Le style oral a été conservé.
Moins qu’à l’objet des savoirs, savoir-être et savoir-faire acquis, s’intéresser à la relation entre étudiant et enseignant dans une clinique invite à se demander comment transmettre dans un contexte qui n’est pas celui des enseignements traditionnels. Une interrogation qui m’est vite apparue essentielle dans le cadre de mon expérience au sein de la clinique juridique de Lyon 3, c’est-à-dire dans une « clinique informative » et pluridisciplinaire ayant pour finalité de favoriser l’accès au droit de certaines populations1. Cet accompagnement des étudiants est encore récent, dès lors que les enseignements cliniques n’en sont qu’à leur première année. Aussi, le point de vue adopté est celui d’un enseignant intervenant auprès d’étudiants cliniciens dans son champ de spécialité, le droit social, en délivrant des enseignements (10 heures annuelles) et en relisant leur travail avant les rendez-vous de restitution avec des personnes les consultant.
L’exigence de trouver un « juste équilibre » dans la relation entre étudiant et enseignant dans la clinique semble s’imposer du fait de certaines particularités de l’enseignement dans la clinique juridique : un enseignement auprès d’un nombre restreint d’étudiants, incluant des savoirs, mais aussi et surtout des savoir-faire et des savoir-être, et qui constitue la face non visible de la clinique, en appui à l’activité réelle des cliniciens. Il apparait notamment essentiel de partir de l’expérience vécue par les étudiants pour construire les enseignements, celle de rendez-vous avec des particuliers, voire des représentants de personnes morales, afin de leur délivrer un premier conseil juridique.
Dans ce contexte, il est même nécessaire de se demander si des enseignements se justifient dans un modèle de clinique d’accès au droit. Est-ce là la place des enseignants de l’Université ? Quelle peut être l’utilité des enseignants universitaires dans des enseignements cliniques ? Des questions qui ne doivent pas être taboues et qui amènent à réfléchir au rôle de l’enseignant vis-à-vis de ses étudiants cliniciens. La recherche d’une « bonne relation », du « juste équilibre » est à mener2.
La démarche ne peut qu’être expérimentale, par tâtonnements, en interrogeant à plusieurs reprises les étudiants sur ce qu’ils peuvent attendre de tels enseignements, notamment une fois qu’ils ont été confrontés à leurs premiers rendez-vous. De cette expérience, une conviction émerge progressivement : celle que la juste place de l’enseignant vis-à-vis de ses étudiants cliniciens est à côté d’eux, dans l’accompagnement et l’appui, davantage que dans la transmission descendante de savoirs, savoir-faire et savoir-être. La relation entre l’enseignant et l’étudiant est horizontale et non verticale. La transmission n’est toutefois pas absente de la démarche, mais l’approche est assurément différente de nos enseignements traditionnels. Outiller et guider nos étudiants seraient au cœur de la relation (I). S’ajoute néanmoins à cela une fonction de contrôle et de vérification du travail effectué, de correction des erreurs. La perspective n’est pas celle de l’évaluation, mais de s’assurer de la qualité de la restitution et du conseil prodigué. C’est là une autre dimension de la relation, très verticale, et non moins essentielle (II).
I – La transmission par l’accompagnement
Lors de la première séance avec les étudiants, marquant le début de l’expérimentation, il leur a été demandé d’identifier, en quelques mots, ce qui constituait, de leur point de vue, une bonne ou une mauvaise consultation. Les premiers contacts avec les usagers de la clinique n’ont pas encore été noués par les étudiants, mais il apparait essentiel de leur faire prendre conscience de leur rôle et de leur utilité dans ce face-à-face avec la personne venant les voir. Cet échange préalable, mais approfondi, s’est avéré être une bonne première étape, permettant de poser quelques bases de notre enseignement.
Le temps de la mise en pratique arrive ensuite, en faisant travailler les étudiants sur les restitutions réalisées les années précédentes en droit social par leurs prédécesseurs. Travailler sur la « mémoire de la clinique » amène à les interroger sur l’avis qu’ils portent sur ce travail effectué par d’autres ; pensent-ils qu’il s’agit d’une « bonne consultation » ? Quels sont les éléments positifs ou négatifs de la production écrite rendue ? La transmission par le retour d’expérience débute. Pour l’heure, l’expérience est toutefois celle des autres. Des premières prises de conscience et acquisitions de savoir-faire commencent à s’opérer, par des échanges entre les étudiants et avec l’enseignant, dans une organisation de l’espace dépourvue de toute hiérarchie entre les uns et les autres.
L’expérience se poursuit par la distribution des cas cliniques pris en note par leurs prédécesseurs afin que chacun s’attelle à une préparation écrite de restitution face à la situation qui leur est présentée. Le travail demandé est plus difficile. Dans cette étape, le rôle de l’enseignant, assez classiquement, est d’accompagner l’étudiant dans la rédaction de propos et réponses toujours plus précis, celui de faire prendre conscience du manque d’intelligibilité de telle ou telle phrase, ou encore d’insister sur la nécessité d’être utile à la personne venant consulter3.
Au-delà de ces généralités, non moins essentielles, deux dimensions directement liées à l’activité juridique de la clinique sont au cœur de la fonction de l’enseignant dans l’accompagnement de ses étudiants-cliniciens.
La première tient à l’importance de la qualification. Non pas enseigner ce qu’est la qualification juridique, ce que les manuels d’introduction au droit ou de théorie du droit s’efforcent d’expliciter, mais faire comprendre comment passer de faits exposés par un individu à une qualification de la situation, permettant in fine de lui conférer un régime juridique. C’est là un impératif omniprésent et essentiel dans la relation entre enseignant et étudiant dans une clinique juridique. Cet « enseignement » n’implique pas de délivrer un quelconque savoir, mais de raisonner avec l’étudiant. L’approche n’est aucunement novatrice, mais impose une démarche individualisée et chronophage, que les travaux dirigés traditionnels ne permettent que trop rarement.
La deuxième dimension de l’activité du juriste sur laquelle doivent porter les efforts d’enseignement en clinique est relative aux sources du droit. L’idée n’est pas d’accompagner les étudiants dans la recherche de la documentation (« où chercher ? »), mais de les inviter à accorder la plus grande importance à la « solidité juridique » de l’argument qu’ils présentent lors de la restitution. L’enseignant doit aider les étudiants à prendre conscience qu’ils ne sont plus en présence d’un cas pratique, ou plus largement d’un travail sanctionné par une note, mais d’une réelle situation posant problème, susceptible de se juridictionnaliser à terme, et pour laquelle la personne venant les voir croit en la parole de celui « qui sait ». Dès lors, la normativité d’une source, à tout le moins son opposabilité, est tout à fait essentielle. Or les carences des étudiants en la matière sont souvent très importantes. Dès lors, il incombe à l’enseignant de faire comprendre qu’un raisonnement complet peut tomber du fait de la fragilité de la source mobilisée, ou qu’une personne peut être en grande difficulté, car le droit dont elle dispose, en tout cas tel qu’il lui a été exposé, est d’une effectivité toute relative. Apprendre à questionner la solidité et l’opérationnalité d’un raisonnement est au cœur de la prise de conscience que doit susciter l’enseignant vis-à-vis des étudiants-cliniciens.
Vient ensuite le temps des mises en situation, lorsque les étudiants reçoivent les premières personnes. C’est probablement là que la relation enseignant-étudiant est la plus riche. L’enseignant doit alors, aux côtés des étudiants, travailler avec eux à l’analyse du premier rendez-vous, puis à la restitution et à l’entretien final. Ces échanges permettent aussi de travailler à l’analyse de leur production écrite. Pourquoi choisir tel ou tel terme ? Comme rendre un raisonnement compréhensible pour un non-juriste ? Est-il répondu au problème posé par la personne venant consulter ? L’étudiant reste-t-il bien dans son rôle ; celui de conseiller et non de juger ou de dire ce qui va être ou devrait être ? Ce travail permet également d’améliorer la prestation orale des étudiants lors de l’entretien4. Comment écoutent-ils ? Comment posent-ils les questions ? Comment gèrent-ils la dimension parfois très personnelle, voire intime, de certains problèmes qui leur sont présentés ? À cette fin, il serait utile d’être présent à leurs côtés, en observateur ; ou de les filmer, afin d’analyser ensemble leur prestation5.
Cette démarche relève-t-elle encore de l’enseignement ? N’est-il pas davantage question d’accompagnement des acquisitions par l’expérience ? Le rôle de l’enseignant est finalement modeste.
En outre, la démarche interpelle quant aux propres compétences de l’enseignant pour mener à bien cette mission6. Par nature, il n’est pas un professionnel du conseil juridique, de la consultation juridique et de la résolution de problèmes juridiques concrets. L’enseignant est-il le mieux placé pour outiller ses étudiants des compétences pratiques nécessaires pour répondre aux besoins individuels et sociaux qui leur sont présentés dans le cadre de la clinique ? Probablement qu’il est ici essentiel que l’enseignant concerné ait ou ait eu une expérience du conseil juridique, de la pratique du droit, en dehors de l’Université7. Indéniablement, avoir déjà pratiqué l’exercice auquel les étudiants sont confrontés constitue un atout majeur dans la relation.
II – La vérification du travail des étudiants
La vérification – et non l’évaluation – du travail réalisé par les étudiants constitue une autre dimension de l’office de l’enseignant dans une clinique juridique. En ce qu’elles participent d’un accès facilité au(x) droit(s), les productions écrites et orales des cliniciens engagent, au moins moralement, l’Université, la clinique, les étudiants et les enseignants en tant qu’encadrants.
Dès lors, le « juste équilibre » dans la relation entre étudiant et enseignant est également très vertical. Il s’agit pour l’enseignant de s’assurer de l’absence d’erreurs juridiques dans les restitutions réalisées. Un regard d’expert doit être posé sur le travail accompli afin d’être en mesure, le cas échéant, d’en corriger le fond.
Certes les connaissances ne représentent pas les soubassements de l’enseignement clinique, mais elles constituent des prérequis de l’activité de la clinique8. Elles sont une condition absolument indispensable pour effectuer des conseils appropriés et l’enseignant doit en être le garant. C’est d’ailleurs probablement là l’un des enseignements les plus précieux de la clinique pour les étudiants : les savoirs sont de moins en moins différenciants pour la suite de leur carrière, la prime à la connaissance étant moindre du fait des facilités d’accès à la donnée ; mais la cohérence et la validité du raisonnement juridique produit demeurent tout à fait essentielles. Ils sont, en qualité d’étudiants-cliniciens ; ils seront, en tant que professionnels du droit, sollicités comme des experts. Il appartient à l’enseignant de le garder omniprésent à l’esprit.
Il résulte de cette dimension de la relation entre étudiant et enseignant une exigence de rigueur extrême dans le raisonnement juridique à transmettre, celle qu’ont tous les praticiens qu’ils seront demain, et qui peuvent voir leur responsabilité engagée en cas de manquement à cet impératif. Clinique juridique ou non, il s’agit là d’une dimension essentielle du métier d’enseignant en droit.
Notes
- Romain Ollard, « Les modèles de cliniques juridiques », Cliniques juridiques, Volume 3, 2019 [https://cliniques-juridiques.org/?p=560]
- V. égal. Sandra Babcock, « Cliniques juridiques, enseignement du droit et accès à la justice », Cliniques juridiques, Volume 1, 2017 [https://cliniques-juridiques.org/?p=306] ; Stéphanie Hennette-Vauchez et Diane Roman, « Pour un enseignement clinique du droit », LPA 2 nov. 2006, n°PA200621901, p.3 ; Jeremy Perelman, « L’enseignement du droit en action ? : l’émergence des cliniques juridiques en France », Cliniques juridiques, Volume 1, 2017 [https://cliniques-juridiques.org/?p=310]
- Xavier Aurey et Benjamin Pitcho, Cliniques juridiques et enseignement clinique du droit, préf. Christiane Féral-Schuhl et Jean-Christophe Saint-Pau, LexisNexis, 2021, n°117, p. 99
- Xavier Aurey et Benjamin Pitcho, Cliniques juridiques et enseignement clinique du droit, préf. Christiane Féral-Schuhl et Jean-Christophe Saint-Pau, LexisNexis, 2021, n°120-121, pp. 100-101
- Cela peut toutefois poser un certain nombre de difficultés vis-à-vis de la personne venant consulter.
- Christophe Jamin, « Cliniques du droit : innovation versus professionnalisation ? », D. 2014, p.675 et « Enseigner le droit : sujet inépuisable… », Les cahiers de la justice 2018, p.239
- Richard J. Wilson, « Dix étapes pratiques pour la mise en place et la gestion d’une clinique juridique », Cliniques juridiques, Volume 1, 2017 [https://cliniques-juridiques.org/?p=302] ; Norbert Olszak, « La professionnalisation des études de droit », D. 2005, p.1172 – La question est débattue depuis longtemps : Jerome Frank, « Why not A Clinical Lawyer-Scool ? », University of Pennsylvania Law Review, vol. 81-8, 1933, p.907 ; trad. Par Xavier Aurey : Jerome Frank, « Pourquoi pas une École clinique de droit ? (1933) », Cliniques juridiques, Volume 3, 2019 [https://cliniques-juridiques.org/?p=520]
- M. Mekki, « Réformer l’enseignement du droit à la lumière des systèmes étrangers », Les cahiers de la justice 2018, p.225