Cet article a été publié dans le magazine des 10 ans de la Law Clinic de l’Université de Genève. Nous remercions l’équipe de la Law Clinic de nous permettre de le faire connaître à un plus large public. Aborder une thématique qui nous touche personnellement – dans le cadre d’un travail de groupe d’un cours universitaire – implique d’être confronté-e au regard des autres et de faire face à ses propres biais.
J’ai rejoint les bancs de la Law Clinic en 2017. Le format de celle-ci m’a attirée. Enfin, nous pouvions sortir du cadre habituel des cours de droit. Mieux, le travail de Master qui en découlerait ne finirait pas seulement dans une bibliothèque, mais aussi dans les mains des personnes directement concernées par la thématique traitée. Il se trouve que, par hasard, cette année-là, le sujet abordé était les droits des personnes LGBTIQ+. Militante de longue date pour les droits LGBTIQ+, et personnellement concernée, ce thème n’a fait que confirmer mon envie de suivre ce séminaire.
Ainsi, je me suis plongée, tête la première, dans des travaux de recherche sur une thématique qui me touche. Cette belle expérience a mis en lumière deux aspects : le regard des autres et mes propres biais.
Du regard des autres
Le regard des autres peut être malveillant ou bienveillant. Il est parfois plutôt innocent et naïf. Pour beaucoup, être LGBTIQ+ en Suisse n’était, et n’est toujours, pas vraiment une source de problèmes. On peut vivre « comme tout le monde ». Bien que cette affirmation ne soit pas totalement fausse, elle n’est pas pour autant vraie.
En 2017, je n’aurais pas pu me marier comme la plupart de mes camarades. En 2017, je n’aurais pas pu adopter un enfant avec ma conjointe. En 2017 et aujourd’hui encore, je pourrais rencontrer des difficultés pour être reconnue comme mère juridique de mon enfant s’il était né d’une PMA à l’étranger.
Observer les autres découvrir ce que signifiait, dans la société actuelle, être LGBTIQ+ était marquant. Iels n’en avaient pas toujours saisi la portée. Maintenant, iels prenaient non seulement la mesure des discriminations vécues au quotidien par les personnes LGBTIQ+, mais aussi des inégalités dans la loi. Rechercher et saisir l’ampleur de ces discriminations ne les a clairement pas laissé·e·s indifférent·e·s. C’était touchant.
De ses propres biais
Pour ma part, c’était plutôt une piqure de rappel. Me rappeler que, oui, en 2017, je n’étais encore qu’une citoyenne de seconde zone.
Ceci dit, effectuer une recherche juridique sur une telle thématique a parfois été un challenge. Comment écrire noir sur blanc qu’une situation qui est pour nous inégale est pourtant légale ? Comment écrire que l’on a moins de droits que les autres ? J’avais beau chercher une solution qui pourrait réconcilier mon cœur et mon intellect, je retombais toujours sur une réponse qui me déplaisait. Faire cet effort d’objectivité, avec parfois un peu d’aide, était probablement la limite de l’exercice. Militer tout en gardant une rigueur scientifique est un obstacle auquel il faut faire face. Saisir ses propres biais, ne pas faire semblant qu’ils n’existent pas et les affronter.
De ma réconciliation avec les études de droit
Faire du droit s’est imposé à moi comme une évidence. Portée par un désir de justice, le droit offrait un outil, une arme, pour contrer l’injustice. Nous ne pouvons qu’être déçu·e lorsque nous réalisons que cette arme peut se retourner contre nous. Cela constitue une forme de violence.
Suivre un séminaire tel que la Law Clinic, bien qu’il ait confirmé les inégalités dont la communauté LGBTIQ+ est victime, m’a permis de saisir où se trouvaient les lacunes et biais dans nos textes législatifs. Identifier ceux-ci est le premier pas pour pouvoir les changer. Connaître ses droits est également indispensable si l’on veut qu’ils soient respectés. Connaître ses droits, même lorsqu’ils nous desservent, n’est pas une fatalité. Au contraire. Nous nous inspirons de ces lacunes pour dessiner les nouveaux chemins indispensables à nos luttes.
En conclusion, ce que je retiendrai de la Law Clinic, c’est la présence de mes parents lors de la présentation des résultats de notre travail : ils en étaient fiers. Le fait que l’Université, institution de renommée internationale, se saisisse de ce thème a rendu nos luttes légitimes et sérieuses. Nous étions enfin visibles.