l’acquisition « en action » de compétences requises pour la pratique. Elle s’insère cependant dans un projet intellectuel et pédagogique plus large. La pratique clinique porte ainsi sur une gamme de projets d’intérêt général au sens large du terme, s’inscrivant dans une ouverture délibérée des horizons professionnels et des perspectives militantes. Cette pratique est alliée à un enseignement clinique qui comprend certes l’acquisition d’outils et de compétences techniques et pratiques, mais également une forte dimension pluridisciplinaire (aussi bien dans les outils d’analyse que dans la sélection des projets et des étudiants)90. Celle-ci vise à décloisonner la prétendue « autonomie du droit » au regard des sciences sociales, et à donner une coloration concrète et directe au « droit en action » – et au désordre et au dés-ordonnancement qui le caractérisent91. C’est donc, en soi, une forme importante de professionnalisation, qui pourra avoir des effets non négligeables sur la forme de pratique adoptée par ses anciens élèves, voire sur les « attentes des praticiens » qu’articuleront ceux-ci à l’avenir.
Reflet et mise en pratique d’un projet intellectuel articulé autour d’une conception spécifique et d’inspiration réaliste du droit et de son enseignement, la clinique de l’EDD s’articule au final autour de trois objectifs. Le premier est d’offrir aux étudiants une expérience originale et concrète d’apprentissage et d’appréhension du droit « en contexte » et « en action », à travers un travail « de terrain » qui s’effectue auprès de (ou à distance et en collaboration avec) un partenaire externe, complété par un cours clinique articulé en partie autour de ce travail de terrain. Aussi bien à travers les ateliers et travaux basés sur les retours d’expérience en cours qu’à travers les échanges avec les partenaires externes – y compris sur le périmètre et les objectifs de leurs projets de terrain –, les étudiants expérimentent et appréhendent ce droit en action, en équipe, et souvent de manière non linéaire92. Le deuxième est de permettre à un ensemble d’individus travaillant en équipe de s’associer à des projets et des travaux d’intérêt général, sélectionnés selon des critères de contribution sociale au niveau local, national ou transnational, mais ouverts à une gamme de sensibilités, d’initiatives et d’approches. Ces équipes sont bien sûr constituées d’étudiants, mais également de partenaires externes et d’équipes pédagogiques. Ces dernières fonctionnent à géométrie variable selon les programmes cliniques, et comprennent des universitaires (responsables scientifiques et pédagogiques93) mais également de récents diplômés de la clinique, des doctorants et des praticiens, qui se partagent les rôles d’enseignants des trois cours cliniques et/ou de « tuteurs », parfois ad hoc, de projets de terrain spécifiques au sein d’un programme clinique94. Mobilisant à la fois les perspectives critiques, présentes dans tous les cours cliniques, ainsi qu’un ensemble d’outils juridiques et extrajuridiques appliqués à ces projets et travaux (effectués en externe avec des partenaires associatifs ou institutionnels ainsi que des acteurs privés), ces équipes auront notamment la possibilité d’expérimenter le droit et d’autres formes émergentes de normativité comme « armes » de changement social. Et ainsi d’en réaliser les limites, en « contexte », à travers une interprétation idéologique qui sera le fruit – toujours indéterminé – de l’interaction des subjectivités qui les composent.
Enfin, outre ces objectifs pédagogiques et sociaux, la clinique de l’EDD aspire à un troisième objectif : ouvrir un nouvel espace de recherche – et de théorisation – du droit en action. En cela, elle n’est pas seule, comme le reflètent certaines des approches présentes dans cet ouvrage95 ou certains arguments articulés en faveur de l’enseignement clinique du droit suggérant notamment l’établissement de passerelles entre pratique clinique et recherche scientifique « sur le contenu de la norme »96. La recherche scientifique intégrée, ou l’idée qu’une clinique permet d’apprendre le droit en le pratiquant (learning by doing) mais aussi de comprendre le droit en le pratiquant, ou à partir d’une pratique (learning about by doing), représente le troisième objectif de la clinique de l’EDD. Si son approche fait en partie écho aux idées émises par d’autres, elle s’articule cependant autour de trois types d’approches, qu’il convient de distinguer. Tout d’abord, certaines recherches participent de la notion d’« alchimie ascendante » permettant de dégager de la pratique une connaissance accrue du contenu de normes, principes et théories juridiques. C’est ainsi qu’au-delà des recherches effectuées, parfois « sur le tas », pour les besoins du travail de terrain, le programme clinique Accès au droit inclut dans son cours un élément de recherche visant à systématiquement « transformer l’expérience en savoirs », où des tandems d’étudiants doivent choisir et approfondir une question sur l’accès au droit liée à des observations, enjeux et difficultés constatés sur le terrain97, ou encore des thématiques liées à l’approche clinique en tant que telle. Initiation à la recherche, orientation résolument pluridisciplinaire, invitation à l’autoréflexion sur l’expérience clinique et ce qu’elle permet de percevoir sur le droit en action pour l’étudiant, cette démarche peut être également développée par l’enseignant – par exemple à travers des travaux descriptifs, normatifs ou théoriques sur le contenu de normes, d’instruments ou d’arguments juridiques mis en application et expérimentés à travers la pratique clinique, ou encore sur les rapports entre enseignement et conception du droit ou plus spécifiquement l’enseignement clinique du droit, domaine en soi qui fait l’objet d’une vaste littérature dans des revues spécialisées aux États-Unis. Par ailleurs, certaines recherches sont menées par des étudiants dans le cadre d’un projet clinique et peuvent être qualifiées de recherche appliquée ou orientée, ou encore de recherche-action. Ces étudiants sont initiés, au sein de leurs cours cliniques ainsi que de cours non cliniques co-requis, à des notions de fond sur certaines matières (juridiques et non juridiques) directement pertinentes pour leurs projets cliniques, ainsi qu’à des méthodes de recherche ciblées et pluridisciplinaires (analyse juridique comparée, documentation relative aux violations des Droits de l’homme, méthodes d’entretien, approches sociologiques qualitatives ou quantitatives). Encadrés par des enseignants, doctorants et/ou praticiens, ces étudiants sont constitués en équipe, et effectuent des recherches ou études « de terrain », qui visent à conceptualiser et analyser le contenu et la mise en application concrète (et « en contexte ») de normes juridiques, à formuler des propositions de réformes, à contribuer à des stratégies de plaidoyer ou encore à des campagnes militantes98. Enfin, la recherche peut prendre la forme de travaux effectués par des enseignants ou des doctorants (qui sont expressément encouragés, lorsqu’ils s’engagent comme tuteurs sur un projet, à tirer des éléments de recherche de leur travail au sein de la clinique), qui situent l’analyse à une certaine distance de l’observation participative du travail clinique, mais y puisent une forme renouvelée d’épistémologie. Cette recherche peut prendre une forme socio-juridique, d’essence empirique et pluridisciplinaire, fondée sur des éléments de recherche appliquée mais revisités dans le cadre de méthodologies socio-juridiques ou de sciences sociales appliquées à une analyse du droit et de sa mobilisation en contexte. Elle peut également situer l’analyse au niveau théorique, portant par exemple sur des analyses post-réalistes du droit et de ses institutions basées sur l’expérience clinique pratique99. Elle peut enfin se situer au niveau d’une méta-analyse, fondée sur un feedback loop (boucle, aller-retour fécond) entre théorie et pratique, et visant par exemple à documenter et à modéliser ou établir des cartographies intellectuelles, théoriques et idéologiques de certaines formes de pratiques du droit, dont celles qui sont menées dans un domaine particulier (par exemple à travers des travaux cliniques de recherche appliquée) par la clinique. Cette analyse peut à son tour permettre à cette dernière, ou à d’autres acteurs impliqués dans le même domaine de pratique, d’effectuer des choix théoriquement informés100.
L’enseignement clinique du droit et la question de la professionnalisation : variations sur un même thème
Si l’approche qui sous-tend la création de la clinique de l’EDD permet d’éclaircir certains arguments et points de débats visibles dans l’émergence des cliniques juridiques en France, il convient de rappeler que les arguments en faveur de l’enseignement clinique du droit ne s’arrêtent ni ne commencent à Sciences Po. Ainsi, Norbert Olszak101, Diane Roman et Stéphanie Hennette-Vauchez102, ou encore Éric Millard103, ont depuis 2006 proposé le développement d’un enseignement clinique du droit au sein des universités, essentiellement autour de deux contributions principales à l’enseignement du droit en France : l’innovation pédagogique, d’une part, et la contribution sociale, d’autre part. Les contributions au sein de cet ouvrage de Samuel Etoa, Éric Millard, Aysegul Fistikci, Olivier de Frouville, Sophia Lakhdar et Lauréline Fontaine poussent plus loin la réflexion et examinent les contours, enjeux et défis posés à l’enseignement du droit à travers les innovations pédagogiques issues des cliniques juridiques, les relations entre celles-ci et la société ou encore le monde professionnel. Néanmoins, comme le notent la plupart de ces auteurs, l’idée d’un enseignement clinique du droit n’est pas totalement nouvelle en France. Dans un article récent104, C. Jamin met ainsi en lumière les arguments formulés au début du XXe siècle par les « juristes inquiets » sur la manière de penser et d’enseigner le droit105, et notamment ceux de Brissaud106 puis, plus tard, de Capitant107 et de Bonnecase108. Cependant, les cliniques juridiques ne voient pas le jour suite à ces propositions, et le débat à leur propos disparaît – en grande partie, selon C. Jamin, en raison de l’apparition des travaux dirigés109, et de la cristallisation du « compromis français »110qui voit les facultés s’arroger l’enseignement doctrinal et les écoles professionnelles l’enseignement « pratique ». La renaissance actuelle de ce débat, et l’émergence de cliniques juridiques un peu partout en France, posent de nombreuses questions. Devant la variété des approches et des visions autour desquelles s’articulent les cliniques naissantes, se pose tout d’abord la question, fondamentale, énoncée par C. Jamin : « de quelles cliniques parle-t-on ? Et que veut-on en faire ? »111. À ce titre, on s’attachera à souligner l’une des tensions clés liées au développement des cliniques et qui, comme on l’a vu, se trouve au cœur du débat sur l’enseignement du droit en France ou ailleurs, et notamment aux États-Unis : celle liée au positionnement de la clinique comme projet pédagogique innovant permettant une professionnalisation par la pratique du droit « en action », d’une part, et comme vecteur et acteur de justice sociale, voire de remise en cause des institutions et de la pratique du droit, d’autre part112.
Une première manière d’aborder la question est de se demander si la double fonction pédagogique et sociale, traditionnellement attribuée à une clinique, peut s’articuler autour d’une position d’équilibre, ou si celle-ci implique nécessairement une tension entre ces deux fonctions – et la priorité, assumée ou invisible, donnée à l’une sur l’autre. Au premier abord, l’expérience naissante des cliniques en France ne permet pas de trancher : la plupart des cliniques se présentent comme relevant de cette double fonction113, avec des variations plus ou moins importantes dans l’« équilibre » donné entre les deux fonctions114, ainsi que dans l’articulation de chacune. Comme l’analyse l’a suggéré, cet équilibre ainsi que le positionnement d’une clinique en termes d’impact ou de contribution sociale ou encore d’« intérêt général » peuvent s’articuler autour d’une gamme d’interprétations normatives et idéologiques, interprétations qui parfois s’inscrivent dans un projet intellectuel précis, mais sont toujours à la fois le reflet de l’engagement et de l’interaction subjective des acteurs de la clinique, et des contextes et de l’économie politique institutionnelle dans lesquels ces acteurs agissent115. Aux États-Unis, l’objectif de social justice diffère ainsi de clinique en clinique (allant de l’accès au droit à des versions du strategic lawyering d’intérêt général plus ou moins radicales), mais également en fonction d’un certain nombre de facteurs structurants (le contexte politique et historique, le développement puis les évolutions du financement d’une aide juridictionnelle d’État, les relations entre universités et monde professionnel) qui peuvent faire évoluer le point d’équilibre entre la fonction pédagogique et sociale, ou influencer le contenu de la fonction sociale de la clinique. L’expérience naissante en France s’oriente sur les éléments suivants, qui sont mis en pratique selon des interprétations normatives et militantes différentes : l’accès au droit pour les plus démunis (les cliniques de Saint-Denis, Bordeaux ; le programme Accès au droit de l’EDD en partenariat avec les Maisons de justice et du droit) ; le soutien à l’accès au droit des plus démunis par des permanences juridiques, des consultations juridiques ou stratégiques, ou encore des études de recherche appliquée effectuées auprès ou à la demande d’associations locales qui fournissent elles-mêmes des services juridiques gratuits ou mettent en place des stratégies de plaidoyer en faveur des personnes vulnérables ou de populations spécifiques marginalisées (Euclid, les cliniques de l’université de Caen Normandie, de l’EDD) ; le soutien à des associations, institutions, acteurs publics ou privés, ou d’équipes de chercheurs engagées sur le terrain environnemental (la clinique d’Aix-Marseille, le projet HEDG de l’EDD) ; la recherche appliquée visant à soutenir le développement de normes ou de réformes d’intérêt général à l’échelle locale, nationale ou internationale (à titre indépendant ou, le plus souvent, en partenariat avec des acteurs représentatifs de milieux professionnels, d’associations, ou encore des organismes publiques : c’est ce que les Américains nomment le policy reform, et auquel on peut rattacher les cliniques de Caen, HEC, Nanterre, ou encore des projets au sein des programmes HEDG et RISE de l’EDD) ; ou encore la défense des droits fondamentaux à l’international (à titre indépendant ou en soutien d’associations ou d’acteurs institutionnels, sous forme de contribution ou de préparation à des tierces interventions devant ou auprès d’une juridiction ou institution nationale, de rédaction de rapports d’amicus curiae ou de rapports et de contribution à des campagnes de plaidoyer, et on citera ici les cliniques de Caen, Nanterre, et le programme HEDG de l’EDD) ; ou enfin le soutien à des acteurs privés dans l’élaboration d’outils et de stratégies de responsabilité sociale (et l’on citera ici le programme RISE de l’EDD).
Une des orientations sociales traditionnellement au centre de l’expérience clinique, et représentée dans l’expérience naissante, mérite une rapide analyse : l’accès au droit pour les plus démunis. Au-delà des projets intellectuels et/ou des perspectives militantes dans lesquels s’inscrivent les programmes cliniques d’accès au droit français, ceux-ci se sont élaborés dans un contexte institutionnel bien particulier – notamment par rapport aux États-Unis. Ainsi, si le développement de programmes d’aide juridictionnelle dans les années 1960 a indirectement favorisé l’éclosion des cliniques juridiques d’accès au droit, celles-ci se sont peu à peu développées en raison de la baisse des financements du Legal Services Corporation américain au niveau fédéral depuis le début des années 1980. Cette baisse a en effet entraîné la disparition d’un certain nombre de centres d’aide juridictionnelle (associations privées financées en grande partie par les programmes publics et notamment fédéraux) et favorisé le développement de cliniques, devenues à la fois réceptacles et émanation du mouvement pro bono suppléant petit à petit l’organisation et le financement publics de l’aide juridictionnelle. En France, la situation est bien évidemment différente, et la création de programmes cliniques d’accès au droit délicate. Soucieux de préserver le « compromis français » et les écoles de formation professionnelles, de protéger le périmètre de son monopole sur l’aide juridictionnelle (dont la grève récente démontre l’importance économique et symbolique pour une part importante de la profession116), et enfin de faire respecter les règles déontologiques de la profession et d’éviter l’instauration progressive d’un système d’accès au droit « au rabais » (par des consultations juridiques cliniques ou par la représentation devant les tribunaux de clients par des étudiants cliniques117), le barreau français semble s’être un temps érigé contre l’émergence des cliniques juridiques, et contre l’émergence du pro bono. La situation sur ces deux points évolue, comme le montrent notamment la multiplication d’initiatives pro bono du nouveau Fonds de dotation Barreau de Paris Solidarité118, ainsi que l’ouverture en 2014 d’une clinique juridique au sein de l’École de formation du Barreau de Paris119. Au final, au-delà des opinions120 que l’on peut avoir sur des approches qui peuvent paraître corporatistes de la part des barreaux, ou sur les limites ou à l’inverse les garanties fondamentales offertes aux plus démunis par le système d’aide juridictionnelle en matière d’accès au droit, les cliniques s’engageant dans des programmes d’accès au droit (ainsi que celles qui ont recours au pro bono ou au « mécénat de compétences » de praticiens pour la supervision du travail clinique, ou qui en encouragent le développement121) devront se poser la question de leur positionnement envers l’économie politique de l’aide juridictionnelle – et faire des choix. Elles devront veiller notamment à clairement délimiter le périmètre d’intervention des étudiants, aussi bien en termes d’activités pratiquées au sein de la clinique que de sujets abordés, qui peuvent être de nature générale et transversale ou bien plus spécialisés. Dans ce dernier cas en particulier, peuvent se présenter des possibilités de compléter l’aide juridictionnelle de manière explicite. C’est ainsi qu’à travers une collaboration sous forme de permanences d’aide juridique supervisées auprès de l’association France Terre d’Asile (programme Denizen122), la clinique de l’EDD offre une aide juridique gratuite en partie destinée à un segment de population important ne bénéficiant pas de l’aide juridictionnelle : les demandeurs d’asile ou les migrants économiques en quête de régularisation. Enfin, et au-delà de la question du périmètre d’intervention en matière d’accès au droit, les cliniques pourront considérer la possibilité de compléter ces interventions par d’autres activités : recherche appliquée, plaidoyer, contribution à des stratégies contentieuses, policy reform permettant d’aller au-delà de l’offre d’accès au droit, et de cibler, à travers l’expérience clinique, les causes profondes ou structurelles de la demande. Ce type de positionnement, qui mêle des objectifs d’accès au droit et de promotion des droits fondamentaux de certaines populations marginalisées, est par exemple mis en œuvre au sein du programme HEDG de l’EDD, à travers un partenariat avec France Terre d’Asile associant aide juridique auprès des juristes de l’association et recherche empirique appliquée sur la rétention administrative des demandeurs d’asile en France.
Revenons désormais à la question de la professionnalisation, qui sous-tend certaines des tensions liées au périmètre des cliniques d’accès au droit et influe sur le contenu des objectifs de justice sociale que se donnent les cliniques, ainsi bien entendu que sur le point d’équilibre entre ces objectifs sociaux et la fonction pédagogique des cliniques. La professionnalisation, on l’a vu, peut être entendue de différentes façons123. À l’encontre ou en complément d’un enseignement devenu trop théorique, universitaire et abstrait (États-Unis), ou trop doctrinal (en France), la professionnalisation permettrait de mettre l’étudiant « en contact actif avec la pratique juridique quotidienne dans le cadre d’une pédagogie adaptée », selon les termes du rapport « Truchet » de 2007124, et d’ainsi pallier les carences de la formation juridique universitaire125. Elle peut alors s’interpréter comme le résultat de certaines « attentes des praticiens », et comme instrumentalisée par celles-ci dans le contexte de « compromis » nationaux et de leur remise en cause. Néanmoins, comme nous l’avons vu, ces « attentes des praticiens » – tout comme les « compromis » nationaux126 – ne sont ni uniformes (et l’on oublie trop souvent dans ce débat l’importance des autres métiers du droit que celui d’avocat), ni constantes, ni nécessairement les seules qui sous-tendent l’articulation d’un projet clinique. La « professionnalisation » peut ainsi s’entendre d’une innovation pédagogique s’inscrivant dans un projet intellectuel spécifique, articulé par des universitaires, autour d’une certaine manière d’enseigner et de penser le droit et à l’encontre d’une autre127. Cette innovation pédagogique – qui n’est ni le stage128, ni la simulation de procès, ni l’« atelier » pratique avec des professionnels – s’articule comme élément central de l’apprentissage du « droit en action »129, où l’acquisition de réflexes analytiques s’opère dans la clinique par l’expérimentation encadrée du « désordre » de la pratique du droit, et l’ouverture à la pluridisciplinarité (à la fois dans le champ juridique et celui d’autres sciences sociales et humaines)130. Outre leur positionnement sur l’équilibre trouvé (ou non) entre les objectifs pédagogiques de professionnalisation et d’autres objectifs tels que la contribution à la justice sociale, les diverses cliniques naissantes ont donc eu, ou auront, à clarifier leur positionnement par rapport à leur conception de cette professionnalisation. Si la vision de Frank aux États-Unis était bien celle d’un praticien attaché à améliorer l’insertion professionnelle des étudiants diplômés131, elle peut également s’interpréter comme recelant un projet intellectuel, de nature potentiellement révolutionnaire, bâti autour d’une critique des casebooks et du « droit dans les livres » à la Langdell, lié à une certaine conception de la manière d’enseigner mais aussi de penser le droit. Comme nous l’avons vu, si cette vision a inspiré un temps le développement de cliniques telles que celle de Bellow à Harvard, elle a depuis subi un net recul, voire un oubli, du fait de la remise en question du compromis américain entre law schools et law firms, et du point d’équilibre qui avait été trouvé autour de ce compromis à travers des law clinics combinant des fonctions pédagogiques et sociales. La multiplication récente de cliniques d’essence exclusivement professionnalisante (dans le sens du rapport « Truchet » et de celui prôné par les instances représentatives du barreau américain) aux États-Unis met donc en lumière l’aspect relatif et contingent de la fonction sociale de la clinique suggéré par Éric Millard dans cet ouvrage132, et l’importance de prises de positions claires en la matière par les différentes composantes du mouvement clinique émergeant en France. Les « attentes des praticiens », en contexte de crise économique ou de réformes supranationales133, peuvent en effet se faire moins diverses et désunies qu’elles ne l’ont été, et par exemple remettre en cause d’une manière plus que d’une autre le « compromis français » : la mise en avant d’objectifs de contribution ou de justice sociale, ainsi que de conceptions de la professionnalisation comme s’insérant dans des approches renouvelées de l’enseignement du droit et des projets intellectuels explicitement articulés134, paraît à ce titre justifiée et d’actualité. Il est, enfin, possible d’aller plus loin dans ce positionnement et cette conception de la professionnalisation – en soumettant cette notion et la pratique du droit qu’elle sous-entend à une interprétation résolument critique135. Ainsi que l’a souligné l’analyse des cliniques américaines, et notamment de l’approche de Gary Bellow à Harvard, il est possible de positionner une clinique sous l’angle de l’autoréflexion théorique et critique, et d’aspirer à permettre ainsi aux étudiants, enseignants et praticiens qui interagissent en son sein de (re)mettre en question, à travers l’expérience clinique et son accompagnement par des outils théoriques d’analyse critique, les usages, comportements, codes, idéologies, subjectivités, instrumentalisations, incohérences, hiérarchies, et relations de pouvoir de la pratique « professionnelle » quotidienne et des institutions juridiques. Ce positionnement peut s’interpréter comme une forme, certes particulière, de professionnalisation – qui viendrait non pas « pré-professionnaliser » mais plutôt de dé-professionnaliser –, qui pourrait, à terme, générer de nouvelles vocations ou de nouvelles formes de pratique, et renouveler les prismes analytiques et les « attentes » des futurs praticiens. L’intégration d’approches critiques au sein de l’enseignement clinique136, ou encore la promotion de ce type d’approches au sein de la recherche scientifique intégrée à un programme clinique137, s’inscrivent dans ce type de positionnement – ou du moins d’aspiration.
La mise en pratique du droit en action : les enjeux et défis de l’émergence des cliniques juridiques en France
Le mouvement clinique français est en marche. Il reflète, comme on l’a vu, le vif débat actuel sur l’enseignement du droit et la formation des juristes en France, et les dynamiques historiques, intellectuelles et institutionnelles qui le sous-tendent. S’il est trop tôt pour dire s’il existe un modèle de clinique « à la française », il est certain que celles-ci se développent dans un contexte spécifique, dont l’analyse a souligné les dynamiques qui le structurent et le caractérisent, à la fois au niveau français et à l’échelle de diverses globalisations en cours. Cette analyse fait apparaître un certain nombre d’enjeux fondamentaux pour les expériences françaises naissantes, liés aux visions pédagogiques, intellectuelles et sociales qui animent et animeront les cliniques françaises. Au-delà de ces choix fondamentaux, se posent un certain nombre de questions essentielles à ce que l’on peut qualifier comme relevant de la mise en œuvre, en pratique – ou en action –, des cliniques juridiques émergentes. Sans prétendre à l’exhaustivité, et en invitant l’ensemble des différents acteurs investis dans ces projets à compléter et poursuivre cette réflexion, l’analyse qui suit distingue les questions, points de convergence ou divergence pouvant se poser au niveau de la structure institutionnelle, puis du fonctionnement des cliniques juridiques. Loin d’inclure une vision complète et qualifiée de l’approche de chacune des cliniques naissantes dans ces deux domaines, ou encore moins du champ des possibilités qui existent pour le mouvement clinique français, cette analyse s’efforce d’identifier et d’articuler les tendances marquantes, ainsi que quelques-uns des principaux enjeux et défis tirés ou à tirer de l’expérience naissante.
La structure institutionnelle
Les cliniques françaises sont structurées selon des modalités qui varient, parfois fortement. Plutôt qu’utiliser un modèle importé ou imposé, les différents acteurs du mouvement clinique français ont jusqu’ici procédé de manière relativement décentrée, voire improvisée. Parfois, la concrétisation pratique d’un projet intellectuel plus large, souvent le résultat de compromis liés à des contextes et des économies politiques spécifiques, les structures institutionnelles des cliniques françaises peuvent être analysées autour de deux grands axes.
Le premier est celui du choix du positionnement et des modalités d’opération ou de « saisine ». Celui-ci concerne tout d’abord la distinction entre cliniques que l’on peut qualifier de généralistes (Saint-Denis, Bordeaux, Nanterre, programme Accès au droit de l’EDD138) et celles que l’on qualifiera de spécialisées (Aix-Marseille, Montpellier139, Caen, HEC, ainsi que les programmes HEDG et RISE de l’EDD). Cette distinction est en partie liée au choix, évoqué ci-dessus, entre un accueil direct (in-house) de clients au sein d’une clinique insérée dans le lieu d’établissement, d’une part, et un fonctionnement externe ou une saisine indirecte, selon le terme souvent employé pour signifier que la clinique n’est pas directement saisie par des justiciables. Dans la première catégorie, on retrouve les cliniques ou les programmes cliniques d’accès au droit tels que ceux de Saint-Denis, Bordeaux, Montpellier, qui reçoivent un public général (Saint-Denis, Bordeaux) ou des catégories de justiciables (Montpellier, s’adressant à des étudiants). Ces cliniques offrent, sous la supervision de référents universitaires et/ou praticiens et selon des protocoles préétablis de sélection des dossiers et de retour et d’évaluation des clients, des services d’assistance juridique gratuits. Dans la seconde, on retrouve les autres cliniques présentées dans cet ouvrage. Celles-ci opèrent, comme on l’a vu, selon des modalités qui varient (recherche appliquée sous forme de rapports ou d’études de terrain, amicus curiae, consultations juridiques ou portant sur des stratégies contentieuses, outils pratiques tels que l’élaboration de guides, manuels, matériels pédagogiques, études de faisabilité) et, le plus souvent140, à travers des partenariats établis avec une gamme d’acteurs assez large allant des associations aux acteurs privés141 et fonctionnant à travers des contacts directs avec ces acteurs ou bien à distance. Ces deux modalités d’opération, in-house ou externe / indirect / à distance, ont pour le moment fait l’objet de choix spécifiques par les cliniques françaises. Elles ne sont cependant pas nécessairement exclusives au niveau de l’établissement d’enseignement, comme le montre, par exemple, l’existence de cliniques in-house et externes au sein de nombreuses universités américaines. Cependant, elles présentent chacune des avantages et des inconvénients, et posent des questions spécifiques. Ainsi, les cliniques in-house posent bien évidemment la question, délicate et fondamentale, du périmètre des activités menées au sein de la clinique. Dans un contexte, comme on l’a vu, d’évolution relative de la position des barreaux à l’encontre des cliniques, ou d’appels émanant de praticiens à développer celles-ci au sein des universités142, les cliniques in-house françaises ont pris un nombre important de précautions143, et procèdent en général après consultation voire en partenariat avec les barreaux144. Au-delà de cette question centrale, les cliniques in-house peuvent être perçues par certains comme l’essence même d’une « vraie » clinique, qui remettrait l’université directement au service de sa communauté. Le « terrain » qui se ferait à distance, par exemple à travers quelques conversations téléphoniques ou électroniques avec des partenaires invisibles, ne permettrait ainsi pas d’atteindre les objectifs poursuivis – que ce soit une forme ou une autre de professionnalisation, une sensibilisation à la justice sociale, l’appréhension et l’expérimentation du droit en action, ou encore une incitation à une réflexion critique sur celui-ci. Pour d’autres, outre des questions cruciales de coûts qui semblent être liés à ce type de clinique (locaux, administration des dossiers, et, si l’on s’en tient à l’exemple américain, l’emploi de juristes salariés et/ou d’administrateurs par la clinique145), la clinique externe présente des avantages importants. Outre le fait que le contact avec des clients et des juristes professionnels peut tout à fait s’opérer à l’extérieur des locaux de l’université (auprès d’une association, ou d’une institution comme les Maisons de la justice et du droit par exemple), les relations à distance ou ponctuelles entre équipes d’étudiants et partenaires associatifs, institutionnels ou privés peuvent parfois refléter certaines réalités des mondes professionnels dans lesquels opèrent ces acteurs. Le « client » est parfois évasif, et l’établissement de rapports avec celui-ci présente une opportunité partagée d’apprendre, mais aussi de réfléchir voire d’imaginer de nouveaux modes de relation146. Ce dernier élément de rapport au client, autour duquel une réflexion éthique et critique apparaît centrale à tout projet clinique, semble ainsi pouvoir se poser aussi bien dans une clinique in-house à travers la relation avec des clients démunis147, ou en externe à travers la relation avec des clients démunis, des groupes ou communautés défavorisés148, ou encore des institutions ou des acteurs privés « commanditaires »149.
Le second grand axe qui semble se dégager est celui du choix de la structure d’opération, et de l’institutionnalisation proprement dite de la clinique. À ce titre, deux tendances peuvent être mises en évidence. La première est celle d’une intégration de la clinique au sein d’une structure existante de l’établissement d’enseignement, qui peut s’accompagner de l’intégration au sein des maquettes pédagogiques, mais sans reconnaissance de crédits diplômants pour les étudiants. On songe à la Clinique des droits fondamentaux de l’université de Caen Normandie, qui a fait un choix délibéré, original et symbolique de rattacher la clinique à un centre de recherche150 et a longtemps fonctionné sans reconnaissance de crédits spécifiquement attachés à la clinique pour les étudiants151. Cette formule permet une relative flexibilité, notamment par rapport aux difficiles questions de la reconnaissance du service des enseignants et du financement de la clinique, et se retrouve dans l’histoire et les expériences actuelles de cliniques aux États-Unis ou ailleurs (« bureaux » ou « dispensaires » d’étudiants prodiguant des services de consultation pro bono). Si elle a le mérite d’attirer des étudiants, doctorants ou enseignants particulièrement motivés (ce qui n’est pas nécessairement autant le cas pour des cliniques proposant des crédits, même si ceux-ci sont sélectionnés), elle peut cependant poser problème à plus long terme au niveau de cette motivation et du recrutement des étudiants, ou encore de l’implication d’enseignants souvent submergés. Le second type de structure d’opération est l’affiliation ou l’intégration au sein de l’établissement d’enseignement et des maquettes pédagogiques, doublée de la reconnaissance de crédits diplômants (à ce jour, Nanterre, Aix-Marseille, HEC, EDD et Caen). Qu’ils empruntent l’une ou l’autre formule, ces programmes sont le plus souvent ouverts à des étudiants de master 2 (l’ensemble des masters, comme pour le programme Euclid ou à l’EDD, certains masters uniquement, comme c’est le cas à Aix-Marseille et comme c’était le cas à Bordeaux et à Caen lors de la première année d’opération), à une importante exception près (la clinique de Saint-Denis ouverte en priorité à des étudiants en L3), et avec deux variations notables : la clinique de l’EDD, qui ouvre depuis sa création ses programmes HEDG et RISE à des étudiants issus de la Paris School of International Affairs de Sciences Po, et la clinique d’HEC, issue d’un partenariat avec la faculté de droit de la New York University (NYU), ouverte à des étudiants d’HEC et des étudiants en troisième année de la NYU152. La délivrance de crédits, si elle semble présenter des avantages en termes de recrutement, fonctionnement et visibilité institutionnelle de la clinique, implique une supervision enseignante – et donc des modalités de reconnaissance de service pour ces derniers, parfois difficiles à définir au vu notamment des charges de travail importantes requises par l’enseignement clinique, ainsi que l’élaboration de partenariats, l’administration, la coordination et la supervision des activités cliniques. La délivrance de crédits implique également l’optimisation du nombre de crédits adéquats ainsi que de l’attribution de notes, éléments parfois complexes à cibler au vu des charges de travail impliquées. Enfin, l’attribution de crédits semble devoir s’accompagner d’un cours clinique spécifique, et l’on notera que si ces cours sont donnés à HEC, Aix-Marseille, Nanterre ou Sciences Po, ils ne le sont pas jusqu’à présent à Saint-Denis, ni à Caen153. Les cliniques offrant des crédits opèrent dans l’ensemble sur la base d’une sélection d’un groupe assez restreint d’étudiants154 – pour des raisons financières, d’optimisation de la supervision, ou encore de convictions pédagogiques155.
Un dernier point important à mentionner est le choix, fait par certaines cliniques, de se constituer en association de loi 1901 (Saint-Denis, Montpellier156). Ce choix peut s’expliquer notamment par la possibilité pour une clinique d’associer formellement les étudiants à sa création et à en faire des parties prenantes, ou encore de jouir d’une certaine indépendance administrative. Celle-ci peut avoir des conséquences importantes, par exemple au niveau de la visibilité de la clinique et de l’autonomisation de son financement, l’association pouvant inciter à des contributions fiscalement avantageuses et à les gérer directement. Elle n’implique pas cependant une autonomie complète, le support direct ou indirect de l’établissement d’enseignement restant un élément très important en pratique (intégration ou association à un centre de recherche ou une plate-forme universitaire, reconnaissance de crédits, mise à disposition d’un personnel enseignant et administratif, voire de locaux, appui institutionnel et insertion dans les réseaux de l’établissement). Enfin, la constitution en association semble procéder de questions de responsabilité, questions importantes qui pour l’instant n’ont pas reçu de réponses entièrement satisfaisantes157. Sans prétendre y répondre, on peut imaginer que la responsabilité tout d’abord des étudiants puisse être prise en charge à travers une association (soit l’association qui constitue la clinique, soit une association étudiante, qui peuvent procéder à l’achat d’une assurance spécifique à ce titre, qui couvrirait les enseignants comme les étudiants), par l’établissement ou l’assurance étudiante individuelle, qui couvre les étudiants au titre de leur activité dans un programme pédagogique. Cette question de la responsabilité implique également des processus assurant la confidentialité, tels que la signature de chartes de confidentialité ou de « bonne conduite » comme c’est le cas à Saint-Denis, Bordeaux ou à l’EDD. La question de la responsabilité de l’enseignant, ou du directeur d’un programme clinique, ou de la clinique elle-même est a priori plus compliquée158. Elle est liée en partie à la structure d’opération, par exemple à sa constitution ou non en association ou à l’existence de conseils d’administration ou de supervision, ou encore à la présence ou non d’au moins un praticien dans l’encadrement pédagogique : enseignants-chercheurs inscrits au barreau (comme c’est le cas pour la clinique de Saint-Denis), praticiens agissant en pro bono à titre individuel (comme c’est le cas à l’EDD ou Nanterre159), ou encore praticiens non enseignants-chercheurs salariés de la clinique (inexistant pour le moment en France). Elle est, par ailleurs, liée aux modalités d’opération, et notamment au périmètre d’activité de la clinique. Aussi bien les cliniques in-house que les cliniques externes, comme on l’a vu, prêtent une attention particulière à cette question. C’est ainsi, par exemple, que la clinique de Nanterre opère exclusivement à travers un soutien et une remise de travaux à des associations, travaux qui peuvent prendre la forme de consultations juridiques ou de formulations de stratégies de contentieux, mais dont les conclusions peuvent être reprises ou non par ces associations partenaires et n’engagent pas la clinique en tant que telle. La clinique de l’EDD fonctionne d’une manière similaire, aussi bien avec des associations que des institutions ou des entreprises160. À travers des travaux menés au sein de son programme HEDG161, elle s’est cependant récemment engagée en son nom propre, à l’instar de ce que fait la clinique de Caen à travers des rapports et la rédaction d’amici curiae, et à l’image de nombreuses cliniques de Droits de l’homme à l’étranger.
Le fonctionnement des cliniques
Là encore, les modalités de fonctionnement des cliniques diffèrent et dépendent à la fois des visions qui les animent et des structures d’opération. De nombreux points peuvent et ne manqueront pas à l’avenir d’être soulevés, comme en témoignent les débats lors du colloque de décembre 2013 ayant occasionné cet ouvrage162. Parmi ceux qui semblent importants à mentionner, on notera tout d’abord la question du choix des activités. Si de nombreuses cliniques sont à l’origine ou restent le fruit d’initiatives individuelles ou collectives d’enseignants et d’étudiants163, et reflètent en partie leurs visions et leurs choix pédagogiques et stratégiques, la tendance semble se diriger vers des processus plus ou moins formalisés de choix ou de validation des activités. Ceux-ci s’établissent à travers des structures d’opération existantes (associations, conseil d’administration à Bordeaux, comité d’honneur à Saint-Denis), ou encore à travers la création de conseils ou comités scientifiques (le programme Euclid, la clinique de l’EDD), ad hoc ou permanents. Ils permettent une validation collective et institutionnelle des évolutions des structures d’opération, et surtout du choix du périmètre d’activité de la clinique. Pour les cliniques externes, ces structures autorisent notamment la validation du choix de partenaires, ainsi que de projets spécifiques sur lesquels la clinique s’engage avec ces partenaires, selon des critères préétablis qui peuvent varier d’une clinique à l’autre. Ainsi, si la compatibilité et la valeur ajoutée pédagogique semblent être des critères fondamentaux pour l’ensemble des cliniques, certaines y adjoignent la valeur ajoutée en termes de contribution ou de justice sociale, ou encore le potentiel en termes de recherche scientifique. Au final, cette tendance à la formalisation du fonctionnement des cliniques (notamment au titre de l’important travail de coordination avec les différentes parties prenantes que les cliniques impliquent), ainsi qu’au mode de validation des choix qu’elle effectue, semble justifiée. Il semble cependant important de ne pas perdre pour autant, à travers ce qui peut s’apparenter à une certaine forme de professionnalisation des cliniques, l’esprit d’initiative – individuel et collectif – qui reste lié à leur création, leur fonctionnement et leur dynamisme. Un équilibre important semble à ce titre devoir être trouvé entre formalisation nécessaire et bureaucratisation contraignante.
Cet équilibre semble également être important en ce qui concerne un autre élément transversal lié au fonctionnement des cliniques : celui des relations internes et externes à travers lesquelles fonctionne une clinique. On pense ici aux relations diverses qui s’établissent entre enseignants-chercheurs, praticiens ou institutions externes participant à la supervision164, étudiants, enseignants d’autres disciplines s’ils sont sollicités, doctorants s’ils sont inclus, et partenaires externes s’il en existe (ainsi que la coordination des relations avec ces partenaires externes). Si les relations entre enseignants-chercheurs et étudiants dépendent en partie de l’intégration de la clinique dans le cursus pédagogique et de l’attribution de crédits diplômants, des différences d’approches semblent apparaître au niveau du choix du type d’encadrement pédagogique (par exemple entre une double supervision systématique par un enseignant-chercheur et un praticien à Nanterre, la supervision à géométrie variable selon les programmes et les projets à l’EDD, ou l’inclusion de doctorants dans certaines cliniques comme Aix-Marseille, Caen ou le programme HEDG de l’EDD), ou encore de l’évaluation des étudiants. Des différences apparaissent également au niveau de la formalisation ou non des relations avec des institutions ou partenaires externes, qui peuvent bien évidemment dépendre des demandes desdits partenaires ou encore du mode de fonctionnement de la clinique. Ainsi, certaines (Aix-Marseille, Caen) procèdent de manière relativement non formalisée quand d’autres procèdent principalement par la signature de conventions (convention avec l’École nationale de la magistrature à Bordeaux, convention de la clinique de l’EDD avec le CDAD ou le Défenseur des droits), ou encore de memorandums of understanding (programme HEDG de l’EDD avec certaines ONG internationales).
Conclusion
Plutôt qu’un modèle unique de clinique à la française, les expériences naissantes font apparaître des différences, des divergences et des choix. Ces choix reflètent des contextes institutionnels spécifiques, des compromis, mais également des visions individuelles et collectives. Si l’influence américaine est bien évidemment présente, si le contexte à la fois global et français, et notamment le débat actuel sur la formation des juristes, a permis l’émergence presque soudaine de ce mouvement, des divergences d’approches, de visions, de choix stratégiques et opérationnels existent. Il faut s’en réjouir. Le débat sur les cliniques juridiques en France ne fait que commencer, et souhaitons que cet ouvrage – ainsi que la création d’un réseau francophone de cliniques juridiques, qui offre la possibilité à ce mouvement naissant d’un dialogue et d’un échange – ne constitue que la première pierre à l’édifice naissant, édifice dont il faudra veiller à maintenir les portes, et les fenêtres, ouvertes.
Notes
- C. Jamin, La cuisine du droit. L’École de droit de Sciences Po : une expérimentation française, Paris, Lextenso – Dalloz, 2013, p. 26.
- Ibid., p. 12.
- R. Descoings, Sciences Po. De La Courneuve à Shanghai, Paris, Presses de Sciences Po, 2007.
- Voir, à ce titre, C. Jamin, « Cliniques du droit : innovation versus professionnalisation ? », Recueil Dalloz, no 11, 20 mars 2014, p. 675. Voir également X. Aurey, « Les origines du mouvement clinique », dans cet ouvrage.
- Et l’on peut notamment citer ici comme précurseurs du mouvement émergent la clinique de l’université François-Rabelais de Tours depuis 2008, ainsi que la Clinique juridique des droits fondamentaux de l’université de Caen Normandie depuis 2009.
- À la suite notamment de S. Hennette-Vauchez, D. Roman, « Pour un enseignement clinique du droit », Les petites affiches, no 218-219, 2 novembre 2006, p. 3. Voir récemment C. Jamin, « Cliniques du droit… ».
- The Global Clinical Movement. Educating Lawyers for Social Justice, F. S. Bloch (dir.), Oxford – New York, Oxford University Press, 2012. Sur la notion de « justice sociale » et les différences d’interprétation de ce terme entre les États-Unis et la France, ainsi que le recul de cette notion dans le développement contemporain de cliniques « professionnalisantes » aux États-Unis, voir la contribution de S. Etoa, « Cliniques juridiques, enseignement du droit et idée de justice », dans cet ouvrage.
- Sur la remise en question du modèle de l’enseignement du droit aux États-Unis à l’aune de l’impact profond de la crise économique et financière de 2007-2008 sur les cabinets d’avocats américains, voir S. J. Harper, The Lawyer Bubble, New York, Basic Books, 2013.
- R. J. Wilson, « Western Europe : Last Holdout in the Worldwide Acceptance of Clinical Legal Education », German Law Journal, vol. 10, no 7, 2009, p. 823-846, disponible en ligne : http://www.germanlawjournal.com/pdfs/Vol10No07/PDF_Vol_10_No_07_SI_823-846_Wilson.pdf.
- Sur l’émergence des cliniques en France et les enjeux que celles-ci représentent par rapport à l’évolution de l’enseignement juridique en France, ainsi qu’aux tendances actuelles de l’enseignement clinique aux États-Unis, voir C. Jamin, « Cliniques du droit… ».
- R. Pound, « Law in Books and Law in Action », American Law Review, vol. 44, 1910, p. 12.
- On pense ici aux « juristes inquiets » tels que R. Saleilles, F. Gény, R. Demogue, M. Hauriou ou L. Duguit, dont l’influence sur le courant du réalisme juridique aux États-Unis dans les années 1920 a été analysée notamment par D. Kennedy, « Three Globalizations of Law and Legal Thought : 1850-2000 », in The New Law and Economic Development. A Critical Appraisal, D. Trubek, A. Santos (dir.), New York, Cambridge University Press, 2006, p. 19-73 ; voir également C. Jamin, « Le rendez-vous manqué des civilistes français avec le réalisme juridique. Un exercice de lecture comparée », Droits. Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, no 51, 2011, p. 137-159.
- À savoir les cliniques de l’EDD de Sciences Po, et des universités de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, Aix-Marseille, Caen, Bordeaux, Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, ainsi que de HEC ; voir « Échanges autour de l’expérience française » et les présentations de cliniques en annexe.
- Voir X. Aurey, « Les origines du mouvement clinique », dans cet ouvrage.
- Ibid. ; The Global Clinical Movement…
- À savoir l’Europe de l’Ouest et du Sud, en contraste avec l’Europe de l’Est et le Royaume-Uni, où les cliniques se sont développées moins récemment. Pour une excellente analyse de l’émergence du mouvement clinique en Europe de l’Est et du Sud, voir U. Stege, « Le développement du mouvement clinique en Europe », dans cet ouvrage.
- Voir R. J. Wilson, « Western Europe… » (et ce même si, comme c’est le cas en France, l’idée de clinique a pu être articulée ou débattue dans de nombreux contextes nationaux bien avant l’émergence récente de ce mouvement à l’échelle européenne).
- Pour une analyse de l’internationalisation du public interest law et des facteurs qui la structurent, notamment l’influence des modèles américains en la matière, voir S. L. Cummings, « The Internationalization of Public Interest Law », Duke Law Journal, vol. 57, 2008, p. 891, 967-968 ; S. L. Cummings, L. G. Trubek, « Globalizing Public Interest Law », UCLA Journal of International Law & Foreign Affairs, vol. 13, 2009, p. 1, 41-42 (mettant notamment en avant la distinction entre la notion de cause lawyering et celle de public interest law, qui qualifie d’intérêt public et de justice sociale la « cause » faisant l’objet de l’usage militant du droit dans la pratique du lawyering). Sur la notion, plus élargie, de cause lawyering, voir L. Israël, « Usages militants du droit dans l’arène judiciaire : le cause lawyering », Droit et société, no 49, 2001-3, p. 793-824.
- Pour une analyse du « modèle » américain, modèle parmi d’autres, voir C. Jamin, « Le rendez-vous manqué des civilistes français… », p. 97-123, et particulièrement p. 105-123.
- On notera à cet égard la naissance de l’European Network for Clinical Legal Education (ENCLE), décrit par U. Stege, « Le développement du mouvement clinique en Europe », dans cet ouvrage, qui a pour ambition d’articuler les contours à la fois d’un concept et d’une structure organisationnelle d’un modèle « européen » d’enseignement clinique du droit. Cette ambition fait apparaître des différences et divergences de contexte et d’approche, notamment entre pays disposant d’un système d’aide juridictionnelle financé par des fonds publics et de nombreux ex-pays du bloc communiste, où les cliniques deviennent un élément central du dispositif d’accès au droit, ou encore et dans une moindre mesure entre pays relevant de traditions issues de la common law ou du droit continental. On notera à ce titre que l’Union européenne, ainsi que des acteurs clés du mouvement international des Droits de l’homme, soutiennent (y compris financièrement) ces initiatives. Ainsi, l’Open Society Justice Initiative, acteur majeur de ce mouvement basé aux États-Unis, a joué un rôle central dans la formation de programmes de public interest law (associations non gouvernementales, cabinets spécialisés d’intérêt général) et de cliniques en Europe centrale et de l’Est (à ce sujet, voir L. Hovhannisian, « L’impact social des cliniques juridiques : le cas de l’Arménie », dans cet ouvrage, qui reflète en partie l’approche et l’orientation prônées par l’Open Society Institute). Voir également, à propos de l’émergence d’un mouvement européen, L’enseignement clinique du droit. Expériences croisées et perspective pratique (actes du colloque à l’université du Luxembourg, juin 2013), É. Poillot (dir.), Bruxelles, Larcier (Collection de la faculté de droit, d’économie et de finance de l’université du Luxembourg), 2014.
- X. Aurey, « Les origines du mouvement clinique », citant R. J. Wilson, « Beyond Legal Imperialism : US Clinical Legal Education and the New Law and Development », in The Global Clinical Movement…
- La référence au « Nord global » ou au « Sud global » est ici empruntée à l’analyse de Daniel Bonilla sur les tensions idéologiques, institutionnelles et épistémologiques, et les relations de pouvoir qui sous-tendent les partenariats entre cliniques du « Nord global » (États-Unis et Canada), et les partenaires et clients du « Sud global » (pays en voie de développement) ; D. Bonilla, « Legal Clinics in the Global North and South : Between Equality and Subordination – An Essai », Yale Human Rights and Development Journal, vol. 16-2, 2013, p. 1-40 (3) (nous traduisons). Cette analyse décrit l’Europe continentale comme la région où l’« institution des cliniques juridiques n’a pas encore été incorporée dans la vie des facultés de droit ou commence à peine à l’être », et le « Sud global » comme les « pays où les cliniques internationales du Nord global font leur travail et les enseignants de cliniques leurs consultations » (p. 3).
- Voir les contributions de X. Aurey et S. Slama, ou encore de B. Duhaime et S. Etoa, dans cet ouvrage.
- À titre d’exemple, le partenariat entre la clinique de l’EDD – programme Human Rights, Economic Development and Globalization (HEDG) – et celle de la faculté de droit de l’université de Columbia autour d’un projet sur la gouvernance minière en République démocratique du Congo et en soutien des activités du bureau de l’ONG Carter Center à Lubumbashi ; sur cette collaboration, voir http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/en/content/hedg-project ; http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/en/content/hria-practices ; J. Perelman, « Transnational Human Rights Advocacy, Economic Globalization, and the Political Economies of Accountability : Mapping the Middle », Yale Human Rights and Development Journal, vol. 16-2, 2013, p. 89. On peut enfin mentionner les échanges transatlantiques croissants entre enseignants-chercheurs affiliés à des cliniques, et le séjour à titre d’exemple de Sandra Babcock (professeure à l’université Cornell, Ithaca), invitée par la Clinique juridique des droits fondamentaux de l’université de Caen Basse-Normandie à l’automne 2014, et lauréate de la chaire Tocqueville-Fulbright.
- Parmi les ONG, les programmes cliniques américains spécialisés en Droits de l’homme, ou encore les figures historiques du mouvement des droits civiques aux États-Unis qui se projettent actuellement sur l’Europe continentale, et notamment les discriminations contre les populations roms, on notera le Human Rights Institute ainsi que le professeur Jack Greenberg à la faculté de droit de Columbia, la clinique des Droits de l’homme de la faculté de droit de Yale, Human Rights Watch, ou encore l’Open Society Justice Initiative. L’influence de cette dernière est importante, comme en témoignent son soutien à l’ENCLE et, par exemple, l’annonce récente d’une formation offerte aux enseignants cliniques sous l’égide de ce réseau sur des sujets tels que les migrations, le profilage ethnique et la lutte contre les discriminations.
- L’aspect Nord / Sud est, par exemple, visible dans les demandes croissantes d’échanges d’expériences à l’égard des cliniques françaises à peine créées émanant de pays du Moyen-Orient, d’Amérique latine ou encore d’Afrique subsaharienne (on notera à titre d’exemple l’invitation et la participation de la clinique de l’EDD au First Middle East Regional Colloquium on Clinical Legal Education : Developing Clinical Programs and Expanding Access to Justice, organisé par l’université Johns-Hopkins de Baltimore et la Global Alliance for Justice Education (GAJE) en mai 2012, ainsi qu’à la conférence annuelle GAJE de New Dehli en décembre 2013. Il semble à ce titre que les cliniques françaises devraient s’intéresser de près aux expériences cliniques autres que celles qui sont développées aux États-Unis, notamment en Amérique latine (un excellent exemple est à trouver dans les cliniques intégrées aux centres de recherche socio-juridiques de l’université de Los Andes en Colombie).
- Le programme clinique de l’EDD, à travers son programme HEDG, fait partie de ces cliniques. En raison de la genèse et de l’émergence singulière de l’EDD au sein du paysage de l’enseignement juridique en France, ou encore des trajectoires et des liens institutionnels des enseignants l’ayant établie, cette clinique occupe une position assez particulière à cet égard et s’inscrit à la fois dans une vision locale (voir le programme Accès au droit de la clinique en annexe ; http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/fr/content/programme-acces-au-droit ; les partenariats dans le cadre du programme HEDG avec des ONG travaillant sur des problématiques domestiques ; ou encore les partenariats avec des institutions ou des entreprises françaises autour d’initiatives de responsabilité sociétale des entreprises au sein du programme Responsabilité et innovation sociale des entreprises (RISE), voir en annexe et http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/fr/content/programme-rise) et dans des collaborations internationales (voir les partenariats avec des programmes cliniques américains, les projets en soutien d’organismes onusiens ou d’associations et/ou ONG travaillant ou situées dans le « Sud global » dans le cadre de HEDG ; les projets à dimension internationale dans le cadre de RISE).
- À titre d’exemple, on peut citer l’ouvrage de Makau Mutua, ancien directeur exécutif du programme des Droits de l’homme de la faculté de droit de Harvard, Human Rights. A Political and Cultural Critique, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2002.
- Voir infra, et la prise en compte dans le débat actuel sur l’enseignement du droit en France d’autres « modèles » que les États-Unis (voir, par exemple, C. Jamin, La cuisine du droit…, qui analyse le modèle anglais de legal training, p. 99-104), ainsi que les débats spécifiques à la France et à son histoire.
- J. Frank, « What Constitutes a Good Legal Education ? », American Bar Association Journal, vol. 19, 1933, p. 723, 725.
- Voir C. Jamin, La cuisine du droit… ; id., « Cliniques du droit… », p. 677-679.
- J. Frank, « Why Not a Clinical Lawyer School », University of Pennsylvania Law Review, vol. 81, 1933, p. 915 ; id., « A Plea for Lawyers-Schools », Yale Law Journal, vol. 56, 1947, p. 1303, suggérant que les enseignements dans ces écoles devraient être donnés par des professeurs passés par la pratique, afin de ne pas uniquement enseigner le « droit dans les livres » (p. 915).
- C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 679.
- Ibid.
- On se reportera à nouveau aux excellentes contributions de X. Aurey et S. Slama dans cet ouvrage, ainsi qu’à l’analyse qu’en fait C. Jamin (C. Jamin, La cuisine du droit… ; id., « Cliniques du droit… »).
- Ibid., p. 679-681, citant notamment J. Faget, « Accès au droit et pratiques citoyennes. Les métamorphoses d’un combat social », Cahiers d’anthropologie du droit, 2010, Pratiques citoyennes de droit, p. 23-24, comme résumant les quatre principaux objectifs des boutiques de droit : « apporter un soutien juridique aux minorités et aux populations démunies, autrement dit favoriser leur accès au droit et à la justice, tout en veillant à ne pas reproduire avec eux la relation classique de domination entre initiés (les juristes) et profanes (leurs clients) ; développer une réflexion sur les modes les plus appropriés de résolution des conflits (qui ne doivent plus être seulement juridictionnels) ; collectiviser les démarches pour modifier les rapports de force au sein d’un système qui a pour caractéristique d’individualiser les problèmes ; juridiciser les zones de “non-droit” (écoles, casernes, prisons, hôpitaux, etc.) pour éviter que ne soient prises une série de microdécisions arbitraires portant atteinte aux libertés fondamentales ».
- Dans le sens nord-américain du terme, à savoir d’orientation centre gauche sur l’échelle politique.
- C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 681 ; ces programmes sont un élément central de la « guerre contre la pauvreté » de Lyndon Johnson. On se référera par ailleurs à l’introduction de cet ouvrage par X. Aurey, qui précise trois autres éléments importants (la contribution financière importante de la Fondation Ford, à laquelle celle de l’Open Society for Justice Initiative à travers le monde à l’heure actuelle semble s’apparenter, l’arrêt Gideon vs. Wainwright de 1963 qui institue l’aide juridictionnelle en matière criminelle, et l’autorisation réglementée par l’American Bar Association d’une participation directe des étudiants en droit à une procédure judiciaire – élément au passage bien distinct de la situation française).
- C. Jamin, « Cliniques du droit… ».
- Également dans le sens nord-américain du terme ; voir la contribution de S. Etoa dans cet ouvrage.
- Ces cliniques sont à ce titre une frange spécifique de ce que des auteurs du courant américain law and society ont analysé comme cause lawyering, ou encore du mouvement de public interest law. Voir supra note 18 ; L. Israël, L’arme du droit, Paris, Presses de Sciences Po, 2009.
- G. Bellow, B. Moulton, The Lawyering Process : Materials for Clinical Instruction in Advocacy, New York – Mineola, Foundation Press, 1978.
- Voir notamment G. P. Lopez, Rebellious Lawyering. One Chicano’s Vision of Progressive Law Practice, Boulder, Westfield Press, 1992 ; L. E. White, « Progressive Lawyering in the 21st Century », Journal of Law & Policy, vol. 9, 2001, p. 303 ; id., « The Transformative Potential of Clinical Legal Education », Osgoode Hall Law journal, vol. 35, 1997, p. 603.
- Reprenant la métaphore médicale filée par le concept de clinique, l’expression band aid (sparadrap) est souvent utilisée dans cette approche pour décrire l’aide juridictionnelle individualisée, en opposition au strategic lawyering qui permet de s’attaquer, à travers la pratique du strategic ou structural litigation (action en justice stratégique ou action collective) et/ou d’une campagne de plaidoyer juridique et extrajuridique, aux root causes (racines, causes profondes) d’une situation qui concerne un groupe plus large.
- Voir C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 680, soulignant comment Bellow et Moulton, tout comme Frank, suggèrent qu’une appréhension du droit en action nécessite un recours à d’autres disciplines (Bellow et Moulton citent notamment la psychologie cognitive, l’analyse économique, la sociologie, la rhétorique, ou encore les études de critique littéraire ou les théories de la communication).
- C. Jamin, La cuisine du droit…, p. 23. Les cours de déontologie de la profession d’avocat, par exemple, sont dispensés au sein des law schools alors qu’ils le sont au sein des écoles de formation professionnelle des barreaux en France.
- Ibid., p. 114-116. Le mouvement intellectuel à l’origine du recul de l’analyse doctrinale dans les law schools est double. Il inclut l’émergence des critical legal studies (analyse critique du droit) dans les années 1970-1980, suivie de près par celle des law and economics (analyse économique du droit). Ces deux mouvements, d’orientation et d’inspiration distinctes, ont néanmoins en commun une remise en cause de « l’autonomie » du droit ou de la « science » juridique. Le mouvement institutionnel est celui qui a vu l’entrée en masse dans le corps enseignant des law schools de titulaires de doctorats en sciences sociales, mouvement qui a favorisé l’émergence d’une production scientifique et d’une approche pédagogique pluridisciplinaire.
- Ibid., p. 119, citant le rapport « MacCrate » de l’American Bar Association de 1992, rapport qui critique la pertinence pratique des travaux des professeurs de law schools, et prône une professionnalisation accrue des études de droit – en mettant notamment en avant les cliniques et leur rôle professionnalisant.
- Sous pression de leurs clients et de la chute de leurs moyens financiers, les cabinets font désormais pression sur les law schools pour ne pas avoir à former eux-mêmes, lors des premières années d’embauche, des juristes jugés trop théoriques et peu opérationnels.
- Pour un aperçu des débats aux États-Unis et notamment des arguments des professionnels du droit critiquant la capacité des law schools à former des praticiens du droit et à le faire à un coût raisonnable par rapport aux perspectives d’embauche, voir D. Segal, « Is Law School a Loosing Game ? », New York Times, 8 janvier 2011 ; id., « What They Don’t Teach Law Students : Lawyering », New York Times, 19 novembre 2011 ; C. Winston, « Are Law Schools and Bar Exams Necessary ? », New York Times, 24 octobre 2011 ; ou exigeant que celles-ci adoptent des standards de formation « pratique » et « professionnelle », voir E. Bronner, « Law Schools’ Applications Fall as Costs Rise and Jobs Are Cut », New York Times, 30 janvier 2013 ; id., « A Call for Drastic Changes in Educating New Lawyers », New York Times, 6 février 2013. Pour une analyse de la crise des cabinets d’avocats et de son impact sur celle des law schools, voir S. J. Harper, The Lawyer Bubble.
- C. Jamin, La cuisine du droit…, p. 122.
- On pense ici à l’institutionnalisation dans la dernière décennie de programmes tels que les problem-solving workshops (ateliers de résolution de problèmes) ou encore les legal research and writing programs (ateliers d’écriture juridique, d’orientation très pratique).
- Sur l’évolution du pro bono aux États-Unis, voir Private Lawyers and the Public Interest. The Evolving Role of Pro Bono in the Legal Profession, R. Granfield, L. Mather (dir.), Oxford – New York, Oxford University Press, 2009 ; S. L. Cummings, « The Politics of Pro Bono », UCLA Law Review, vol. 52, 2004, p. 1-149 ; The Paradox of Professionalism. Lawyers and the Possibility of Justice, S. L. Cummings (dir.), New York, Cambridge University Press, 2011.
- À titre d’exemple, certes particulier mais symbolique, la faculté de droit de Harvard compte désormais plus de 30 programmes ou projets cliniques : http://law.harvard.edu/academics/clinical/clinics/inhouse.html (cliniques internes) et http://law.harvard.edu/academics/clinical/clinics/externships.html (cliniques externes). Ses étudiants sont dans l’obligation d’effectuer 40 heures de pro bono durant leur scolarité pour obtenir leur diplôme : http://law.harvard.edu/academics/clinical/pro-bono/index.html. Ces 40 heures s’effectuent sous forme de clinique, de pro bono dans un cabinet, ou de « stage d’intérêt général » pendant l’été auprès d’associations, d’acteurs publics ou d’organisations internationales (contrairement à certaines interprétations – voir C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 680 –, il est important de noter que si les simulations sont souvent utilisées dans les séminaires cliniques qui complètent le travail « de terrain » des étudiants au sein des cliniques américaines, les mock trials ou moot courts (simulations de procès) ne sont pas considérés comme une expérience clinique, qui implique une mise en pratique « réelle » et non simulée). Le nombre d’étudiants inscrits dans les programmes cliniques de Harvard a triplé lors des trois dernières années, et le pourcentage d’étudiants ayant participé à un programme clinique au cours de leur scolarité s’élève désormais à 77 % (conversation avec Lisa Dealy, assistant dean des Clinical and Pro Bono Programs de la Harvard Law School, avril 2014). D’autres universités multiplient les modalités plus ou moins innovantes dans ce que beaucoup préfèrent désormais appeler l’experiential learning (apprentissage par l’expérience, une notion qui inclut mais peut aller au-delà de la clinique juridique où l’étudiant reçoit physiquement un client dans une clinique située dans (ou liée à) une faculté), ou proposent de réduire de trois à deux ans le nombre d’années passées au sein de la faculté (à titre d’exemple, la faculté de droit de l’université de l’Arizona propose désormais un diplôme de juris doctor sur deux ans).
- On notera à ce titre que le Prix annuel Bellow-Sachs, destiné à récompenser des initiatives d’intérêt général inspirées par l’approche de Gary Bellow, n’est plus remis depuis quelques années à la Harvard Law School.
- Voir, par exemple, le projet clinique Making Rights Real du professeur Lucie White, ancienne élève de Gary Bellow, à Harvard. Celui-ci inclut depuis dix ans un semestre entier de cours pluridisciplinaires et critiques spécifiquement articulés autour de la préparation d’une mission de terrain substantielle (3 semaines) pour participer à des campagnes de mobilisation des droits humains. Ces campagnes utilisent des outils juridiques et extrajuridiques (exemples : ethnographie, mobilisation communautaire, analyses de santé publique ou d’économie politique) et sont effectuées en partenariat avec des organisations locales sur des thèmes liés à la pauvreté et la justice sociale sur des périodes longues (deux ou trois générations d’étudiants, dont certains reviennent sur le terrain).
- Les clinical professors, salariés à plein temps mais à statut différent des professeurs, et ce malgré l’introduction récente de titularisations d’enseignants-chercheurs « cliniques » dans certaines facultés comme la New York University School of Law. Voir X. Aurey, « Les origines du mouvement clinique », dans cet ouvrage.
- Comme le note C. Jamin (« Cliniques du droit… », p. 680), si l’accès au droit – notamment en faveur des plus démunis – est l’un des objectifs des cliniques contemporaines aux États-Unis, celui-ci est différent de l’aspiration plus radicale à transformer le droit et sa pratique à travers l’enseignement clinique.
- Le site dédié aux cliniques de Harvard (http://law.harvard.edu/academics/clinical/clinics/index.html) présente les programmes cliniques comme permettant d’acquérir de l’« expérience de terrain » et des outils tels que l’entretien et le conseil du client, la représentation devant les tribunaux, la recherche et la rédaction juridique, l’investigation et l’analyse des faits, la rédaction de propositions de réformes législatives ou réglementaires, la négociation ou encore l’expérience du travail en équipe avec les étudiants et les praticiens.
- Voir E. Bronner, « Law Schools’… ».
- Voir M. Aït-Aoudia, « Le droit dans la concurrence. Mobilisations universitaires contre la création de diplômes de droit à Sciences Po Paris », Droit et société, no 83, 2013, dossier « Les enjeux contemporains de la formation juridique », p. 99-116, arguant que la mobilisation des juristes universitaires contre l’émergence de l’EDD et autour de la défense du modèle universitaire français de formation au droit se plaçait sur le terrain d’une formation plus courte (deux ans au lieu de cinq), plus ciblée sur des débouchés précis, plus sélective et mieux dotée financièrement que les facultés de droit. C. Jamin précise que si les motifs exprimés tenaient en effet à la sélection des étudiants et à des moyens financiers supérieurs à Sciences Po par rapport à ceux des facultés de droit, d’une part, et à un cursus d’une durée qui serait « insuffisante » pour former de « véritables juristes » à Sciences Po, d’autre part, la raison fondamentale « venait du fait qu’il n’y aurait eu qu’une seule manière de former les juristes et que cette manière reviendrait en propre aux facultés de droit » ; C. Jamin, La cuisine du droit…, p. 12-14 (14).
- Arrêté du 21 mars 2007 (JO du 8 avril) modifiant l’arrêté du 25 novembre 1998 fixant la liste des titres ou diplômes reconnus comme équivalents à la maîtrise de droit pour l’exercice de la profession d’avocat.
- Le master Carrières judiciaires et juridiques, destiné principalement aux étudiants voulant présenter le concours à l’École nationale de la magistrature, et le master Droit économique, qui accueille la majorité des étudiants de l’EDD et offre une formation commune en master 1 et le choix entre 6 spécialités en master 2 (http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/fr/content/master-carrieres-judiciaires-et-juridiques-cjj ; http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/fr/content/master-droit-economique).
- Voir C. Jamin, La cuisine du droit… ; sur cet ouvrage, voir L. Israël, « Le droit sans l’université », La vie des idées.fr, 27 mai 2013, http://www.laviedesidees.fr/Le-droit-sans-l-universite.html#nh1. Parmi les principales étapes de la remise en cause du modèle de formation des juristes, on citera le rapport « Truchet » de 2007 (voir « Le rapport du groupe de travail Truchet sur l’enseignement juridique », La semaine juridique, no 6, 5 février 2007), suivi en 2009 du rapport « Darrois » sur les professions juridiques. Parmi les évolutions de l’enseignement supérieur, on citera la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités no 2007-1199 du 10 août 2007.
- L. Israël, « Le droit sans l’université ».
- Voir C. Jamin, La cuisine du droit…, p. 126.
- M. Aït-Aoudia, « Le droit dans la concurrence… » ; L. Israël, « Le droit sans l’université », p. 2-4 : « la critique de l’enseignement juridique traditionnel et sa capitalisation dans le modèle de l’École de droit de Sciences Po Paris a pu prendre forme parce qu’elle correspondait aux attentes du segment émergent des avocats d’affaires, en expansion numérique mais aussi économique au sein des barreaux français et particulièrement de celui de Paris. La création de l’École de droit a correspondu pour une part à la réalisation de cet objectif », citant notamment R. Vanneuville, « La formation contemporaine des avocats : aiguillon d’une recomposition de l’enseignement du droit en France ? », Droit et société, no 83, 2013, p. 67-82.
- Pour une analyse en ce sens, arguant de l’influence des avocats d’affaires sur l’arrêté de 2007 et la création de l’EDD et de l’articulation d’un discours visant à faire « évoluer » la profession de l’« avocat du procès » à l’« avocat de conseil », sous l’influence notamment des pratiques des grands cabinets d’affaires anglo-américains, voir ibid.
- On fera référence ici à l’École de droit de Paris 1, au Collège de droit de Paris 2, ou encore au Collège supérieur de droit de l’université de Toulouse.
- R. Vanneuville, « La formation contemporaine des avocats… », p. 82.
- Voir, à ce titre, C. Jamin, La cuisine du droit…, p. 20-21 et « Les attentes des praticiens », in ibid., p. 125-149. Les « attentes des praticiens » sont ainsi plus nuancées qu’elles n’y paraissent, les praticiens étant certes acteurs mais également soumis, de manière variée, à des dynamiques fortes et parfois contradictoires : la globalisation du droit et la concurrence globalisée entre juristes, liées à la globalisation économique (on pense à la sous-traitance à l’étranger ou à l’informatisation et la marchandisation de certains services juridiques) ou à la crise économique actuelle (on pense ainsi à la crise de certains modèles économiques professionnels, tels que la big law firm, vus il y a peu comme la panacée). Sur la globalisation actuelle du droit et les dimensions historiques de celle-ci, voir J.-L. Halpérin, Profils des mondialisations du droit, Paris, Dalloz (Méthodes du droit), 2009.
- C. Jamin, La cuisine du droit…, p. 126-127, montre ainsi la complexité du rapport historique entre facultés et praticiens en France, ainsi que l’évolution actuelle des law schools aux États-Unis qui peut être interprétée, comme on l’a analysé ci-dessus, comme ayant pour objet de « renouer un lien distendu avec le barreau » (ibid., p. 127). Si les dynamiques économiques actuelles jouent un rôle indéniable dans les « attentes » nouvelles du barreau américain, celles-ci ne sont pas nécessairement uniformes et se heurtent (notamment dans les law schools d’élite) à des résistances fortes de la part des universitaires.
- Ibid., p. 128-141, mettant l’accent notamment sur les différences importantes entre les attentes des avocats, juristes d’entreprise et notaires.
- Ibid., p. 128, 141-151. C. Jamin s’en remet à l’histoire pour noter ainsi que la manière dont le mouvement doctrinal contemporain qui s’est créé en France à la fin du XIXe et au début du XXe siècle est le résultat de la rencontre entre un « moment intellectuel », qui émerge de manière indépendante, et les praticiens, qui s’en saisissent et finissent par l’adopter. De la même manière, il note comment le mouvement d’analyse économique du droit law and economics aux États-Unis s’est imposé de manière autonome à l’intérieur des law schools américaines, puis auprès des praticiens passés par ces écoles. Ainsi, note-t-il, les praticiens « sont le produit de certaines représentations mentales dont ils ne sont pas les seuls maîtres, car celles-ci sont souvent le fruit de théories imaginées par des universitaires qui n’avaient aucun égard pour la pratique quand ils les ont formulées » ; ibid., p. 144.
- Les deux masters de l’École de droit de Sciences Po offrent une formation sur deux ans ouverte aux étudiants ayant suivi un « bachelor » (premier cycle, trois ans) au collège de Sciences Po, ainsi qu’à des étudiants titulaires d’un premier cycle d’études supérieures obtenu dans un autre établissement (universités, grandes écoles, en France ou à l’étranger, dans des domaines allant de la philosophie aux études d’ingénieur, au droit ou encore aux mathématiques).
- Ibid., p. 16.
- Les termes « expérimentation » (en référence au pragmatisme de John Dewey) et « fabrique » (en référence aux travaux d’anthropologie juridique de B. Latour dans La fabrique du droit, Paris, La découverte, 2002) sont préférés par C. Jamin à celui d’« expérience » ; C. Jamin, La cuisine du droit…, p. 27. On adoptera pour la clinique de l’EDD la notion d’« expérimentation », qui semble particulièrement appropriée.
- Ibid., p. 29-104, « compromis » intellectuel et institutionnel que C. Jamin situe au premier tiers du XXe siècle, et caractérisé comme la succession d’une formation initiale de longue durée, où la « technologie juridique » est enseignée dans les facultés de droit, suivie d’une période de formation à vocation professionnelle prise en charge par les professions (écoles de formation des barreaux, notamment).
- Sur le réalisme dont s’inspire le projet de l’EDD, ses origines, et sa signification dans le contexte actuel français, voir ibid.
- Ibid. Voir également C. Jamin, M. Xifaras, « De la vocation des facultés de droit (françaises) de notre temps pour la science et l’enseignement », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, vol. 72, juin 2014, p. 107-140.
- Voir, par exemple, L. Israël, « Le droit sans l’université ».
- Sur la culture de « clôture du champ juridique » par les universitaires français, voir F. Audren, J.-L. Halpérin, La culture juridique française, Paris, CNRS Éd., 2013, p. 149-155.
- Plutôt que la rationalisation de la technique juridique ou la mise en système des règles en vigueur sous la forme de « théories générales » d’institutions ou de « principes » s’appliquant à des phénomènes juridiques ou des branches du droit, l’approche théorique s’inscrit ici dans une réflexion visant à penser les phénomènes juridiques plutôt que de les ordonner, à produire des idées nouvelles sur le droit plutôt que de s’en tenir à des analyses doctrinales.
- Voir C. Jamin, La cuisine du droit…, dans le sens d’une analyse juridique qui emprunte à d’autres champs des sciences sociales et humaines, tels que l’analyse économique du droit (law and economics), ou encore l’application des théories littéraires aux phénomènes juridiques (law and littérature).
- Notamment l’économie, l’histoire, l’anthropologie et la philosophie.
- Voir C. Jamin, M. Xifaras, « De la vocation des facultés… », p. 11.
- Dont C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 682, note qu’elle peut ainsi être interprétée comme visant à « unifier » les aspects théoriques et pratiques séparés formellement au sein du « compromis français », et à remettre celui-ci en cause.
- Voir J. Perelman, « La clinique de l’École de droit de Sciences Po », dans cet ouvrage. Ces programmes sont Accès au droit (http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/fr/content/programme-acces-au-droit), HEDG (http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/fr/content/programme-hedg), et RISE (http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/fr/content/programme-rise).
- Voir supra.
- On notera à ce titre que deux des programmes cliniques – HEDG et RISE – accueillent des étudiants de la Paris School of International Affairs de Sciences Po, pour la plupart des étudiants suivant ou ayant suivi des enseignements juridiques mais ne suivant pas ou n’ayant pas nécessairement suivi de cursus à dominante juridique.
- Pour une belle articulation de cette idée, voir C. Jamin, M. Xifaras, « De la vocation des facultés… », p. 17, suggérant à propos des cliniques que leur « rôle n’est pas seulement de stimuler l’intérêt d’étudiants qui finissent par mourir d’ennui dans une classe où ils sont cantonnés à un rôle passif, mais plutôt, en leur permettant de participer, chercher, discuter d’un cas […] à s’approprier concrètement les savoirs en cause, à acquérir les compétences requises dans la pratique concrète, et surtout, surtout, à découvrir qu’en pratique, dans la vraie vie, le droit est beaucoup moins ordonné que dans les manuels, que sa production obéit à bien d’autres règles que le raisonnement déductif, qu’à un problème donné, il n’y a pas forcément de “bonne réponse” unique, que le choix entre telle ou telle réponse, telle ou telle stratégie n’est pas une question technique, mais qu’émergent parfois de violentes contradictions entre les intérêts et les points de vue, que faire émerger ces réponses requiert non seulement la connaissance de la matière, mais aussi de la force de conviction, de l’instinct, de l’imagination, de la ruse, et bien d’autres choses, bref que la vie du droit est autrement plus riche et plus intéressante que ce que veulent bien en dire les professeurs, surtout quand ils ne la connaissent pas ».
- Comme le suggère, dans son mémoire final de réflexion du printemps 2013, une étudiante du programme HEDG, M. Aubry, engagée sur un projet sur la gouvernance minière en République démocratique du Congo en partenariat avec le Carter Center et des ONG locales, « comme dans une clinique médicale, vous n’avez pas uniquement le chirurgien : dans notre clinique, ce n’est pas uniquement les étudiants ou le tuteur et le professeur qui définissent le projet, mais c’est un travail collectif au sein duquel s’instaure une relation de confiance et d’apprentissage mutuelle ».
- L’EDD a pour politique de ne pas établir de division hiérarchique entre les universitaires enseignant les cours non cliniques et les cours cliniques, division qui, comme on l’a vu, continue malgré des évolutions récentes à structurer les cliniques américaines. La clinique est ainsi dirigée par un assistant professor (équivalent d’un maître de conférences), qui donne par ailleurs des enseignements non cliniques, assisté dans la supervision des programmes par des professeurs des universités ou des professeurs affiliés. Les cours cliniques sont assurés selon les programmes par ces professeurs, des anciens de la clinique, et/ou des praticiens expérimentés, assistés par des tuteurs doctorants, professeurs, ou professionnels agissant en pro bono.
- Pour plus de précisions, voir J. Perelman, « La clinique de l’École de droit de Sciences Po », dans cet ouvrage.
- Voir notamment É. Millard, « Relier savoir et savoir-faire, connaissances et compétences, théorie et pratique », dans cet ouvrage, suggérant qu’« indépendamment de toute fonction sociale et professionnalisante de l’enseignement juridique, ceux qui considèrent que la dimension théorique du droit devrait être développée devraient selon moi s’investir dans un enseignement clinique », et notant fort justement que l’engagement social d’une clinique n’instrumentalise pas nécessairement la réflexion théorique qui peut en découler « si la conceptualisation du rapport de séparation entre la nécessité épistémologique et la possibilité politique, la clé de voûte d’une approche positiviste du droit, est correctement appréhendée […] ce n’est possible qu’à quelques conditions : articuler le lien entre théorie et pratique, générer une réflexion critique sur la pratique, mais toujours en ancrant la démarche théorique à partir d’une expérience pratique » (répondant en partie à Olivier de Frouville, voir O. de Frouville, « Les activités cliniques comme l’une des portes dans la “tour d’ivoire universitaire” », dans cet ouvrage). Voir également X. Aurey, « Projet de recherche : clinique juridique des droits fondamentaux », Université de Caen Basse-Normandie, 2013, p. 1-3, http://www.unicaen.fr/recherche/mrsh/sites/default/files/public/crdfed/ProjetdeRecherche.pdf, regrettant que si les cliniques ont une « double vocation pédagogique et sociale », elles « ne favorisent ni n’encouragent une valorisation scientifique de cette expérience ».
- S. Hennette-Vauchez, D. Roman, « Pour un enseignement clinique du droit », p. 5-6, suggérant la possibilité d’une « alchimie nouvelle ascendante » dans les rapports entre connaissances théoriques et apprentissage pratique, où l’expérience clinique et notamment « l’essai de nouveaux instruments procéduraux » permettraient de « déboucher sur une réflexion substantielle et théorique sur le contenu de la norme ». Voir également É. Millard, « Sur un argument d’analogie entre l’activité universitaire des juristes et des médecins », in Frontières du droit, critique des droits. Billets d’humeur en l’honneur de Danièle Lochak, Paris, LGDJ (Droit et société), 2007, p. 353-352, suggérant que contrairement à son pendant médical, le milieu de l’enseignement du droit ne met pas en valeur « l’apport qualitatif de la pratique professionnelle à la recherche scientifique ».
- M. Mercat-Bruns, plan du cours clinique « Accès au droit – Défenseur des droits – CDAD – Crésus », EDD, printemps 2014. Est ainsi suggérée l’analyse des problématiques ayant des ramifications à la fois pratiques et théoriques en touchant des questions transversales, telles que l’accès aux droits des femmes immigrées, les discriminations cumulées au travail, la maternité et la discrimination. À titre d’exemple, deux étudiantes ont rédigé au printemps 2014 un mémoire de recherche sur « la notion de bonne foi du débiteur dans la procédure de surendettement », fondé en partie sur leur expérience de terrain auprès de l’association Crésus (un des trois terrains de la clinique Accès au droit, une association de bénévoles et de juristes assistant les personnes en situation de surendettement économique).
- Voir certains rapports de la clinique HEDG, http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/fr/content/travaux (tel qu’un rapport en partenariat avec Amnesty International France sur la responsabilité juridique des entreprises multinationales, ou un rapport sur l’« expérience et l’effet dissuasif de la rétention administrative en France : témoignages et recherches empiriques », en partenariat avec France Terre d’Asile), ou encore un rapport de la clinique RISE sur la responsabilité sociale des cabinets d’avocats, en collaboration avec le Barreau de Paris. En cela, la clinique de l’EDD fait écho à la recommandation no 202 du rapport « Truchet »
de 2007, qui appelait les facultés à pratiquer « dans la mesure de leurs moyens, toutes les formes de recherche, dans ses aspects les plus abstraits comme dans ses aspects les plus concrets, les plus classiques comme les plus nouveaux » ; Groupe de travail sur l’enseignement juridique, 76 recommandations pour l’enseignement du droit, janvier 2007, http://www.afsp.msh-paris.fr/observatoire/metiers/rapport2007
enseigndroit.pdf. Ce type de recherche, comme le note X. Aurey (« Projet de recherche : clinique juridique des droits fondamentaux »), permet d’apporter « un complément intéressant aux missions de recherche de l’Université » (citant notamment É. Millard, « Sur un argument d’analogie… », p. 352-353, qui suggère que la clinique permettra « de mener des études qualitatives et quantitatives, nourrissant aussi bien la recherche scientifique que des propositions d’action (réformes juridiques, politiques, sociales, etc.) ». - Pour une perspective similaire, voir infra la contribution d’É. Millard.
- À titre d’exemple, un projet du programme HEDG sur la gouvernance minière en République démocratique du Congo, fondé sur l’utilisation de l’outil récent des « études d’impact en matière de Droits de l’homme », a généré une table ronde organisée en partenariat avec la clinique des Droits de l’homme de l’université de Columbia (voir http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/en/content/hria-practices). À l’issue de celle-ci, un document de travail est rédigé à destination des chercheurs et praticiens par les deux cliniques, et vise à distinguer les différents types de pratiques en la matière, ainsi que leur relation aux économies politiques et aux contextes institutionnels dans lesquels elles s’inscrivent. Par ailleurs, cette pratique, analysée en contexte à l’aide d’outils d’analyse pluridisciplinaires, nourrit une recherche plus large portant sur une cartographie théorique et institutionnelle des conduites à portée économique en matière de Droits de l’homme, elles-mêmes analysées comme manifestations du phénomène de juridicisation et de la judiciarisation (rights-ification) du développement, de l’évolution du droit international, et de la globalisation juridique. Voir J. Perelman, « La clinique de l’École de droit de Sciences Po ».
- N. Olszak, « La professionnalisation des études de droit. Pour le développement d’un enseignement clinique (au-delà de la création d’une filière “hospitalo-universitaire” en matière juridique) », Recueil Dalloz, no 18, 5 mai 2005, p. 1172-1173.
- S. Hennette-Vauchez, D. Roman, « Pour un enseignement clinique du droit ».
- É. Millard, « Sur un argument d’analogie… », p. 343-352.
- C. Jamin, « Cliniques du droit… ».
- Ibid., p. 2, citant S. Pimont, « Conclusion d’un juriste », in Quelle pédagogie pour l’étudiant juriste ? Expérimentations, modélisations, circulation, A. de Luget, M. Flores-Lonjou, C. Laronde-Clérac (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 328.
- Brissaud, « VI. L’enseignement pratique du droit », in Troisième congrès international d’enseignement supérieur tenu à Paris du 30 juillet au 4 août 1900. Introduction, rapports préparatoires, communications et discussions, F. Picavet (dir.), Paris, A. Chevalier-Marescq & Cie, 1902, p. 409 sq., proposant la création « d’écoles pratiques du droit » intégrées à l’université et permettant d’acquérir une expérience pratique sur des cas réels en consultation gratuite et sous la supervision d’un enseignant, expérience qui ferait apparaître le contraste entre la réalité mêlant faits et droit d’une part, et les principes abstraits et séparés en branches appris dans les manuels d’autre part.
- Ibid. Henri Capitant préside à la création d’un « Institut clinique de jurisprudence » au sein du Palais de justice, où sont organisés des cours du soir pendant lesquels les étudiants procèdent à des analyses de cas.
- C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 676-677, analysant et citant J. Bonnecase, « L’enseignement de la clinique du droit et les facultés de droit. L’Institut clinique de jurisprudence », Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence, t. 55, 1931, p. 61 sq. ; id., Qu’est-ce qu’une faculté de droit ?, Paris, Recueil Sirey, 1929, p. 186, qui prône un enseignement clinique axé sur la jurisprudence ainsi que sur des cas réels (et non rétrospectifs) au sein des facultés, encadré par des professeurs.
- C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 677, soulignant que ces travaux dirigés, loin d’initier les étudiants à la pratique concrète du droit, se « bornent […] à illustrer le cours magistral » mais ont pour effet de « faire taire le débat, aujourd’hui renaissant, sur les cliniques ».
- Dont on a souligné ci-dessus qu’il est particulier, et notamment différent du « compromis » aux États-Unis en matière de formation des avocats, où la formation professionnelle est censée être dispensée à l’intérieur des law schools – mais où la réalité, jusqu’à la crise récente, a vu celle-ci prise en charge en pratique par les law firms.
- Ibid., p. 675.
- Pour une analyse similaire, voir É. Millard, « Relier savoir et savoir-faire… », suggérant que les deux principaux arguments articulés en faveur d’un enseignement universitaire clinique du droit sont la professionnalisation des études juridiques et la contribution sociale, dualité qu’il juge insuffisante.
- Voir infra les présentations de cliniques en annexe, notamment la clinique de l’EDD, la Clinique juridique Saint-Denis, la Clinique juridique des droits fondamentaux de l’université de Caen Normandie, la Clinique du droit de l’université de Bordeaux.
- Voir, par exemple, È. Truilhé-Marengo, « La Clinique juridique de l’environnement – Aix-Marseille université » en annexe, qui met en avant l’aspect pédagogique du programme (« conviction qu’une formation alliant théorie et pratique assure une meilleure appréhension des concepts et donc un meilleur apprentissage du droit ») mais précise que la clinique est « actuellement en train d’évoluer vers un esprit plus conforme à l’esprit de l’enseignement clinique du droit et notamment à la double vocation pédagogique et sociale de celui-ci » en s’associant à des ONG ; à l’inverse, la clinique de l’université Paris-Ouest-Nanterre-La Défense, met en avant sur son site Internet (http://euclid.u-paris10.fr) « le rôle social de l’Université et la défense des droits de l’Homme » à travers un engagement sur des projets de « justice sociale », avant de présenter son double objectif : « réfléchir » sur le droit et sa mobilisation, et « expérimenter » à travers une « valorisation professionnelle » supervisée des compétences des étudiants. Voir, enfin, A. Alemanno, « La clinique en affaires européennes d’HEC Paris et NYU Law » en annexe, qui précise un positionnement clair « pro-européen et démocrate » de la HEC-NYU EU Regulatory Policy Clinic, qui « ne remplit pas une mission classique d’accès à la justice, ni même véritablement d’accès au droit, mais d’accès du plus grand nombre aux outils de participation du public, selon une logique d’empowerment citoyen ».
- On notera ici à nouveau la manière dont la tension entre objectifs pédagogiques et « impact social » s’articule de manière problématique dans les relations entre cliniques du « Nord global » et partenaires et clients du « Sud global ».
- Voir, par exemple, respectivement F. Béguin, « Les avocats en grève : l’aide juridictionnelle rembourse à peine nos frais de secrétariat », Le monde, 26 juin 2014, http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/06/26/les-avocats-en-greve-contre-une-aide-juridictionnelle-proche-du-benevolat_4446297_3224.html ; É. De Lamaze, « Grève des avocats : il est urgent de réformer l’aide juridictionnelle », Libération, 7 juillet 2014, http://www.liberation.fr/societe/2014/07/07/greve-des-avocats-il-est-urgent-de-reformer-l-aide-juridictionnelle_1059148.
- Et, de la même manière, résister à l’avènement de nouvelles formes de services juridiques en ligne. Voir, à ce propos, T. Wickers, « Mettre les “cliniques du droit” au service d’une réforme de la formation des avocats, et à celui de l’accès au droit », La semaine juridique, no 16, 2014, p. 766.
- Voir http://www.barreausolidarite.org/ et, par exemple, http://www.islp.org/sites/default/files/Programme%20Rentree%20du%20barreau%20au%2012%2011%202012.pdf. Cette évolution peut s’interpréter comme le résultat de dynamiques variées, allant de l’influence de nouveaux acteurs (les cabinets d’affaires anglo-saxons, notamment) à une redécouverte de la fonction sociale historique de l’avocat. À ce titre, voir l’excellent ouvrage de L. Assier-Andrieu, Les avocats. Identité, culture et devenir, Paris, Lextenso – Gazette du Palais, 2011.
- Voir A. Moreaux, « Création de la Clinique juridique à l’EFB », Affiches parisiennes, 18 juin 2014, http://www.affiches-parisiennes.com/creation-de-la-clinique-juridique-a-l-efb-4372.html.
- Pour un exemple, voir T. Wickers, « Mettre les “cliniques du droit”… », suggérant l’adaptation nécessaire de la profession d’avocat aux réalités des évolutions technologiques et économiques contemporaines, et la nécessité de généraliser des cliniques du droit qui auraient une double fonction professionnalisante et de renforcement d’un système dépassé d’accès au droit.
- À titre d’exemple de cliniques ayant recours au pro bono, on peut citer le programme Euclid à Nanterre et la clinique de l’EDD (programme RISE, notamment). Cette dernière a récemment participé à un projet de recherche appliquée en collaboration avec le Barreau de Paris sur la responsabilité sociale des cabinets d’avocats, qui entend faire l’état des lieux de cette notion émergente à travers une étude de terrain (La responsabilité sociale des cabinets d’avocats, J. Perelman (dir.), Paris, Sciences Po – Barreau de Paris, 2014, http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/sites/sciencespo.fr.ecole-de-droit/files/RaportFinal_RSCA.pdf). Un positionnement important a été celui d’une articulation de ce concept autour de notions dépassant le pro bono (et s’appliquant par exemple à l’environnement, ou encore aux relations de travail au sein des cabinets d’avocats). Voir également C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 681, qui suggère que le recours aux praticiens pour financer les cliniques ou les soutenir à travers du mécénat de compétences peut poser problème, dans la mesure où ceux-ci « souhaitent en grande majorité disposer de juristes “prêts à l’emploi” quand ils sortent des facultés, plutôt que de jeunes préoccupés de promouvoir la justice sociale, ou pis encore de verser dans la critique du droit et de sa réforme ».
- http://www.sciencespo.fr/ecole-de-droit/fr/content/programme-denizen.
- Et, comme le suggère justement É. Millard, « Relier savoir et savoir-faire… », la question de la professionnalisation se pose généralement « à toute réflexion sur l’enseignement du droit ».
- Groupe de travail sur l’enseignement juridique, 76 recommandations pour l’enseignement du droit, janvier 2007, recommandation no 109.
- Voir en ce sens H. Croze, « Recherche juridique et professionnalisation des études de droit. Pour une filière hospitalo-universitaire en matière juridique », Recueil Dalloz, no 14, 7 avril 2005, p. 908 sq.
- Voir ci-dessus l’exemple du compromis américain, actuellement remis en question, et du rôle des cliniques dans cette crise.
- « les cliniques juridiques sont susceptibles de bouleverser la conception traditionnelle du droit et de son enseignement. Placées au cœur des facultés de droit françaises, elles pourraient produire un effet ravageur qui consisterait […] à contester le discours doctrinal classique, celui qu’on trouve exposé dans les manuels et les traités et que relaient les fiches de travaux dirigés, à ne plus laisser croire à des générations d’étudiants que leur droit est fait de principes et qu’il peut être mis en système » ; C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 678.
- Et l’on notera à ce titre le témoignage d’une étudiante du programme Accès au droit de l’EDD, inscrite au master Carrières juridiques et judiciaires et qui aspire à passer le concours national de la magistrature, témoignage qui suggère la valeur ajoutée de la formation clinique, notamment par rapport au stage en juridiction, et en ce qu’elle laisse la possibilité au futur magistrat d’avoir expérimenté en première main le « désordre » de la pratique du droit ; M. Mercat-Bruns, mémorandum de réflexion, programme Accès au droit de l’EDD, automne 2013.
- Voir ci-dessus concernant la clinique de l’EDD, et C. Jamin, « Cliniques du droit… », p. 675 et 677, qui qualifie ces éléments non pas comme l’interprétation qu’on peut faire de la « professionnalisation », mais comme l’une des deux « innovations intellectuelles majeures » de l’enseignement clinique du droit, susceptible de « disqualifier la conception du droit et de son enseignement qui l’emporte massivement en France en ne faisant plus seulement des enseignements pratiques ou professionnels le simple complément d’un enseignement universitaire ». Voir également É. Millard, « Relier savoir et savoir-faire… », à propos de l’expérience Euclid de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense qui s’érige en renouvellement épistémologique de l’enseignement et de la théorie du droit, en opposition à l’enseignement d’une science juridique doctrinale et « autonome ». Pour une position radicalement opposée à cette conception, voir B. Mathieu, « La formation universitaire des avocats : réforme ou révolution ?, Réponse à Thierry Wickers », La semaine juridique, 5 mai 2014, http://www.bertrandmathieu.fr/2014/05/formation-des-avocats-la-semaine-juridique-5-mai-2014.html.
- On notera à ce titre que si un certain nombre de cliniques représentées dans cet ouvrage mettent en avant l’importance de la « pluridisciplinarité » pour répondre aux demandes de la pratique clinique (voir notamment les présentations du programme Euclid et de la clinique de Caen en annexe), celle-ci s’entend avant tout en termes juridiques et suggère l’importance d’un décloisonnement des « branches » du droit pour son enseignement « en action ». Il est cependant important de rappeler que la pluridisciplinarité, dans le contexte clinique, peut être élargie au champ des sciences sociales et humaines.
- Voir en ce sens É. Millard, « Relier savoir et savoir-faire… ».
- É. Millard suggère que le lien entre contribution / fonction sociale et cliniques n’est que contingent au concept même de clinique, et que, « sous couvert de la justification par la professionnalisation […], la dimension militante, engagée socialement, peut disparaître, et les acteurs professionnels ou universitaires peuvent trouver intérêt à un enseignement du droit plus efficace dans la transmission et l’acquisition de savoirs pratiques au sein de grands cabinets, de grandes entreprises, pour lesquels les valeurs sociales peuvent ne pas rejoindre celles d’un service rendu à la communauté » ; ibid.
- Voir en ce sens T. Wickers, « Mettre les “cliniques du droit”… », mentionnant les pistes explorées pour le futur des professions libérales à l’échelle européenne.
- Voir C. Jamin, M. Xifaras, « De la vocation des facultés… », notant que le projet de l’EDD, qui s’inscrit en réaction à l’inadéquation théorique et pratique du modèle dominant d’enseignement dans les facultés de droit et en écho à une certaine conception alternative de l’enseignement du « droit en action » (incluant notamment pluridisciplinarité et formations telles que les cliniques), appelle certes à s’associer (notamment à travers la clinique) à des praticiens, mais n’appelle pas pour autant à bouleverser le compromis français en confiant la formation des juristes et sa conceptualisation aux seuls praticiens (rejetant ainsi la conclusion tirée par T. Wickers de son analyse du projet de l’EDD, voir T. Wickers, « Remettre la faculté de droit au service de la profession d’avocat », Gazette du Palais, no 290, 16 octobre 2012, p. 13).
- Voir en ce sens C. Jamin, « Cliniques du droit… », qui décèle dans la vision de Frank non seulement un moyen de remettre en cause profondément la manière d’enseigner et de penser le droit, mais également, et notamment à travers l’interprétation de Frank par Bellow et d’autres aux États-Unis, un « moyen de remettre en cause la vision dominante de l’enseignement dit professionnel : au lieu d’inculquer les comportements des différents professionnels à des étudiants qui sont réputés les méconnaître, [cette approche] vise au contraire à modifier la pratique du droit en privilégiant un discours critique à son égard ». Voir également É. Millard, « Relier savoir et savoir-faire… », suggérant (tout en le séparant de toute forme de professionnalisation) que « l’enseignement clinique du droit est un incroyable vecteur permettant une réflexion critique et théorique sur le droit ».
- Voir, par exemple, les cliniques de Paris-Ouest-Nanterre-La Défense et de l’EDD.
- Voir, par exemple, la recherche scientifique intégrée au sein de la clinique de l’EDD, qui inclut parmi ses critères de sélection de partenaires et de projets des critères pédagogiques, d’intérêt général, mais également de possibilité de développer des travaux de recherche scientifique, notamment des travaux socio-juridiques et/ou post-réalistes articulant des analyses critiques et théoriques sur le droit et sa mobilisation.
- Ces deux dernières semblent néanmoins avoir tendance à se « spécialiser » dans le choix de partenaires externes spécifiques – tels que le Défenseur des droits (et la question des discriminations) pour le programme Accès au droit de l’EDD, ou des droits humains, droits des femmes, et lutte contre la pauvreté pour le programme Euclid.
- Voir http://cliniquedroitdelaconsommation.blogspot.fr.
- La clinique d’HEC semble fonctionner en partie à travers des partenariats, et en partie en « auto-saisine ». C’est également le cas pour la clinique de Caen.
- À noter pour ces derniers que le programme RISE de l’EDD opère auprès de tels acteurs commanditaires à travers des conventions qui mentionnent spécifiquement le caractère pédagogique et gratuit de la prestation de service.
- Voir T. Wickers, « Mettre les “cliniques du droit”… ».
- Voir C. Castaing, M. Lamarche, « La Clinique du droit de l’université de Bordeaux », en annexe, qui précise que « L’enseignement clinique consiste à dispenser une formation pratique aux étudiants en droit en mettant leurs compétences juridiques au service de la communauté. Il ne s’agit en aucun cas de se substituer aux professionnels du droit compétents, ce qui implique que les étudiants ne formulent pas de conseils juridiques aux bénéficiaires » (nous soulignons) ; voir également B. Pitcho, « La Clinique juridique Saint-Denis », en annexe, qui précise que « Dans tous ces domaines, la clinique a toujours suggéré l’intervention rapide d’un avocat. Elle ne bénéficie nullement de la possibilité de délivrer un conseil ni de représenter un justiciable et, dès la première prise de contact, ce point est rappelé ».
- Voir, par exemple, la clinique de Bordeaux. Notons ici que cette question du périmètre de l’activité des cliniques est transversale, et se pose également, comme on le verra ci-dessous, pour des cliniques externes et au niveau de la structure d’opération. Elle semble particulièrement importante pour les cliniques d’accès au droit, en ce qu’elles touchent directement à un champ d’activité délimité d’une profession réglementée. On notera ainsi que le programme Accès au droit de l’EDD s’est constitué à travers la signature de conventions de partenariats externes avec deux acteurs importants du système français d’accès au droit (le conseil départemental d’accès au droit (CDAD) puis le Défenseur des droits), conventions qui précisent les limites du périmètre d’activité des étudiants auprès des juristes de ces deux institutions.
- Notons que la clinique de Bordeaux a employé une responsable administrative spécialement affiliée à la clinique.
- Voir M. Aubry, mémoire de réflexion, programme HEDG de l’EDD, printemps 2013.
- À ce titre, voir deux articles souvent cités aux États-Unis sur les relations de pouvoir et les effets structurants de l’aide juridique aux plus démunis : L. E. White, « Subordination, Rhetorical Survival Skills and Sunday Shoes : Notes on the Hearing of Mrs. G », Buffalo Law Review, vol. 38, 1990, p. 1-58 ; id., « Goldberg v. Kelly on the Paradox of Lawyering for the Poor », Brooklyn Law Review, vol. 56, 1990, p. 861-887.
- On se reportera notamment à l’analyse ci-dessus concernant les rapports avec les cliniques, partenaires et communautés du « Sud global » pour les cliniques internationales de Droits de l’homme.
- Voir, à ce titre, les réflexions de Grégory Godiveau dans la présentation de la Clinique juridique des droits fondamentaux de l’université de Caen Normandie, en annexe.
- On notera également que la clinique de Bordeaux est rattachée au Forum Montesquieu (plate-forme « permettant le transfert de savoirs à l’attention de tous les membres de l’université de Bordeaux, des acteurs de la société civile ainsi que du grand public »), ou encore que la clinique d’HEC est rattachée au eLabEurope, toutes deux trouvant là des formes originales d’appui institutionnel.
- Notons que la clinique de l’EDD a fonctionné au départ sur un système de volontariat, aussi bien de la part des étudiants que des enseignants et praticiens qui s’y sont associés, et que la clinique de Montpellier fonctionne sur cette base. C’est également le cas pour la clinique de Bordeaux, où les étudiants reçoivent des « points bonus » au titre de leur participation.
- En outre, la clinique de Caen a ouvert la possibilité aux étudiants de master 1 de participer à son programme depuis septembre 2014.
- La clinique de Bordeaux offre aux étudiants une formation pratique au début du semestre, qui fait office de cours clinique.
- À titre d’exemple, la clinique de l’EDD, qui semble à l’heure actuelle être celle qui reçoit le plus grand nombre d’étudiants au sein de ses trois programmes, a compté en tout sur l’année 2013-2014 : 46 étudiants inscrits (en termes d’étudiants de l’EDD, cela représente environ 15 % d’une promotion de 180 étudiants). On notera que la clinique d’Aix-Marseille n’opère pas de sélection, l’ensemble de la promotion du master qui l’héberge devant participer.
- Voir É. Millard, « Relier savoir et savoir-faire… ». On notera, comme on l’a vu, qu’un nombre de plus en plus important d’étudiants participent à des programmes cliniques aux États-Unis, mais ceci est dû à des possibilités de financement plus importantes et n’empêche pas la sélection des étudiants par chacun de ces programmes. Dans d’autres contextes, la sélection existe mais elle permet à un nombre plus important d’étudiants de participer (c’est le cas, par exemple, dans les cliniques des pays d’Europe centrale et de l’Est).
- La clinique de Bordeaux opère selon une structure particulière, composée d’une structure interne à l’université et d’une association externe, pouvant notamment répondre à des appels à projets et donc recevoir des financements.
- Voir « Échanges autour de l’expérience française », en annexe. On notera à ce titre que si certaines cliniques américaines, après un long travail de rationalisation, ont mis en place des processus élaborés pour y répondre (on prendra ici l’exemple de Harvard, où des comités et processus formalisés de validation des travaux en amont et en aval, ainsi que l’obligation d’une supervision par un enseignant / praticien salarié de l’université et admis au barreau, ont été généralisés à l’ensemble des programmes cliniques), la question de la responsabilité pour les activités cliniques ne semble pas totalement réglée dans d’autres cas.
- Voir ibid.
- Ce qui pourrait en théorie limiter le type de projets sur lesquels ces praticiens agissant en pro bono seraient en mesure de s’engager, notamment au titre de conflits d’intérêts potentiels.
- Pour lesquelles la clinique RISE ne fournit pas de consultations juridiques, mais opère par recherche appliquée (études de terrain ou comparatives, modèles de chartes éthiques).
- Une lettre d’allégation auprès du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains et l’extrême pauvreté.
- Voir « Échanges autour de l’expérience française », en annexe.
- À titre d’exemple, le programme Accès au droit de la clinique de l’EDD est le fruit de l’initiative d’une enseignante (M. Mercat-Bruns) et d’un groupe d’étudiants, et une dynamique similaire est à l’origine de la création de la clinique de Saint-Denis, ainsi que d’autres cliniques. Les programmes HEDG et RISE de l’EDD sont nés de l’initiative d’un groupe d’étudiants autour de la création d’une clinique Entreprises et Droits de l’homme, initiative soutenue par des enseignants de l’EDD et couronnée du jury citoyen de Sciences Po 2011.
- Et on notera ici la notion d’« expertise croisée » dans la supervision retenue par la clinique de Bordeaux (qui fait appel à des auditeurs de justice, et bientôt à des élèves avocats).