А. Люблинский, "О 'юридических клиниках'. Российское понимание термина 'юридическая клиника'", Журнал Министерства Юстиции, 1901, pp. 175-181 [Traduction par Nicolas Stuyckens]
En comparant l’enseignement des matières à la faculté de droit avec le système d’enseignement adopté dans les autres facultés, il est facile de détecter la différence suivante. Pendant qu’une partie importante du temps d’étude est consacrée aux études pratiques dans les facultés de médecine, de sciences naturelles, de mathématiques et de philologie, les étudiants en droit ne traitent en permanence que de livres et de conférences. Ils étudient le droit exclusivement en théorie et restent pratiquement sans aucune connaissance de la pratique juridique. Un tel système a par conséquent des conséquences très tristes. Les avocats qui viennent de terminer un cursus universitaire, au tout premier désir de mettre leurs connaissances en pratique, en tant qu’avocats ou fonctionnaires entrant dans des institutions judiciaires ou administratives, sont complètement impuissants et ont besoin d’instructions de la part de personnes extérieures, souvent à propos des bases mêmes de la pratique juridique.
D’autre part, des informations purement théoriques acquises sans qu’il soit nécessaire de mémoriser en profondeur et de comprendre leurs illustrations dans la pratique, souvent apprises, du fait de l’absence de toute autre vérification, à l’exception des examens de cours, s’évaporent rapidement et sans réflexion, de sorte qu’un débutant en droit ne sait souvent pas comment relier la pratique à la théorie. Cela explique le fait que, tandis que les docteurs récemment diplômés commencent déjà à soigner, que des ingénieurs en bâtiment, des philologues et des mathématiciens enseignent, les jeunes avocats ne se voient confier d’abord que la copie de documents ou l’exécution des instructions simples de leurs clients.
Nombreux ont déjà reconnu les lacunes de cet enseignement et ces dernières années, de sérieuses tentatives ont été faites pour organiser de tels cours pratiques dans les facultés de droit afin de remédier aux inconvénients susmentionnés. Ces cours, destinés à la formation de praticiens du droit, se réduisent actuellement principalement à l’analyse par le professeur, avec les étudiants, de tout litige en justice qui a réellement eu lieu ou a été inventé, avec la participation d’étudiants parfois exprimée dans l’exécution par certains d’entre eux de tâches spéciales, par exemple, la défense ou l’accusation, la défense des intérêts de l’une ou l’autre des parties, etc. Mais même ces cours n’atteignent pas pleinement l’objectif mentionné, car les étudiants ne traitent généralement pas d’incidents réels, mais de circonstances dont le professeur modifie la nature et l’importance pour clarifier au mieux toute situation théorique.
Au vu de ce qui précède, une note spéciale du professeur Frommhold, récemment publiée dans la revue Deutsche Juristen-Zeitung, intitulée Juristische Kliniken, mérite une attention particulière. Soulignant la grande importance que les cliniques existantes dans les facultés et les académies de médecine ont pour la pratique médicale, Frommhold leur propose de créer des cliniques analogues dans des établissements d’enseignement supérieur juridiques, où sous la direction d’un professeur, les étudiants n’étudieraient pas des cas juridiques fictifs ou obsolètes, mais fourniraient une assistance juridique directe aux personnes dans le besoin dans des cas non résolus. Cette idée est tellement importante et fructueuse qu’il est intéressant de l’analyser plus en détail et de tenter de faire un parallèle entre les cliniques médicales et juridiques, dans la mesure où cela sera possible compte tenu de la différence entre les caractéristiques de ces deux domaines de connaissance.
La clinique poursuit simultanément deux objectifs différents, énoncés avec succès dans l’inscription sur l’une de ces institutions : aegrotis curandis, medicis instituendis1. Examinons chacune de ces tâches, éducatives et pratiques, séparément.
Une clinique médicale désigne généralement une institution, où le traitement pratique continu des patients qui y entrent sert en même temps d’objet d’enseignement visuel aux étudiants qui la visitent. Par analogie, il est nécessaire qu’un étudiant dans une clinique juridique, un étudiant en droit, entre en contact direct avec ceux qui ont besoin d’une assistance juridique, de sorte que déjà à l’université, et pas seulement au stade préparatoire suivant, il puisse être confronté à la loi dans un état pathologique.
Les personnes ayant besoin d’une assistance juridique se tourneront vers des cliniques juridiques et cette assistance, compte tenu de la nature particulière des études cliniques, devrait être fournie gratuitement. Le responsable de la clinique doit être un professeur-superviseur, duquel dépend l’admission ou le refus de clients. Les praticiens cliniques, c.-à-d. les personnes impliquées dans une affaire donnée sous la conduite d’un professeur ne sont que des étudiants ; leurs activités ne doivent pas dépasser les murs de l’auditoire et ils ne peuvent donc pas s’exprimer devant un tribunal ni devant une institution administrative : les études cliniques doivent se limiter à donner des conseils juridiques ou à rédiger diverses notes sous la direction d’un professeur. Se présentant, comme dans une clinique médicale, principalement à des fins propédeutiques plutôt que caritatives, le responsable de la clinique juridique devrait, lors de la réception du matériau, faire des choix judicieux et n’accepter que les cas présentant un intérêt plus ou moins intéressant aux fins de la clinique, en orientant les autres clients vers le plaidoyer payant ou gratuit. Une sélection rigoureuse du matériau entrant est d’autant plus nécessaire que chaque cas individuel requiert une attention particulière de la part du public et une conférence spéciale de l’enseignant. Avec le temps, si les activités des cliniques juridiques réussissent, ce qui est à prévoir avec certitude, une spécialisation supplémentaire, comme pour les cliniques médicales, dans certaines branches de la pratique juridique, par exemple pénale, civile, administrative, est possible. Cette spécialisation facilitera la sélection de responsables de cliniques expérimentés et rendra les cours moins lourds pour les étudiants et les participants. Pour que cela réussisse, il faut garantir à la clinique une attitude sérieuse à l’égard des cours, en étant pleinement consciente de la responsabilité qui incombe au clinicien et en préservant le secret absolu de toutes les circonstances confiées par le client.
Il va sans dire que les exercices pratiques en cours, sous la forme d’études de cas tirées de pratiques juridiques ou fictives, ne doivent pas être oubliés en raison de l’importance particulière qu’ils ont pour la compréhension de la théorie. La principale différence entre eux et les nouvelles classes proposées est que les cas à analyser seront présentés aux étudiants avec tous les détails, revêtus de la chair et du sang de la réalité et non modifiés à la volonté de l’enseignant ; ici, le cas juridique ne sera pas transféré à l’étudiant en seconde main, mais se produira directement. La capacité d’isoler les caractéristiques essentielles de la masse de détails factuels de chaque affaire, de laisser de côté les faits indifférents sur le plan juridique, de faire, pour ainsi dire, un diagnostic juridique de l’affaire constituera l’une des tâches les plus importantes de la clinique juridique. Cela permettra d’acquérir des connaissances, ainsi que des moyens pratiques de les appliquer. Le matériau lui-même, de par sa nature, et la prise de conscience de la responsabilité des études cliniques susciteront un plus grand intérêt de la part de l’étudiant, de la même manière qu’ils attireront davantage l’attention du médecin sur les opérations sur des personnes vivantes par rapport aux manipulations effectuées sur un cadavre. Les études cliniques permettront même aux étudiants de se familiariser, dans une certaine mesure, avec les formalités les plus courantes de la pratique judiciaire et administrative, de sorte que, lors des premières étapes de leurs activités pratiques, les jeunes avocats ne soient plus obligés de se concentrer sur l’aspect formel de la question au détriment de la matière.
Outre les valeurs susmentionnées à des fins pédagogiques, les cliniques juridiques auront toujours une signification sociale pratique et directe. En supposant que l’assistance clinique fournie soit gratuite, les cliniques juridiques constitueront un type particulier d’institution caritative pour les pauvres ayant besoin d’une assistance juridique. Cependant, la signification sociale des cliniques juridiques ne se limite pas à la charité. En fournissant aux pauvres une aide gratuite faisant autorité et en diffusant les connaissances juridiques de la manière suivante, la clinique juridique sera un terrible ennemi pour les professionnels de la défense clandestine et contribuera à libérer la population de ses activités malhonnêtes. On peut s’attendre à ce que, compte tenu de l’importance des cliniques juridiques pour les personnes, les moyens matériels nécessaires à leur organisation et à leur maintenance soient mis à disposition par l’État intéressé par le développement d’institutions éducatives et caritatives.
Quant à l’organisation des cliniques juridiques, comme le souligne Frommhold dans l’article susmentionné, elle pourrait être réalisée dans les conditions suivantes. Les exigences les plus sérieuses sont imposées aux futurs chefs de cliniques qui, dans la perspective de la spécialisation des études cliniques, doivent être à la fois de bons juristes théoriciens et des praticiens des domaines les plus importants du droit privé et public. En outre, ils sont confrontés à de nombreuses exigences personnelles, consistant principalement dans le fait qu’ils doivent faire preuve de compassion envers les pauvres, être doux et modérés dans leurs rapports avec les gens ordinaires. Leurs tâches directes en tant que chefs de clinique devraient absorber leur temps et leur attention de manière à exclure la possibilité de combiner avec ce titre d’autres activités, telles que celles d’avocat ou de magistrat. Le nombre de praticiens cliniques traitant directement avec les demandeurs, les écoutant, leur donnant des conseils et rédigeant toutes sortes de papiers, devrait être déterminé à l’avance et, compte tenu de la nécessité d’accorder une attention très sérieuse à chaque cas individuel, ne peut être trop volumineux. Outre les cliniciens, les étudiants qui assistent aux explications du professeur et les participants visitent les cliniques sans participer directement aux cours. Le nombre d’auditeurs peut être illimité.
Étant donné que les études cliniques nécessitent une formation théorique bien connue, leur réalisation n’est possible que durant les derniers cours et, compte tenu de l’importance qu’elles représentent pour tout avocat, elles doivent être rendues obligatoires pour les étudiants.
En comparant une clinique juridique à une clinique médicale, il ne faut pas négliger une différence significative entre elles. Tandis que devant les yeux d’un médecin, l’ensemble de la maladie passe sous tous ses aspects : symptômes, évolution ultérieure sous l’influence de diverses méthodes de traitement, résultat final et, dans le cas du décès du patient, autopsie permettant de juger sur les véritables causes de décès, sur l’exactitude ou l’inexactitude du diagnostic et du traitement utilisé — dans une clinique juridique, la situation sera différente. Dans ce cas, le clinicien n’aura qu’un matériau qui n’est pas toujours complet et que le client pourra ou voudra lui transmettre au cours de ses quelques visites. De plus, ce matériau sera accompagné d’explications unilatérales, souvent involontairement inexactes de la personne intéressée, empêchant sans connaître l’autre côté de la question (p. ex. arguments de la partie adverse, le cas échéant) une attitude scientifique objective en la matière. De plus, puisque aucune décision finale n’est rendue à la clinique, mais ailleurs, et souvent après une période de temps considérable, le praticien de la clinique juridique ignore complètement le sort réservé aux conseils qu’il a prodigués ou aux notes qu’il a rédigées, ainsi que des raisons qui ont influencé la résolution de l’affaire dans un sens ou dans un autre. Mais de tels phénomènes, dont beaucoup constituent les caractéristiques de la pratique du droit, devraient nécessairement être observés dans une clinique juridique, qui sert d’antichambre à cette pratique.
En ce qui concerne le nom de la nouvelle institution, compte tenu de l’analogie assez étroite qui existe entre son organisation, son mode d’activité et ses objectifs poursuivis, le nom de clinique juridique peut être considéré comme tout à fait approprié, bien que ces mots paraissent si inhabituels qu’on pourrait penser, comme l’a fait remarquer avec rigueur le professeur Gneist, que la jurisprudence est une sorte de maladie chronique. Il est seulement nécessaire de convenir que ce terme distingue les cliniques juridiques des cliniques criminelles que le professeur Benedict a proposé de créer dans les prisons lors du congrès des experts légistes d’Anvers, afin de mener des exercices pratiques pour étudier le côté mental des criminels.
En conclusion, il convient de noter que la création de cliniques juridiques en Russie est particulièrement souhaitable compte tenu de la nature déjà théorique de l’enseignement dans nos facultés de droit, de la diversité et du nombre de tribunaux de notre pays dotés de compétences particulières, ainsi que de la pauvreté et de l’analphabétisme de la plupart des gens ordinaires.