Les opinions et les points de vue exprimés dans cet article sont uniquement ceux des auteur-e-s.
I. Introduction
Le projet d’Applied Human Rights trouve son origine dans la collaboration d’InZone, centre académique de l’Université de Genève qui vise à créer des espaces de formation universitaires dans les camps de réfugié-e-s1, avec la Legal Aid Clinic de l’Université de Kenyatta2, ainsi que la Law Clinic de l’Université de Genève3. Les buts de ce projet peuvent être notamment résumés comme suit : l’identification de problèmes liés aux droits humains, leur analyse et des propositions de solutions durables pensées essentiellement par les personnes qui vivent dans le camp de réfugié-e-s4.
Ce projet rassemble trois groupes d’étudiant-e-s d’horizons variés : cinq étudiant-e-s en droits humains de Kakuma5, deux étudiant-e-s de l’Université de Kenyatta, ainsi que deux étudiant-e-s de l’Université de Genève. La présente contribution est rédigée par les étudiant-e-s de Genève précité-e-s, en cours de cursus lors de la conception du projet, dans le cadre duquel il s’inscrivait en tant que travail de Master.
Le projet d’Applied Human Rights de la volée académique 2019-2020 aurait dû être réalisé en mai 2020. L’idée initiale consistait à s’appuyer sur la première version éponyme du projet, qui avait donné lieu à une semaine de formation et de sensibilisation aux droits des enfants pour les sages et leaders du camp de Kakuma, au Kenya6. Des discussions mêlant explications théoriques à exercices pratiques étaient ainsi planifiées, avec pour thème, lors de cette deuxième édition prévue, les droits des enfants en situation de handicap.
En offrant la formation aux sages et leaders, Applied Human Rights vise à s’appuyer sur des structures établies au sein du camp en vue de la cohabitation pacifique des communautés. Si des différends leurs sont présentés par des habitant-e-s, ils-elles tranchent leurs litiges7. C’est particulièrement important dans le contexte d’un camp de réfugié-e-s tel que Kakuma, où le système judiciaire de l’État hôte est difficile d’accès8 : le rôle des sages et des leaders peut être qualifié de structure de maintien d’une certaine harmonie au sein des communautés présentes dans le camp.
Ce projet consiste en quatre phases principales dont seules les deux premières ont pu se dérouler presque intégralement comme prévu. La première a donné lieu à une recherche juridique approfondie collaborative sur les droits des enfants en situation de handicap d’une perspective de droit international, kényan ainsi que coutumier. La seconde traitait de l’organisation pratique de la formation qui aurait dû prendre place début mai 20209.
Cependant, la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19 a bouleversé la suite des évènements. Les étudiant-e-s participant à Applied Human Rights, ci-après également les étudiant-e-s clinicien-ne-s, ont compris le 13 mars 2020 que les plans initiaux incluant une semaine de formation à Kakuma pour les sages et les leaders devaient être modifiés, lorsque les premières restrictions aux frontières ont été mises en place. Il s’est ensuivi qu’il a fallu s’adapter à une situation nouvelle et inattendue où, dans le cadre de mesures sanitaires, les déplacements internationaux étaient devenus pratiquement impossibles et l’entrée à Kakuma interdite aux personnes étrangères au camp.
La formation s’est vu être repoussée à une date indéterminée. Pour autant, les étudiant-e-s impliqué-e-s n’ont pas cessé d’échanger et d’espérer concrétiser le projet d’Applied Human Rights, et ce au-delà de l’année académique initialement impartie au projet. Une collecte de fonds a été organisée en vue d’assister des organisations implantées à Kakuma dans l’effort en temps de pandémie, et une campagne de sensibilisation virtuelle aux droits des enfants en situation de handicap a été lancée par le biais de vignettes.
Certains enseignements peuvent être tirés de cette expérience particulière que la présente contribution détaille dans une perspective estudiantine. La présente esquisse notamment des réflexions critiques sur les rôles endossés par les participant-e-s à une expérience d’une clinique juridique impliquant des étudiant-e-s provenant de pays du sud et du nord10. L’analyse porte d’abord sur les difficultés d’éviter tout rapport de subordination entre les équipes (II), puis sur l’évaluation des risques lacunaire (III), avant d’examiner les bouleversements liés au covid-19 d’intensité différente (IV), puis les difficultés liées à la réorganisation du projet (V), avant de formuler un bilan (VI).
II. Difficultés d’éviter tout rapport de subordination entre les équipes
Indépendamment de la situation liée au covid-19, une analyse critique de la position de chaque équipe durant l’organisation d’Applied Human Rights peut être formulée à titre liminaire. Les trois équipes ont pour principal point commun d’être d’une part des étudiant-e-s en droits humains, et des participant-e-s à une clinique juridique de nature internationale d’autre part. Toutes les personnes impliquées dans l’organisation de cette formation ont été encouragées à développer une certaine sensibilité eu égard aux dangers de rapports inégaux à une collaboration entre étudiant-e-s d’universités du sud et du nord. Cette sensibilisation est notamment passée par des lectures correspondantes approfondies, des échanges entre les équipes, et une évaluation autocritique continue, en vue d’éviter de reproduire tout comportement de nature coloniale directe ou indirecte.
Cela vaut d’autant plus pour les étudiant-e-s clinicien-ne-s du nord, ici de Genève. En particulier, la différence de chances et de ressources à disposition des équipes peut mener à des interactions biaisées ou intéressées11. Il était ainsi le maître-mot tout au long du projet et des échanges de rester vigilant-e-s, entre autres, sur cet aspect. Néanmoins, en dépit des efforts investis, il serait illusoire d’affirmer avoir atteint une égalité entre les membres impliqué-e-s. Des différences fondamentales doivent être prises en considération, inhérentes à un projet impliquant des personnes provenant de milieux offrant notamment des conditions de vie et des opportunités différentes. Masquer ces inégalités reviendrait ainsi à nier les obstacles additionnels inhérents à la vie dans le camp de Kakuma qui ont ponctué l’organisation d’Applied Human Rights.
Les étudiant-e-s de Nairobi et de Kakuma étaient bénévoles, étant entendu que le terme bénévole au sens académique signifie qu’ils ne bénéficiaient d’aucun crédit (en système suisse : ECTS) pour le suivi du projet, à l’exception d’un diplôme de participation pour l’équipe de Kakuma. Il n’en allait pas de même des étudiant-e-s de Genève, pour qui la création de la formation représentait un travail de Master obligatoire à tout cursus, ce qui, à l’Université de Genève, vaut 18 crédits ECTS. Il découle de cette différence d’une part un manque de reconnaissance académique pour l’implication des autres étudiant-e-s, d’autre part une disponibilité inégale pour le projet.
En effet, sachant que les autres équipes étaient entièrement bénévoles, l’équipe de Genève devait prendre plus de charges organisationnelles ainsi qu’assurer un suivi global des tâches réparties entre les étudiant-e-s. Certaines responsabilités revenaient ainsi entièrement aux Genevois-e-s. Malgré le désir constant que les décisions importantes n’émanent pas de Genève, clinique du nord, signe d’une relation verticale12, un certain déséquilibre à ce niveau doit être admis.
De plus, des inégalités liées aux chances et aux ressources à disposition des étudiant-e-s ont exercé une influence sur les relations inter-participant-e-s. Les obstacles inhérents au quotidien dans un camp tel que Kakuma ont ponctué le projet. Par exemple, une connexion internet rapide par le biais d’un réseau wifi pour des appels vidéo n’est disponible qu’au hub d’InZone, engendrant des déplacements qui étaient eux-mêmes sujets aux conditions du camp. Des inondations qui rendent les routes impraticables ou des épisodes de violence urbaines ont constitué typiquement des situations auxquelles les étudiant-e-s de Kakuma devaient faire face.
Ces difficultés additionnelles, associées à la vie à Kakuma, ont influencé les relations en ce sens que certaines responsabilités devaient, par souci d’efficacité, être attribuées à l’équipe de Genève. En effet, étant sujets à moins d’imprévus, il a été estimé productif que certaines tâches nécessitant un suivi régulier soient attribuées aux Genevois-e-s.
Toutefois, un imprévu de taille est venu perturber la bonne marche du projet. Le covid-19 a bloqué les déplacements internationaux ainsi que l’entrée au camp de Kakuma, rendant impossible la formation initiale et exacerbant certaines inégalités et difficultés13. Cette situation n’ayant pas été anticipée, cela appelle certaines remarques qui seront présentées par la suite.
III. Une évaluation des risques lacunaire
Dans le cadre de la préparation de la formation d’Applied Human Rights, une évaluation des risques a été préparée par l’équipe de Genève. Celle-ci, incomplète dans la mesure où elle n’incluait nullement une pandémie, en partie en raison de son caractère imprévisible évident, présente un certain intérêt à une analyse critique.
Malgré les remises en question constantes de la position des étudiant-e-s issu-e-s d’une Université européenne dans les interactions avec les autres équipes basées au Kenya, la possibilité d’une pandémie – ou plus généralement d’une catastrophe, naturelle ou non – qui atteindrait d’abord Genève a été totalement éludée. L’évaluation des risques élaborée, dont le modèle était issu de la volée précédente d’Applied Human Rights, se concentre strictement sur les risques encourus sur la route de Kakuma ou sur place. La transmission d’un virus prenant une ampleur mondiale est certes de l’ordre du difficilement imaginable, néanmoins, à aucun moment il n’a été envisagé qu’un risque pourrait se « propager » principalement à Genève, obligeant les étudiant-e-s à demeurer en Suisse.
A notre sens, cette approche est hautement révélatrice : les risques identifiés ne relèvent qu’exclusivement de motifs inhérents à la vie au camp de Kakuma, ou au maximum de Nairobi. Il en découle que l’équipe de Genève, pourtant sensibilisée au questionnement de sa position en tant qu’Université du nord réalisant un projet dans le cadre d’un camp de réfugié-e-s dans le sud, n’a pas réussi à se départir d’une sorte de sentiment d’invincibilité. Si un évènement devait se passer différemment que ce qu’il avait été prévu originellement, cela ne pouvait pas provenir de Genève.
Cette constatation était d’autant plus frappante qu’au début de la crise sanitaire mondiale, l’Europe était plus touchée que l’Afrique par le covid-19. Avant le semi-confinement imposé par le gouvernement suisse à la mi-mars, alors même que la situation se tendait au fil des jours, il était toujours impensable que nous, européen-ne-s porteur-euse-s potentiel-le-s du virus, pourrions être exclu-e-s d’entrée sur le territoire kenyan. Lorsque l’Université de Genève a interdit à ses collaborateurs tout voyage le 13 mars 2020, cela a déclenché une prise de conscience de notre vulnérabilité face aux évènements imprévus en Suisse, révélant une position colonisatrice que nous souhaitions pourtant éviter. Le gouvernement kényan a par la suite fermé ses frontières le 15 mars 202014, suivi par le gouvernement suisse qui a annoncé les mêmes fermetures le 16 mars 202015.
Nous n’étions ainsi pas invincibles. Cette vulnérabilité imprévue dans l’analyse des risques est le reflet de l’influence – consciente ou non – de la perception typiquement nordique de supposer que les risques sont liés exclusivement au sud.
A la suite de ces premières constatations relevées au début de la crise sanitaire liée au covid-19, les témoignages en provenance de Nairobi et de Kakuma ont laissé place à un profond sentiment d’injustice par rapport à ceux de Genève. Si les vies de tous-tes les participant-e-s ont été bouleversées par les mesures incisives instaurées par les gouvernements respectifs afin de lutter contre le virus, il est devenu rapidement évident que ces mesures n’avaient pas le même impact sur tou-te-s, en particulier sur les étudiant-e-s de Kakuma.
IV. Des bouleversements liés au covid-19 d’intensité différente
Lorsque la crise liée au covid-19 a entraîné des mesures de confinement sous diverses formes au niveau global, notamment dès mars 2020, les étudiant-e-s participant-e-s ont continué à échanger sur les nouvelles restrictions qui leur étaient imposées. A Kakuma, un couvre-feu plus strict qu’à l’usuel a été instauré par l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR ») en charge du camp en collaboration avec le gouvernement kényan, ainsi qu’une obligation de port de carte d’identité était déclarée16. De plus, le port du masque obligatoire a été rapidement imposé dans l’espace public sous peine d’une amende maximale d’approximativement 150 EUR ou six mois d’emprisonnement17.
Au cours des discussions entre les équipes, deux aspects sont notamment ressortis. D’une part, il a été plusieurs fois relayé de l’incompréhension quant aux mesures prises ainsi qu’à leur pertinence dans le cadre de la lutte contre l’épidémie. En effet, toutes les mesures étatiques doivent être raisonnables18, ce qui implique notamment qu’elles soient justifiées par le but visé19 ainsi qu’elles soient les moins incisives possibles en vue de l’atteinte de l’objectif fixé20. La stratégie adoptée de l’instauration d’un couvre-feu additionnel ainsi que l’obligation de port d’une carte d’identité est questionnable eu égard au principe de proportionnalité. D’autre part, et pire encore, de nombreux cas d’abus et de violences par la police ont été rapportés dans le camp. En effet, il a été recensé des violences documentées de la part des forces de l’ordre présentes dans le camp à l’égard d’habitant-e-s qui ne portaient pas le masque, alors même qu’aucune distribution en suffisance desdits masques n’avait été organisée. Des récits de détentions arbitraires ordonnées par la police en cas d’absence de paiement de l’amende infligée en raison du manquement de masque ont été échangés. Les témoins racontent que ces mesures étaient instrumentalisées à des fins de chantage et d’extorsion de la part de la police kényane.
Les échanges entre équipes participantes à ce sujet ont résulté en un sentiment d’impuissance chez les étudiant-e-s de Genève. Nous étions impliqués dans un projet qui avait trait à la promotion des droits humains, et de par lui, étions témoins indirects de violations induites par les mesures prises dans le cadre de la crise liée au covid-19. Ce sentiment d’injustice a mené à la mise sur pied d’un crowdfunding participatif pour venir en soutien à plusieurs organisations de réfugié-e-s afin de financer les mesures préventives préconisées. En prolongement de la vague d’indignation qui nous a submergé, un article a été amorcé sur la question du port du masque obligatoire, plus précisément si celui-ci devrait être distribué gratuitement à Kakuma en raison de la dépendance de la population au UNHCR et de la politique de semi-encampement au Kenya. Si la situation était certes inédite et difficile pour toutes les équipes, il est évident que l’équipe de Kakuma était impactée de restrictions d’une charge bien plus lourde que les deux autres équipes.
La décision de repousser le projet a été déjà prise mi-mars. Au vu de la situation globale, la suspension temporaire d’Applied Human Rights s’est vue prolongée, engendrant des obstacles additionnels qui font l’objet des prochains développements.
V. Difficultés liées à la réorganisation du projet
A. L’obstacle de la limitation temporelle des projets universitaires face à la nécessité de prolongation du projet
A la suite de la première décision de suspension de la formation des sages et des leaders initialement prévue à la mi-mai 2020, il était encore espéré pouvoir concrétiser le projet durant l’été 2020, une fois les « pics » de la première vague passés. Rapidement, il est devenu toutefois clair qu’il en irait autrement, au vu de l’évolution de la pandémie et du prolongement des mesures sanitaires.
Applied Human Rights étant conçu par des étudiant-e-s se posait notamment la question de la disponibilité de ceux-lles-ci à prolonger au-delà de l’année académique ce projet. En effet, la difficulté de la conception d’un projet académique qui puisse se réaliser de septembre à juin réside dans le fait que, d’un point de vue genevois, cette durée est déjà relativement inusuelle car au-delà d’un seul semestre. Dans la phase de conception du projet, il est extrêmement ardu de prévoir un projet d’une taille adaptée à cette contrainte, limitant également par-là la grandeur des projets entrepris.
Il est en revanche purement illusoire d’espérer qu’il n’y ait pas d’embûches additionnelles dans la phase de réalisation du projet qui ne fasse pas dépasser le projet de l’année académique impartie à sa concrétisation. L’exemple d’Applied Human Rights est parlant : la première édition a pu se dérouler dans le délai d’une année académique. Toutefois, la seconde édition s’est vue prolongée en raison de circonstances extérieures, en l’occurrence, la crise de covid-19.
Cela présuppose non seulement l’adaptation constante aux calendriers de chacun-e-s des participant-e-s, qui ne peuvent plus prétendre à la même disponibilité en raison d’autres échéances dans leur formation ou d’autres engagement à honorer. A cela s’ajoute notamment la complication additionnelle de comment faire perdurer un projet repoussé à une date indéfinie et indéterminable.
B. Maintien du contact
Le projet étant seulement suspendu et non annulé, la nécessité du maintien du contact entre les différentes équipes est devenue évidente. Il a été choisi de faire une pause durant l’été 2020, avant de faire un point à la rentrée universitaire, en septembre 2020. Les entrées dans le camp de Kakuma n’étaient toujours pas autorisées, pour autant aucune équipe ne souhaitait voir ce projet être abandonné. Il était ainsi important de garder une « ambiance de classe » malgré ces repoussements successifs de la concrétisation du projet.
La solution retenue dans notre situation est celle de l’introduction de plusieurs projets de taille plus modérée afin de maintenir les échanges jusqu’à une éventuelle date de voyage future. Un répétitoire juridique passant en revue tous les thèmes à aborder lors de la formation a d’abord été tenu. Chaque semaine, les étudiant-e-s de Kakuma étaient invité-e-s à répondre à quelques questions sur un thème juridique, thème duquel les bases légales étaient détaillées dans un message vocal. A la fin de la semaine, une feuille de réponses reprenant les échanges des étudiant-e-s était partagée sur le groupe.
Puis, un atelier de création de vignettes a été mis sur pied. Ce projet reprend le but du projet principal d’Applied Human Rights de sensibilisation des communautés à Kakuma sur les droits des enfants en situation du handicap en vulgarisant du contenu légal. Outre le fait de s’accorder pleinement aux objectifs d’étudiant-e-s clinicien-ne-s, cette solution a été retenue comme apportant également un produit qui était certain d’être concrétisé. La déception quant au projet originel d’Applied Human Rights grandissant, il était urgent de trouver une activité connexe mais fructueuse.
Ces projets d’ampleur plus modeste étaient possibles à distance, permettaient de collaborer en vue d’un but commun, d’exploiter le matériel juridique appris, ainsi que de le vulgariser en vue de sa diffusion à un public plus large.
Ce dernier projet de création de vignettes a duré plusieurs mois, ralenti par les difficultés inhérentes à la vie à Kakuma, ponctuées d’obstacles additionnels liés à la pandémie. Il a pu néanmoins aboutir, à la satisfaction de tous-tes les protagonistes impliqué-e-s. La composante de vulgarisation à un large public a pu être ainsi conservée, tout en permettant de maintenir d’une part le contact entre les groupes de Kakuma, Kenyatta et Genève, ainsi qu’en soignant le moral de toutes et tous mis à rude épreuve par les temps incertains d’autre part. A cela s’est rajoutée une dernière contrainte supplémentaire de type matériel, traitée au prochain chapitre.
C. Retrait du budget
Au fur et à mesure qu’Applied Human Rights se prolongeait, la vie universitaire se poursuivait non seulement pour les étudiant-e-s mais également pour le corps académique. Ainsi, des changements à la tête d’InZone se sont opérés, modifiant par la même la direction donnée à l’institution. Notre projet stagnant, il nous a été communiqué en février 2021 – près de dix-huit mois après le début de nos efforts – que les fonds alloués au projet étaient retirés. Les raisons à ce retrait fournies sont le changement d’orientation des opérations d’InZone, ainsi que les coûts engendrés par le trajet de Nairobi et a fortiori de Genève à Kakuma.
D’abord décontenancé-e-s, nous avons décidé de tenter, une fois de plus, de sauver le projet originel en récoltant les fonds nécessaires par nos propres moyens, à savoir auprès de fondations privées. Les équipes se sont fixées un délai de deux mois pour ladite recherche, qui s’est révélée malheureusement infructueuse pour couvrir l’entier du budget visé. Il fallut se rendre ainsi à l’évidence : Applied Human Rights ne pouvait définitivement plus voir le jour sous sa forme initiale.
D. Impact sur les bénéficiaires suite à la réorganisation
A la suite de tous ces obstacles additionnels énoncés ci-devant, et plus de vingt mois après le début du projet, les étudiant-e-s clinicien-ne-s ont décidé de modifier la formation originellement conçue afin de l’adapter aux circonstances. D’une part, il n’était pas possible d’aller à Kakuma pour les équipes externes en raison du manque de fonds et de l’interdiction du UNHCR et, d’autre part, les restrictions sanitaires interdisaient les rassemblements à l’intérieur-même de Kakuma. Il fallait ainsi trouver une solution que l’équipe de Kakuma seule pouvait mener à bien, ainsi qu’en accord avec les mesures contre le covid-19, par conséquent de manière décentralisée.
Applied Human Rights s’est ainsi transformé en projet « face à face », à savoir que les étudiant-e-s de Kakuma sont allé-e-s mener des entretiens individuels pour informer les sages et les leaders de certains points clés sur la thématique des enfants en situation de handicap dans le camp. Cette solution a permis de respecter toutes les contraintes additionnelles, notamment du point de vue sanitaire, dans la mesure où des masques et du savon ont été distribués lors des entretiens. Néanmoins, cela appelle à certaines critiques.
La plus importante, relayée aussi par les sages et les leaders, est l’absence d’échanges collectifs. En effet, dans le projet initial, les participant-e-s avaient l’opportunité de se rassembler et de discuter de certains problèmes au sein du camp. Etant donné la diversité des visions en raison de la multiplicité des ethnies présentes parmi les près de 200’000 habitant-e-s du camp21, cette opportunité revêt une importance non négligeable. De plus, tou-te-s les participant-e-s bénéficiaient des questions et des expériences des autres afin de s’enrichir collectivement.
A cela s’ajoute que le contenu de la formation a été amoindri proportionnellement au temps à disposition. Le projet de base devait s’étendre sur une semaine entière, alors que la solution à laquelle nous sommes parvenus ne durait que quelques heures. Le savoir transmis aux participant-e-s a dû être revu à la baisse de manière quantitative, mais également de manière qualitative. En effet, il a dû être tenu compte des modalités moins propices à l’apprentissage puisque les étudiant-e-s se sont déplacé-e-s au domicile des participant-e-s, en lieu et place du hall où tous auraient dû se réunir tel qu’initialement prévu. Cela implique notamment que les conditions dans lesquelles ces entretiens se sont tenus étaient nettement moins bonnes : il s’agit là d’une forme de télé-travail – ou plus précisément, de télé-apprentissage en évitant les désagréments du virtuel – qui, dans un camp tel que Kakuma, ne peut offrir des modalités satisfaisantes pour des cours22.
Enfin, et il s’agit là certainement du point qui nous tenait le plus à cœur. Les étudiant-e-s d’Applied Human Rights, ont dû renoncer à se réunir après plus de vingt mois de travail collectif. Cette composante est pourtant une part essentielle du travail clinique mené dans ce projet en tant que fruit d’une collaboration inédite, résultat de recherches et efforts communs en exploitant les connaissances des divers groupes d’horizons variés. En effet, le groupe de Kakuma, fort de son expertise en pratiques coutumières dans le camp ainsi que de ses connaissances tirées du cours de droits humains dispensé par InZone sur place, est le moteur de ce projet. Le groupe de Kenyatta, quant à lui, est composé de deux étudiant-e-s en Master de droit, apporte sa maîtrise fondamentale en droit kenyan. Enfin, le groupe de Genève fournit ses compétences en droit international et apporte, par le biais d’InZone, le soutien matériel et financier nécessaire à Applied Human Rights.
L’abandon de la forme originelle du projet a eu, ici aussi, des impacts différents selon les équipes. En effet, les équipes de Kenyatta ainsi que de Genève continuent leurs parcours avec de nouveaux projets en raison notamment des opportunités offertes à Nairobi ou Genève. En contraste, le gouvernement kenyan a annoncé la fermeture de Kakuma d’ici au 30 juin 2022, en soutenant les retours volontaires des réfugié-e-s habitant-e-s du camp dans le pays qu’ils-elles ont fui23. Les possibilités offertes aux équipes respectives divergent ainsi considérablement, témoins à nouveau des inégalités inhérentes à un tel projet.
Tous ces aspects fondamentaux d’Applied Human Rights n’ont pas pu être sauvés – les barrières additionnelles dues à la pandémie de covid-19 en sont venues à bout. Pour autant, même après la présente revue critique des choix qui ont été pris et des conséquences inégales sur tous-tes les acteur-trice-s impliqué-e-s, le projet conservait toute son importance, à notre sens. En effet, il est regrettable que la prolongation du projet ait mené à de nombreux impacts à dimension variable selon le background des étudiant-e-s participant-e-s au projet, alors même que la solution finalement adoptée des entretiens individuels aurait pu être immédiatement menée à bien. Il pourrait ainsi être avancé que l’attente d’une année entière avant que nous nous résolvions à adopter cette solution n’aurait servi à rien, ou pire encore, qu’elle n’aurait eu qu’un impact négatif.
Néanmoins, il convient d’opposer à cette vision que la situation sanitaire était totalement instable et imprévisible. Partant au départ d’une conception de mesures drastiques qui devaient durer 15 jours pour aplatir la courbe des cas positifs au covid-19, cette situation en dents de scie s’est prolongée. Une grosse incertitude demeure quant à l’avenir des mesures encore en vigueur à l’heure où la présente contribution est rédigée. Il ne peut ainsi être reproché aux équipes d’avoir cru à une suspension temporaire de courte à moyenne durée du projet, et ainsi avoir préféré l’attente dans l’espoir d’une reprise d’Applied Human Rights sous sa forme originelle.
C’est seulement lorsqu’il est apparu que le projet initial était totalement exclu qu’il fallut se rendre à l’évidence et se réinventer. La forte composante émotionnelle attachée à ce projet par toutes les équipes n’est pas à négliger dans l’analyse de la ligne des décisions prises. La perspective n’était ainsi plus de mener un projet dans sa meilleure forme, mais « seulement » de sauver tous les aspects de la formation proposée qu’il était possible de conserver. Dans la pesée des intérêts, il a paru prépondérant de privilégier la concrétisation du projet en acceptant son format raccourci.
En effet, il était important pour toutes les équipes de voir enfin un terme fixé au projet Applied Human Rights. Après plus de vingt mois de collaboration, d’attente, d’espoirs, mais aussi de déceptions, de concessions et de négociations, la prolongation du projet à une date indéterminée aurait nui non seulement au moral des étudiant-e-s mais également aurait fait courir le risque que le projet s’étiole, faute de concrétisation, avant de s’éteindre de lui-même.
De plus, la solution de cette formation sous la forme d’entretiens individuels permettait notamment aux étudiant-e-s dans le camp de présenter le travail fourni dans le cadre d’Applied Human Rights. Le groupe de Kakuma, en allant à la rencontre des sages et des leaders participant-e-s à la formation, a pu échanger avec eux-elles sur la thématique des enfants en situation de handicap. Ce contact avec les personnes influentes de Kakuma leur tenait également à cœur. Cela fait également écho à leur souhait exprimé de présenter leurs connaissances, discuter sur des situations problématiques et amener leur contribution à sensibilisation aux droits humains dans le camp où ils-elles vivent.
VI. Bilan
Comme il a été détaillé ci-dessus, certains facteurs d’inégalité inévitables ont pu être mis en évidence. Malgré une vigilance constante et une précaution particulière accordées à la problématique des rapports nord-sud dans la collaboration, certaines différences de ressources et de chances à disposition des étudiant-e-s ont influencé Applied Human Rights.
Peu des activités planifiées se sont déroulées comme prévu initialement. De nombreux facteurs décisifs n’ont pas pu être maîtrisés en fin de compte par les équipes impliquées. Une adaptation constante aux circonstances nouvelles a été requise.
La flexibilité est de ce fait devenue un élément déterminant dans la gestion de ce projet. Cela a impliqué entre autres la nécessité d’élaborer constamment des alternatives au projet initialement prévu ainsi que la création de projets de transition, de s’accommoder avec les absences ou les empêchements des étudiant-e-s participant-e-s à des réunions en ligne, les rendez-vous impossibles en raison de la mauvaise connexion au gré des jours dans le camp, ainsi qu’un ajustement régulier des priorités et des moyens à disposition pour atteindre les objectifs fixés.
A côté de la flexibilité, la capacité à gérer l’échec a été également un apprentissage de cette expérience. Tous les participant-e-s se sont investis avec une grande motivation, ont fourni tant de leur temps que leur énergie dans ce projet qu’ils-elles ont façonné, de manière à s’identifier aux buts du projet. L’annonce du manque de fonds, sonnant le glas définitif à Applied Human Rights tel que conçu à l’origine, fut un coup difficile à supporter. Il convient de relever que sur ce point-là également, la rareté des débouchés et d’opportunités dans le camp rend cet échec plus cuisant pour l’équipe de Kakuma, pour qui la réalisation de ce projet revêtait un aboutissement d’une signification autre que pour les autres équipes participantes. Dans ce contexte, des amitiés se sont également liées entre les équipes après plus de vingt mois de contact permanent. Le fait que les équipes ne puissent pas se rencontrer dans un avenir proche a été difficile à accepter pour tou-te-s les étudiant-e-s impliqué-e-s dans le projet.
Enfin, la volonté de toutes les équipes impliquées de persévérer à chercher ensemble des solutions pour la survie du projet après les premières nouvelles négatives a crucialement contribué à trouver des alternatives intéressantes. De cette manière, le projet ne s’est pas simplement arrêté, mais a pu mener à une certaine sensibilisation sur les droits des enfants en situation de handicap des sages et des leaders dans le camp de Kakuma. Ainsi, au milieu de nombreuses situations où le désarroi gagnait du terrain, le projet a pu se terminer sur une note positive, quoiqu’au goût amer.
VII. Conclusion
Ainsi, il apparaît qu’après ce bref récit de l’expérience d’Applied Human Rights, les choix pris dans le cadre de cet enseignement clinique dont l’existence s’est retrouvée bouleversée par le covid-19 ne sont pas exempts de critique. Il semble que la crise sanitaire a amené des situations difficiles, des deuils, de la précarité : son impact sur l’évolution du projet est semblable. Des obstacles additionnels de toutes sortes se sont rajoutés, liés directement ou indirectement à la crise sanitaire, et ont rendu la concrétisation du projet de plus en plus ardue, jusqu’à ce qu’il paraisse totalement exclu de pouvoir le réaliser sous sa forme originelle.
A l’heure où le présent article est rédigé, le déséquilibre en matière de distribution de vaccins au niveau mondial témoigne, à nouveau, des privilèges qui perdurent. En parallèle avec ces inégalités, il nous tient à cœur de souligner les différentes perspectives de débouchés offertes aux équipes. En effet, Applied Human Rights étant un cours académique, cela devrait représenter une étape dans la formation des étudiant-e-s. Toutefois, que signifie un diplôme s’il n’y a d’emploi qui ne le reconnaisse à sa juste valeur ? Les opportunités dans le camp de Kakuma restent extrêmement limitées, conditionnées actuellement à l’incertitude quant à la future fermeture du camp.
En conclusion, il convient de rappeler que le projet collaboratif d’Applied Human Rights est avant tout une expérience humaine. Les parcours de vie des étudiant-e-s d’horizons divers se croisent, rassemblés par cette clinique juridique, avant de se séparer à nouveau. Le terme virtuel de cette expérience inédite après plus de vingt mois de collaboration laisse intact l’espoir de pouvoir, un jour, se rencontrer de visu.
Notes
- Pour de plus amples informations sur InZone : InZone, « Who We Are » [https://www.unige.ch/inzone/who-we-are/].
- Pour de plus amples informations sur la Legal Aid Clinic : FaceBook, « Kenyatta University Legal Aid Clinic » [https://www.facebook.com/Kenyatta-University-Legal-Aid-Clinic-186393954721198/].
- Pour de plus amples informations sur la Law Clinic : Law Clinic sur les Droits des Personnes vulnérables, « Qui sommes-nous » [https://www.unige.ch/droit/lawclinic/fr/qui-sommes-nous/presentation/].
- Pour de plus amples informations sur la genèse et les buts d’Applied Human Rights : D. Carron, « Applied Human Rights : des cliniques juridiques à l’épreuve d’un camp de réfugiés au Kenya », Cliniques Juridiques, vol. 3, 2019 [https://cliniques-juridiques.org/?p=503].
- Initialement 8 étudiant-e-s avaient été sélectionné-e-s.
- Pour de plus amples informations sur le projet de l’année 2019-2020 : Law Clinic sur les Droits des Personnes vulnérables, « Brochures » [https://www.unige.ch/droit/lawclinic/fr/publications/brochures/kakuma/].
- United Nations High Commissioner for Refugees (UNHCR), Human Rights and Traditional Justice Systems in Africa, 2016, U.N. doc. HR/PUB/16/2, p. 17.
- A. L. Purkey, « A Dignified Approach: Legal Empowerment and Justice for Human Rights Violations in Protracted Refugee Situations », Journal of Refugee Studies, vol. 27-2, 2013, p. 267 [https://academic.oup.com/jrs/article/27/2/260/1579930].
- Pour de plus amples informations sur les recherches et l’organisation du projet : L. Biedermann, O. Haldimann, Rights of children with disabilities. Implementation of a training on human rights in Kakuma refugee camp, juin 2020 [https://www.unige.ch/droit/lawclinic/files/1616/1882/1214/Biedermann_Haldimann_Rights_of_Children_with_Disabilities.pdf].
- A cet égard, il sied d’avoir à l’esprit que les auteur-e-s proviennent de l’Université de Genève, dite du nord.
- D. Bonilla, « Legal Clinics in the Global North and South: Between Equality and Subordination-An Essay », Yale Human Rights and Development Law Journal, vol. 16, 2013, p. 9.
- D. Bonilla, « Legal Clinics in the Global North and South: Between Equality and Subordination-An Essay », Yale Human Rights and Development Law Journal, vol. 16, 2013, p. 6.
- Pour de plus amples informations sur l’exacerbation des inégalités liées au covid-19 : L. Biedermann, O. Haldimann, Rights of children with disabilities. Implementation of a training on human rights in Kakuma refugee camp, juin 2020, pp. 59-63, 85-87 [https://www.unige.ch/droit/lawclinic/files/1616/1882/1214/Biedermann_Haldimann_Rights_of_Children_with_Disabilities.pdf].
- D. Malingha, « Kenya Restricts Foreign Travel, Suspends School on Coronavirus », Bloomberg Quint, 15 mars 2020 [https://www.bloombergquint.com/business/kenya-restricts-foreign-travel-suspends-school-on-coronavirus].
- Suisse, Ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19), 13 mars 2020, RS 818.101.24, art. 3 ss [https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2020/141/fr].
- UNHCR, Kenyan Refugee Agency Services, Important notice to all refugees and asylum-seekers living in urban areas in light of coronavirus (covid-19), 27 mars 2020 [https://www.unhcr.org/ke/wp-content/uploads/sites/2/2020/03/IMPORTANT-NOTICE-COVID-26March-V4.pdf].
- UNHCR, Kenyan Refugee Agency Services, Important notice to all refugees and asylum-seekers living in urban areas in light of coronavirus (covid-19), 19 avr. 2020 [https://www.unhcr.org/ke/wp-content/uploads/sites/2/2020/05/IMPORTANT-NOTICE-TO-ALL-REFUGEES-AND-ASYLUM-SEEKERS-LIVING-IN-URBAN-AREAS-IN-LIGHT-OF-CORONAVIRUS-COVID-19-19-May-2020.pdf].
- Kenya, Constitution (2010), section 24 para. 1.
- Kenya, Constitution (2010), section 24 para. 1 lit. a, b, c.
- Kenya, Constitution (2010), section 24 para. 1 lit. e.
- UNHCR, « Kakuma Refugee Camp and Kalobeyei Integrated Settlement » [https://www.unhcr.org/ke/kakuma-refugee-camp].
- Pour de plus amples informations sur l’expérience d’enseignement virtuel à Kakuma d’InZone : Paul O’Keefe, « The case for engaging online tutors for supportings learners in higher education in refugee contexts », Research in Learning Technology, Vol. 28, août 2020 [https://www.researchgate.net/publication/343749501_The_case_for_engaging_online_tutors_for_supporting_learners_in_higher_education_in_refugee_contexts] ; M. Ngabirano, A. Radjabu Mbuyu, T. Farinha Do Sul, A. Costa, D. Carron, Mener un enseignement introductif aux droits humains dans un camp de réfugiés. Rapport du programme InZone de l’UNIGE sur son expérience dans le camp de réfugiés de Kakuma (2016-2020) [https://www.unige.ch/droit/lawclinic/files/8016/1157/0491/Mener_un_enseignement_introductif_aux_droits_humains.pdf].
- Pour de plus amples informations sur la fermeture des camps de Kakuma et Dadaab : UNHCR, Déclaration conjointe du gouvernement du Kenya et du HCR : une feuille de route pour les camps de réfugiés de Dadaab et de Kakuma, 29 avr. 2021 [https://www.unhcr.org/fr/news/press/2021/4/608bbd03a/declaration-conjointe-gouvernement-kenya-hcr-feuille-route-camps-refugies.html].